Film de Paz Fábrega
Année de sortie : 2010
Pays d’origine : Costa Rica, France, Espagne, Pays-Bas, Mexique
Titre original : Agua fria de mar
Scénario : Paz Fábrega
Photographie : María Secco
Montage : Nathalie Alonso Casale
Avec : Monserrat Fernández, Lil Quesada Morúa, Luis Carlos Bogantes, Freddy Gerardo Chavarria Araya, Anette Villalobos Soto, Luis Felipe Bone Brizuela
Agua Fria utilise à merveille le non-dit et le hors-champ pour filmer les trajectoires de deux personnages féminins mystérieux.
Synopsis du film
Rodrigo (Luis Carlos Bogantes) et Mariana (Lil Quesada Morúa), un jeune couple, se rendent sur la côte Pacifique au sud du Costa Rica, où ils ont pour projet de s’installer. Une nuit, ils tombent sur une petite fille, Karina (Monserrat Fernández), qui prétend avoir fui sa famille, laissant entendre qu’elle a été abusée.
Au petit matin, Rodrigo et Mariana se réveillent dans leur voiture, et constatent la disparition de Karina. Si Rodrigo semble passer rapidement à autre chose après avoir signalé l’incident à la police, Mariana, de son côté, éprouve un malaise grandissant…
Critique de Agua Fria
Quand on raconte une histoire, le choix de ce qu’on dit, ce qu’on montre et inversement, ce qu’on choisit de ne pas dire/montrer, est bien évidemment crucial. Il n’est pas rare, et cela me semble être particulièrement vrai aujourd’hui, que la balance penche vers une forme de sur-explication des enjeux, d’explicitation systématique du sous-texte qui du coup devient un sur-texte, s’imposant à l’esprit du spectateur ou du lecteur d’une manière qui le prive de la possibilité de réfléchir, d’interpréter, de s’approprier.
La costaricaine Paz Fábrega, pour son premier long métrage, ne s’est pas inscrite dans cette regrettable tendance, loin s’en faut. Agua Fria repose sur une idée de départ que personnellement, je trouve fascinante : une petite fille raconte un mensonge à une adulte ; ce même mensonge produit, chez celle-ci, un écho troublant, déstabilisant. Dès lors, les deux personnages fascinent : d’un côté cette enfant solitaire et rêveuse dont les pensées et sentiments nous échappent, tout comme les raisons précises de son mensonge ; de l’autre cette jeune femme qui brusquement, semble rattrapée par quelque chose – non pas par un souvenir exact, mais par une réminiscence, une sensation, visiblement vénéneuse.
Ces deux personnages féminins, appartenant chacun à un milieu social radicalement différent (ce qui a certes son importance, mais le film ne se contente pas de jouer la carte, assez facile, de la prise de conscience sociale chez la classe bourgeoise : il est bien plus fin que cela), tracent un chemin dont les trajectoires sinueuses semblent guidées par des inspirations vagues, des peurs secrètes, des intuitions fugaces, et non par une démarche tout à fait consciente et volontaire.
La caméra de Paz Fábrega filme ces trajectoires parallèles (incarnées par deux comédiennes remarquables) avec un mélange de précision et de pudeur (dans plusieurs scènes, l’objectif reste immobile, à distance, comme lors des retrouvailles entre le père et sa fille). La réalisatrice joue essentiellement sur les impressions ; quand une question traverse le spectateur, le film se garde bien d’y répondre. Ce silence (duquel on peut tout de même déduire, assez facilement, des pistes d’explication) n’est pas une posture, c’est le sujet même de Agua Fria, du moins une partie de son sujet, à savoir ces émotions qui nous habitent, et qui parfois nous isolent des autres, sans qu’on puisse les qualifier avec précision, leur associer une explication psychologique limpide, une source bien visible au sein de notre expérience. La belle idée du film étant de réunir, dans cet espace indécis et flottant, une femme socialement privilégiée et une enfant des bidonvilles. La solitude et le mal-être transcendent la notion de classe. Le talent aussi.
Agua Fria met en parallèle deux personnages féminins qui ont de commun d'être habité par des émotions mystérieuses, incomprises par leur entourage, et aussi, en partie, par eux-mêmes. Fournissant juste ce qu'il faut de matière au spectateur pour que celui-ci puisse imaginer des hypothèses, Paz Fábrega semble vouloir stimuler avant tout l'intuition, la sensation, tout raisonnement clairement articulé étant, ici, forcément réducteur. Que le cinéma est inspirant quand il procède ainsi !
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