Film de Pascal Bonitzer
Pays : France
Année de sortie : 2019
Scénario : Pascal Bonitzer, Agnès de Sacy
Photographie : Pierre Milon
Montage : Elise Fievet
Musique : Bruno Coulais
Avec : Sara Giraudeau, Nicolas Duvauchelle, Anabel Lopez, Josiane Balasko, Nicolas Maury
Avec Les Envoûtés, Pascal Bonitzer adapte une nouvelle de Henry James qui exigeait beaucoup de subtilité et de sens de la suggestion. Deux qualités dont le cinéaste a su faire preuve ici.
Synopsis du film
Coline (Sara Giraudeau), pigiste dans un magazine féminin, se rend dans le Pays Basque français pour interviewer Simon (Nicolas Duvauchelle), un homme plutôt solitaire qui vit près de l’Artzamendi, aussi appelé « montagne de l’Ours ». Simon prétend que le fantôme de sa mère lui est apparu, le jour même de sa mort, et Leonora (Josiane Balasko), la patronne de Coline, pressent que ce témoignage devrait fournir une matière intéressante pour le prochain « récit du mois ».
Coline est plutôt sceptique, mais s’étonne néanmoins d’une troublante coïncidence : son amie Azar (Anabel Lopez) lui a en effet fait part d’une expérience similaire.
L’idée d’une rencontre entre Simon et Azar s’impose peu à peu, compte tenu de ce déroutant point commun ; mais curieusement, sa survenue va être empêchée par plusieurs facteurs…
Critique de Les Envoûtés
Lorsqu’en 2019, j’ai appris que le 8ème long métrage de Pascal Bonitzer en tant que réalisateur (il écrit beaucoup de scénarios pour d’autres) était basé sur la nouvelle Les Amis des amis, de Henry James, j’ai éprouvé une certaine méfiance. Mon admiration pour le texte en question (publié en 1896), mais surtout le sentiment que son adaptation au cinéma posait des difficultés certaines, expliquaient cette réserve. Certes, ce n’était pas la première fois qu’un texte du célèbre écrivain américano-britannique était porté à l’écran : Le Tour d’écrou a été adapté (brillamment) par Jack Clayton (Les Innocents, avec Deborah Kerr, co-écrit par Truman Capote) puis par Michael Winner (The Nightcomers, avec Marlon Brando), et le Portrait de femme de Jane Campion est basé sur le roman éponyme de James. Mais Les Amis des amis est beaucoup plus bref que les deux livres précités (et donc ne constitue pas une base suffisante pour un scénario de long métrage), tandis que l’histoire, et la façon dont elle est contée, ne semble pas se prêter particulièrement à une mise en image.
Écrit à la première personne, la nouvelle (sélectionnée par Jorge Luis Borges dans sa superbe collection de littérature fantastique) est formée des sentiments, impressions et souvenirs d’une narratrice qui n’assiste à aucun événement particulier, mais à laquelle on rapporte de supposés événements extraordinaires, et tout l’intérêt du récit vient du fait qu’elle reste extérieure à quelque chose. Par ailleurs les personnages, comme dans beaucoup de textes courts, sont certes finement esquissés par James, mais pas suffisamment développés pour tenir sur un long métrage.
Bêtement, je suis donc resté frileux à l’époque de la sortie des Envoûtés, ne lui donnant pas sa chance alors même que le cinéma français doit être particulièrement encouragé quand il s’aventure sur le territoire du fantastique – à la fois passionnant et mal compris dans l’hexagone, surtout lorsqu’il explore la confusion entre le réel et le magique. D’ailleurs, malgré sa renommée, Bonitzer a eu du mal à trouver un financement, et Les Envoûtés n’aurait sans doute pas vu le jour sans l’intervention du producteur Saïd Ben Saïd.
