Film de Cédric Kahn
Année de sortie : 2024
Pays : France
Scénario : Fanny Burdino et Samuel Doux
Photographie : Patrick Ghiringhelli
Montage : Yann Dedet
Musique : Astrid Gomez-Montoya et Rebecca Delannet
Avec : Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon, Souheila Yacoub, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Valérie Donzelli
Après avoir longtemps nourri le projet de réaliser un véritable making of en sortant des conventions propres à ce format, Cédric Kahn, devant le refus compréhensible de ses pairs, a finalement choisi la voie de la fiction. Le résultat est riche, peut-être légèrement bancal par moments mais rempli d’idées d’intéressantes, de vicacité et d’un amour palpable du cinéma.
Synopsis du film
Simon (Denis Podalydes), réalisateur expérimenté, commence le tournage de son nouveau film, consacré à une authentique lutte ouvrière. Seulement voilà, son ami et producteur Marquez (Xavier Beauvois), sympathique mais embrouilleur de première classe, a trompé les co-producteurs du film en réécrivant la fin du scénario façon happy-end. S’étant par hasard rendu compte de la supercherie, ceux-ci exigent de Simon qu’il tourne une fin conforme à ce qu’ils ont lu, sous peine de le priver de tout soutien financier.
Simon refusant ce compromis, Marquez lui promet aussitôt de trouver de nouveaux financements mais l’heure tourne et pour ne rien arranger, le cinéaste est confronté aux caprices de la vedette du film, Alain (Jonathan Cohen), lesquels exaspèrent Nadia (Souheila Yacoub), sa partenaire de jeu. Stressé par un tournage qui menace à tout moment d’imploser, par le risque de ne plus être financé et aussi par ses problèmes de couple avec Alice (Valérie Donzelli), Simon multiplie les crises d’angoisse.
Peu à peu, la situation sur le plateau rappelle, par certains égards, les enjeux sociaux décrits par le scénario du film…
Critique de Making of
Quand on songe à des arts comme la peinture, la littérature ou encore la composition musicale, l’image d’une personne seule, face à une toile, une page ou une partition vierge, peut nous apparaître en pensée. Cette personne peut bien entendu être soumise à des contraintes de temps, de formes et de résultats (quand l’art en question est aussi sa profession), mais elle est seule lors du processus de création ce qui, forcément, induit une forme de souplesse et de liberté. Par ailleurs, le temps consacré à cette création n’a pas de coût particulier.
La condition d’un réalisateur sur un plateau de cinéma est bien entendu très différente. Il est entouré d’un très grand nombre d’individus (si on excepte les toutes petites productions indépendantes à micro budget), occupant chacun une fonction précise, et chaque minute qui passe a un coût : il doit donc sans cesse prendre des décisions rapides et faisables, dans le respect d’un budget et d’un délai donnés, le tout dans un contexte réglementé (par le droit du travail). Pour que tout cela fonctionne à peu près, le tournage d’un film obéit à une organisation quasi militaire, très hiérarchique et parfois synonyme, pour reprendre les termes employés par le réalisateur de Making of lors d’une interview par Eva Bester sur France Culture, d’une sorte de violence sociale
.
C’est cette apparente contradiction que le nouveau film de Cédric Kahn, tourné avant Le Procès Goldman, explore avec une certaine légèreté. Il faut dire que l’une des références du metteur en scène en matière de film consacré à la fabrication du cinéma est Ça tourne à Manhattan (Living in Oblivion), de Tom DiCillo, comédie culte des années 1990 dans laquelle Steve Buscemi campe un réalisateur confronté à des difficultés diverses, dont un comédien mégalomane que le personnage joué par Jonathan Cohen dans Making Of rappelle d’ailleurs un petit peu, sans en être la copie conforme.
Making of alterne entre des scènes se déroulant entre les prises et celles composant le film social tourné par Simon (Denis Podalydès), celles-ci étant cadrées et montées comme l’est un film abouti (parti pris qui leur donne plus de force et de fluidité). L’une des bonnes idées du scénario de Fanny Burdino et Samuel Doux est d’avoir établi un parallèle entre ces deux sphères (la fabrication d’un film et le sujet de ce dernier), puisque les tensions qui vont naître sur le tournage vont soulever des questions sociales et économiques qui sont au coeur du scénario imaginé par Simon.
Ne se contentant pas de jouer autour de cet effet miroir, Making of met en scène une galerie de personnages consistants, contribuant chacun à la description d’un univers complexe, paradoxal et socialement hétérogène : l’aspirant scénariste d’origine modeste et sans aucun réseau dans le cinéma (Joseph, campé par Stefan Crepon) ; la vedette aux tendances égocentriques (Cohen) ; la jeune actrice en train de percer (Nadia, brillament incarnée par Souheila Yacoub) ; les producteurs vénaux ; le réalisateur au bord du burn-out (Podalydès) ; le technicien sans le sou ; etc. Le plus souvent, l’écriture évite la caricature, même si l’équilibre entre humour décalé et réalisme semble parfois fragile ; ainsi, on peine un peu à croire au personnage joué par Xavier Beauvois, et si Jonathan Cohen évolue sur un fil avec brio, le tandem de producteurs n’est que moyennement convaincant (d’autant plus que leur exigence d’un happy end est peu crédible dans le contexte d’un cinéma social français où d’ordinaire, le misérabilisme est plutôt considéré comme vendeur).
Le scénario parvient également à faire vivre des personnages extérieurs au tournage (Alice, la femme de Simon, jouée par Valérie Donzelli), montrant ainsi l’impact du cinéma sur la vie familiale. Enfin, si contrairement à La Nuit américaine par exemple, Making of est avant tout un film montrant la création cinématographique comme un parcours volontiers chaotique et tourmenté, on y ressent tout de même, dans de délicats moments, cette fameuse magie qui fait que tout cela vaut la peine.
Dans Ça tourne à Manhattan, cette magie était symbolisée par l’image d’une pomme apparaissant au bon moment dans le cadre ; dans Making of, on la perçoit par exemple lorsque Nadia et Simon miment une scène du scénario écrit par ce dernier sur un terrain de foot. Car c’est aussi à ça que le cinéma ressemble, bien avant le début du tournage et de toute structure organisée : à un jeu, un rêve, une histoire qu’on se raconte, des images qu’on se projette mentalement – libres, elles, de la moindre contrainte et de toute hiérarchie.
Bande annonce
Making of met en lumière les paradoxes, contradictions et rapports de pouvoir inhérents à la fabrication d'un film à travers un récit vif, riche, souvent drôle et globalement tenu, bien que certaines touches sonnent un petit peu moins juste. On apprécie l'absence de jugement et de critique, Kahn ne se posant jamais en maître à penser, mais avant tout comme un observateur ; un observateur qui aime bien entendu le cinéma, et au milieu de tous les conflits et problèmes qui jaillissent ici vacille par moments une petite lumière, venue d'une "lanterne magique".
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