Film de Lea Glob
Année de sortie : 2022
Pays : Danemark
Son : Anna Zarnecka-Wójcik
Musique : Jonas Struck
Montage : Andreas Bøggil Monies et Thor Ochsner
Avec : Apolonia Sokol, Lea Glob, Oksana Chatchko, Aleksandra Tlolka, Hervé Breuil
Le documentaire Apolonia, Apolonia est le portrait d’une artiste, mais exprime aussi la sensibilité de la femme qui la filme. C’est sans doute là que réside la différence principale entre un reportage et une oeuvre d’art.
Synopsis du film
Lea Glob, tout juste diplomée de la National Film School au Danemark, se lance dans un projet de fin d’études : filmer Apolonia Sokol, une peintre française qui a grandi dans le quartier de Château Rouge (18ème), plus précisément au sein du théâtre Le Lavoir Moderne parisien, fondé par ses parents.
Le tournage va finalement s’étirer sur treize années, chroniquant le parcours de la peintre et ses multiples rencontres (notamment avec l’artiste et activiste Oksana Chatchko), mais rendant compte aussi de l’expérience personnelle de Lea Glob et de sa démarche en tant que réalisatrice.
Critique d’Apolonia, Apolonia
La matière du documentaire Apolonia, Apolonia est dense. En filmant la peintre figurative française Apolonia Sokol sur une période de 13 ans, la réalisatrice danoise Lea Glob a capturé plusieurs motifs, plusieurs sujets qui, selon une logique bien distincte de celle d’un film de fiction, se sont imposés d’eux-mêmes – c’est-à-dire qu’ils n’ont pas été volontairement insérés dans le récit, mais ont surgi dans le champ de la caméra.
Il est question ici, entre autres choses, de la survie sans cesse menacée de l’art dans un monde capitaliste (le Lavoir Moderne Parisien, le berceau culturel dans lequel a grandi Apolonia Sokol, a plusieurs fois manqué d’être racheté par des promoteurs) ; du rapport entre la création et le profit (le parcours de la peintre aux USA l’a confronté à la dimension business
de son activité) ; de féminisme (incarné dans le film par les positions d’Apolonia et par son amie ukrainienne Oksana Chatchko, l’une des trois fondatrices du mouvement Femen) ; de la représentation du corps (féminin en particulier) dans la peinture ; des carcans liés au genre (dont Apolonia affirme vouloir s’émanciper) ; et même du mouvement MeToo, l’ombre libidineuse d’Harvey Weinstein ayant vaguement plané autour d’Apolonia lors de son séjour aux USA.
Ce qui est intéressant, c’est que tous ses éléments sont connectés, ne serait-ce qu’indirectement. Le documentaire de Lea Glob parvient ainsi à saisir des enjeux contemporains interdépendants et cela alors qu’il ne devait être, initialement, qu’une oeuvre de fin d’études, et que la réalisatrice elle-même n’en découvre le sens et le moteur principal que de façon progressive.
Apolonia, Apolonia ne fait pas que décrire le cheminement d’une artiste peintre d’ailleurs assez passionnante (personnellement, ses tableaux me plaisent beaucoup), il illustre aussi celui de Lea Glob, dont la vie intime surgit parfois dans le cadre et dont la démarche artistique, et son rapport à l’image, évoluent au fil des années. Son travail de réalisatrice est d’ailleurs de plus en plus élaboré à mesure que le film, monté plus ou moins chronologiquement, se déroule.
Le parallèle évident entre les trajectoires des deux femmes donne au film toute sa profondeur (peut-être est-ce d’ailleurs le sens de la répétition d’Apolonia dans le titre ?). Une scène est particulièrement révélatrice de cet aspect : à un moment donné, Lea Glob filme son amie Aplonia puis, celle-ci ayant quitté le champ de la caméra, elle se retrouve seule face à son propre reflet dans un miroir.
Tout est dit dans cette image : Apolonia, Apolonia est aussi une oeuvre sur Lea Glob. Un film, une peinture ou un livre est une oeuvre d’art à condition que son auteur, ou autrice, y exprime quelque chose de personnel, d’une façon ou d’une autre ; c’est donc clairement le cas ici, comme c’était le cas, par exemple, du documentaire Histoire d’un regard, parlant du photographe Gilles Caron mais aussi de la réalisatrice Mariana Otero.
Personnellement, ce plan bien précis est l’une des choses dont je me souviendrai le plus en repensant à Apolonia, Apolonia, avec le regard assez saisissant d’Apolonia Sokol, celui des femmes qu’elle peint et aussi, ces images du 18ème arrondissement de la fin des années 2000 – mais là, ce sont les sentiments qui parlent…
Quelques tableaux d’Apolonia Sokol
Vous pouvez cliquer sur l’une des images ci-dessous pour l’agrandir. Le tableau du milieu est très probablement un autoportrait, la ressemblance avec l’artiste me semblant évidente !
À propos de la critique d’art
Indépendamment du film, les réactions des critiques d’art au sujet des peintures d’Apolonia Sokol me semblent représentatives d’une tendance qui à titre personnel, me dérange un peu : celle consistant à vouloir à tout prix associer le travail d’un artiste à un message bien défini, à une pensée précise.
Ainsi, s’il est évident que ses peintures disent quelque chose de son regard sur le monde et sur les autres, et que ce quelque chose rejoint des thématiques diverses dont le féminisme, la question du genre, etc., il me semble qu’elles sont aussi plus que cela, dans le sens ou elles reflètent une personnalité unique que les commentaires des uns et des autres ont tendance à enfermer dans un cadre intellectuel, voire politique et idéologique.
Ce ne sont pas des gros mots, bien entendu, et il est probable que l’artiste se reconnaisse dans la plupart des choses écrites à son sujet ; simplement, je me demande si une analyse trop fermée et systématisante d’une oeuvre, même si elle est pertinente, n’est pas par essence réductrice, et même un peu nuisible à ce qui me semble être le plus important quand on regarde un tableau, ou un film : l’émotion.
Bien sûr, il est intéressant de mentionner en quoi le travail d’un artiste soulève des questionnements plus ou moins contemporains, mais il ne doit, je pense, pas être réduit à des idées et encore moins à un message ; or on a parfois le sentiment, et plusieurs scènes du film m’ont évoqué cela, qu’un artiste ne devient aujourd’hui bankable que quand on l’associe à un message particulier, à un courant de pensée. Mais ce n’est qu’un humble avis qui bien évidemment, ne questionne ni la qualité du documentaire de Lea Glob, ni celle du travail d’Apolonia Sokol, dont je ne manquerai pas d’aller voir une exposition si j’en ai un jour l’occasion.
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