De son propre aveu, Pascal Bonitzer était tout à fait conscient des difficultés à adapter Les Amis des amis. Dans le même temps, l’ambiguïté propre au texte de James était l’opportunité de travailler sur un aspect essentiel du cinéma, à savoir le hors-champ (j’ai voulu donner toute sa puissance au hors-champ, a déclaré le cinéaste dans une interview). On retrouve en effet dans Les Envoûtés un aspect fondamental de la nouvelle : la jeune femme incarnée par Sara Giraudeau est confrontée indirectement à un possible surnaturel à travers l’expérience de deux de ses proches (sa meilleure amie et son amant), mais elle-même n’a pas accès à cette expérience, et cette position d’intermédiaire, de confidente extérieure est le moteur du récit. Comme la narratrice de la nouvelle, Coline ne peut que supposer, fantasmer d’une manière d’autant plus entêtante qu’une jalousie amoureuse vient exacerber son imagination.
Contrairement à ce que j’avais craint à l’époque de la sortie du film, Pascal Bonitzer rend bien compte de cette position entre-deux, qui incarne en elle-même la définition du fantastique réel. Avec sa co-scénariste Agnès de Sacy, il réécrit et développe les trois protagonistes, se montrant plutôt habile au niveau de la caractérisation. Coline est un personnage complexe ; elle possède un côté léger (le film comporte quelques touches d’humour bien distillées), lunaire même, toutefois on lui soupçonne peu à peu des expériences passées douloureuses que le film, intelligemment, n’explicite pas. Autour d’elle, Bonitzer imagine deux personnages d’artiste (ce qu’ils ne sont pas dans la nouvelle), suggérant ainsi que la pratique de l’art prédispose à voir l’invisible – ce qu’on peut juger comme étant un peu un cliché d’ailleurs, mais le film n’insiste pas trop sur cet aspect. Ces deux personnages semblent plus directement connectés, chacun à leur manière, à leurs émotions que ne l’est Coline (du moins au début du film).
L’autre bonne idée du scénario réside dans le choix des environnements. La montagne de l’Ours et ses environs, dans le Pays-Basque français (où vit Simon), offrent un décor dans lequel le mystère inhérent à l’histoire trouve un écho à la fois omniprésent et subtil. La réalisation exploite habilement ce paysage que Coline ne connaît pas, ce qui contribue d’ailleurs à son sentiment général de ne pas comprendre (Simon ; elle-même aussi) et de ne pas voir (ces hypothétiques apparitions fantomatiques dont Simon et Azar lui ont tour à tour parlé).
Les acteurs jouent tous bien leur partition tandis que scène après scène, le film nous place dans la position d’une Coline de plus en plus habitée par le soupçon, celui que quelque chose de secret, de merveilleux échappe à son regard, tout en reliant les deux personnes qui lui sont les plus chères. Or, et on le comprend peu à peu, l’idée d’être laissée de côté lui est insupportable, sans doute parce qu’elle la renvoie, comme indiqué plus haut, à des déceptions antérieures. Cette frustration atteint dans le film des dimensions peut-être un peu trop dramatiques qui, de mon point de vue, n’étaient pas forcément indispensables ; mais Bonitzer parvient le plus souvent à tenir cet accord délicat, légèrement dissonant, que produit la rencontre du quotidien et d’un questionnement fantastique, du réalisme et d’une perspective d’étrangeté. Il signe même une ou deux séquences franchement inquiétantes et bien amenées.
On pourra reprocher au réalisateur d’introduire un rebondissement final certes très efficace, mais qui vient quelque peu contredire le parti pris du texte initial, et qui m’a semblé à la réflexion assez peu crédible quant à la psychologie du personnage de Simon ; mais dans l’ensemble, Les Envoûtés procure un vrai plaisir de vision, en particulier si on aime les atmosphères ambiguës, la suggestion et les non-dits au cinéma. Notons aussi que Josiane Balasko et Nicolas Maury se montrent convaincants dans des rôles secondaires.
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Les Envoûtés parvient à saisir l'ambiguïté d'une des meilleurs nouvelles de Henry James grâce à une utilisation intelligente des décors, une mise en scène subtile et un trio de personnages qui fonctionne bien. S'il verse en de rares moments dans une dramatisation peut-être un peu excessive, le film de Bonitzer compte parmi les incursions intéressantes et réussies du cinéma français dans le genre fantastique, empruntant une voie évoquant par certains aspects le Personal Shopper d'Olivier Assayas.
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