Film de Stéphane Demoustier
Année de sortie : 2019
Pays : France
Scénario : Stéphane Demoustier
Phototographie : Sylvain Verdet
Montage : Damien Maestraggi
Musique : Carla Pallone
Avec : Melissa Guers, Roschdy Zem, Chiara Mastroianni, Anaïs Demoustier, Annie Mercier, Paul Aïssaoui-Cuvelier
La Fille au bracelet est un film de procès ambigu, qui esquisse un personnage féminin difficile à cerner et décrit une justice encline aux préjugés moraux. Pour ces raisons, il n’est pas radicalement éloigné de ce que proposera un peu plus tard Justine Triet dans Anatomie d’une chute.
Synopsis du film
Sur une plage de la côte Atlantique, la jeune Lise Bataille (Melissa Guers), seize ans, est arrêtée sous les yeux de ses parents, Bruno (Roschdy Zem) et Céline (Chiara Mastroianni). Elle est rapidement accusée du meurtre de sa copine Flora, bien qu’il n’existe pas de preuve indiscutable et accablante. Plus tard, son procès débute. Bruno s’y rend tous les jours, tandis que Céline demeure en retrait.
Peu à peu, la nature réservée et le comportement parfois décalé de l’accusée semblent jouer contre elle. Mais les faits demeurent troubles et ambigus…
Critique de La Fille au bracelet
Si l’année cinématographique 2023 a été marquée par deux excellents films de procès français, Anatomie d’une chute et Le Procès Goldman, La Fille au bracelet, sorti trois ans plus tôt (en février 2020, un petit mois avant le premier confinement lié à la pandémie de COVID), avait lui aussi été quasi unanimement salué par la presse, bien que n’ayant pas rencontré le même succès public que les films de Triet et de Kahn.
Le troisième long métrage de Stéphane Demoustier est parfois considéré comme une adaptation du film argentin Acusada alors qu’en réalité, Demoustier avait commencé à travailler sur La Fille au bracelet avant la sortie du film précité. En revanche, lorsqu’il a appris qu’un long métrage étranger basé sur une trame similaire au sien était en préparation, il a demandé à en lire le scénario, simplement pour s’assurer que celui-ci différait suffisamment du sien. Une fois rassuré sur ce point, Demoustier a continué d’écrire son film, et bien lui en a pris d’ailleurs : La Fille au bracelet est une réussite.
On peut à certains égards rapprocher ce film du dernier long métrage de Justine Triet : La Fille au bracelet et Anatomie d’une chute partent tous deux d’une affaire criminelle pour laquelle il n’existe (comme souvent) pas de preuve formelle indiscutable, d’aveu ou de témoignage accablant. Les procès liés à ce type de cas partagent des points communs importants : ils sont souvent ambigus, et accordent une place particulièrement importante à l’analyse de la personnalité, du mode de vie, voire des mœurs de la personne accusée. C’est ainsi : moins il y a de preuves formelles, plus on considère qu’il faut livrer tout un faisceau d’informations connexes à l’affaire, pour aider les jurés à se faire, malgré tout, une opinion.
Dans Anatomie d’une chute, le couple amoureux au centre du récit est analysé sous toutes les coutures, tandis que le tempérament de la suspecte (jouée par Sandra Hüller) est utilisé par l’accusation à ses dépens. La même mécanique se retrouve dans La Fille au bracelet : Lise Bataille est attaquée pour son apparence impassible, ses silences sont considérés comme louches et sa vie sexuelle est jugée trop débridée. De l’aveu même du metteur en scène, c’était d’ailleurs l’un des aspects du récit qui l’intéressait le plus : le décalage (générationnel ; moral…) entre les personnes qui jugent et l’accusée, symbole d’une adolescence forcément peu comprise par les adultes.
Heureusement, Lise Bataille n’est pas qu’un symbole. Le scénario, qui excelle dans l’art de ne pas trop en dire (qualité qui s’applique tout autant à la réalisation), parvient à en faire un personnage à la fois crédible et mystérieux, insaisissable et touchant, singulier et humain. Le jeu admirable de Melissa Guers n’y est pas pour rien : par ses regards, postures et intonations, elle compose une jeune fille complexe, d’autant plus difficile à cerner qu’intelligemment, Demoustier ne nous la montre jamais, à l’écran, telle qu’elle était avant le jour de son arrestation (qui est aussi celui du crime). Qui était-elle vraiment avant ce drame ? Nous n’avons que les propos, plus ou moins fiables et subjectifs, des uns et des autres pour tenter de se faire une idée sur ce point. Quant à la scène de l’arrestation, elle est filmée de loin : nous ne pouvons ainsi pas juger par nous-même de son attitude à cet instant précis, attitude pourtant commentée à un moment du procès.
C’est évidemment un choix conscient que de jouer sur le hors-champ. Même si la caméra quitte régulièrement la salle de procès, elle ne nous donne pas tellement plus d’informations que celles dont disposent les jurés, nous plaçant ainsi pratiquement dans la position de l’un d’entre eux. Une position inconfortable, où l’on est souvent assailli d’hypothèses flottantes, de sentiments troubles et d’intuitions confuses. Mais l’art est davantage affaire d’hypothèses que de certitudes.
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La Fille au bracelet stimule l'intuition du spectateur sans chercher à lui imposer une réalité binaire. Le film illustre entre autres un phénomène de décalage entre les mœurs d'une accusée et la morale de celles et ceux qui la jugent, comme dans La Vérité de Clouzot et comme dans le récent Anatomie d'une chute. Ce n'est pas pour autant la seule clé de ce récit à la fois simple et trouble, servi par une mise en scène précise et des interprétations tout en sobriété, dont celles de Melissa Guers et de Roschdy Zem, convaincant en père déterminé à soutenir, dignement, sa fille.
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