Film de Claude Chabrol
Année de sortie : 1970
Pays : France, Italie
Scénario : Claude Chabrol
Photographie : Jean Rabier
Montage : Jacques Gaillard
Musique : Pierre Jansen
Avec : Stéphane Audran, Jean Yanne, Roger Rudel, les habitants de Trémolat-en-Périgord.
Hélène : Vous aimez ça la logique, vous !
Popaul : Bah moi j’ai été quinze ans dans l’armée. Alors dans l’armée, il y a deux choses qu’on aime beaucoup parce qu’on les a pas, c’est la logique et la liberté.
Dans Le Boucher, la caméra de Claude Chabrol nous ballade dans les rues paisibles d’un village dordonnais pour nous y faire croiser le mal sous un visage désespérément humain.
Synopsis de Le Boucher
Hélène (Stéphane Audran), institutrice, et Paul (Jean Yanne), boucher, se rencontrent à l’occasion d’un mariage qui se déroule à Trémolat, un petit village du Périgord. Ils sympathisent et commencent à se voir régulièrement.
Pendant ce temps, à Trémolat, les voitures de police et les rumeurs circulent : une petite fille du village a été retrouvée morte, assassinée à l’arme blanche…
Critique du film
Dix-huitième long métrage du très prolifique Claude Chabrol, Le Boucher a été tourné à Trémolat, un petit village situé en Dordogne dont une partie des habitants ont participé au tournage en tant que figurants ou personnages secondaires. Le célèbre et regretté réalisateur le leur a d’ailleurs dédié ce qui reste aujourd’hui l’une de ses œuvres les plus reconnues.
Le Boucher s’ouvre sur une scène de mariage dont la mise en scène témoigne d’une approche pour le moins naturaliste, tant elle donne le sentiment d’assister à une véritable fête de famille dans la campagne française. On éprouve une impression comparable lorsque la caméra nous conduit dans les rues et chez les commerçants du village. La photographie de Jean Rabier, chef opérateur qui a éclairé tous les Chabrol de Les Godelureaux (1961) à Madame Bovary (1991), renforce cette impression de naturel, de même qu’un casting composé en partie (comme souligné ci-dessus) de comédiens d’un jour. Quant à la manière, extrêmement précise mais discrète, dont Chabrol utilise la caméra, elle est également en adéquation avec cette approche.
Avec le soin qu’on lui connaît quand il s’agit de rendre compte de l’environnement social et géographique propre à une histoire, Chabrol nous dépeint donc ici un village français typique, pour progressivement introduire dans ce cadre, sinon familier du moins très ordinaire, cette touche de noirceur, d’étrangeté et de morbide avec laquelle le cinéaste aimait tant composer des variations grinçantes sur le genre humain.
Une note dissonante s’immisce en effet rapidement dans le climat champêtre qui baigne les premiers instants du film. Les décors jouent un rôle essentiel dans ce processus : tandis que les petites rues tranquilles de Trémolat incarnent une vie paisible et banale, la forêt et surtout les grottes — celles que visite Hélène en compagnie de ses élèves et sur lesquelles s’inscrivent les crédits du générique — évoquent un monde plus inquiétant, plus ancien également (à l’image des peintures rupestres qui recouvrent les murs). Les grottes de Cougnac, où ont été tournées plusieurs séquences du Boucher, ont ainsi un caractère symbolique : elles évoquent d’une part l’inconscient, ce qui est caché ; mais aussi, tout simplement, la vie des premiers hommes, avant les civilisations. Or Le Boucher s’interroge sur les pulsions humaines dans ce qu’elles ont de plus sauvage, de plus primitif.
L’inconnu est plus déstabilisant lorsqu’il se révèle au sein d’un environnement habituel, quand il côtoie des impressions familières. C’est probablement l’une des choses qui semblait intéresser Claude Chabrol, son cinéma n’ayant eu de cesse d’explorer les manières sinueuses dont le mal, la folie, la violence cohabitent avec des apparences lisses et tranquilles.
Le mal est un thème récurrent dans ses films (c’est le thème principal de Merci pour le chocolat, par exemple) et il a souvent un visage très humain, d’où une impression de proximité qui génère des émotions confuses, à l’image de celles que l’on lit sur le visage de Stéphane Audran dans l’un des ultimes plans du Boucher. Cet aspect est renforcé par le regard, dénué de jugement apparent, que Claude Chabrol pose sur les événements et les personnages. Le mal que met en scène Le Boucher est donc à la fois révoltant, pathétique et désarmant. Ses sources, ainsi que le film le suggère par le biais de répliques allusives, sont à chercher du côté des guerres coloniales (en Algérie et en Indochine) et de l’héritage familial (une origine à laquelle Chabrol s’intéressera de nouveau dans La Fleur du mal). Mais ceci dit, le film cherche moins à expliquer le mal qu’à en illustrer la dimension troublante et ambigüe : les facteurs précités ne sauraient en effet expliquer, à eux seuls, le comportement du tueur.
Les deux personnages principaux et la relation qu’ils développent constituent la matière principale du Boucher. À la base, chacun d’eux devait faire l’objet d’un long métrage distinct et c’est lorsque Stéphane Audran confia à Chabrol (avec qui elle était mariée à l’époque) son envie de tourner avec Jean Yanne (Nous ne vieillirons pas ensemble) que le metteur en scène, qui avait déjà dirigé l’acteur dans La Ligne de démarcation et Que la bête meure, eut l’idée de les réunir dans une même histoire.
La rencontre entre cette institutrice moderne (et indépendante : la libération de la femme occidentale bat son plein à l’époque de la sortie du film), citadine (elle est originaire de la région parisienne) et ce boucher campagnard et tourmenté (beaucoup plus conservateur), c’est celle d’individus très différents mais tous deux profondément seuls et d’ailleurs, ils quittent ensemble le mariage qui ouvre le film — à ceci près que la solitude d’Hélène est en partie choisie, tandis que celle de Paul est subie, et source de frustration.
Claude Chabrol dira bien des années plus tard que Le Boucher fut touché par la grâce
, faisant allusion à la fois à un processus d’écriture rapide et efficace (il écrivit le scénario en un mois) et à des conditions de tournage idéales. Cela se ressent dans le résultat final, d’une grande cohérence. D’une grande ambiguïté aussi — comme tous les films de son auteur.
Énième variation Chabrolienne sur le mal et ses origines opaques, portrait troublant d'un bourreau pathétique et enfin récit d'une rencontre éphémère entre deux solitudes, Le Boucher s'inscrit parmi les plus belles réussites de son (génial) auteur.
2 commentaires
Présentation claire et concise de l’un des meilleurs films de Chabrol (avec « Landru », « Les Biches », « Que la bête meure » et « Alice ou la Dernière Fugue »). Stéphane Audran, justement primée, réalise l’idéal balzacien de la femme de trente ans (clin d’œil de la dictée) ; Yanne brille presque autant que chez Pialat, Mordillat ou Marboeuf. L’excellent et féministe « The Descent » métaphorisera d’autres grottes et cavités utérines. Alina Reyes songea-t-elle à cette fable sur l’inquiétante normalité en titrant le roman qui la fit connaître ?
Très réussi « The Descent » en effet ! Je ne connaissais pas Alina Reyes jusqu’à ce soir, mais je viens de lire (ici : http://www.liberation.fr/portrait/1999/04/20/alina-reyes-43-ans-projetee-par-le-boucher-sur-les-etals-des-librairies-elle-ne-cesse-depuis-de-tout_271469 ) qu’elle avait tiré son nom d’artiste d’une nouvelle de Cortázar, écrivain que j’admire… Voilà une femme de goût !