Film de Nicolas Boukhrief
Année de sortie : 2024
Pays : France
Scénario : Nicolas Boukhrief et Éric Besnard
Photographie : Éric Gautier
Montage : Lydia Boukhrief
Musique : ROB
Avec : Vincent Lindon, Karole Rocher, Stefan Virgil Stoica
Comme un fils est un beau drame dénué de pathos, qui met habilement en perspective deux problèmes sociétaux majeurs : la condition des mineurs isolés d’origine étrangère, et la difficulté à enseigner dans la France actuelle.
Synopsis du film
Jacques Romand (Vincent Lindon) a fait une pause dans sa carrière de professeur, suite à un événement qui a cristallisé les doutes et questionnements que lui inspire son métier. Un soir, il est témoin d’une agression dans une épicerie. Un jeune Rom, mineur, est arrêté à cette occasion.
Environ deux jours plus tard, en rentrant d’un dîner chez des collègues, Jacques trouve son domicile sens dessus dessous, et l’adolescent assoupi dans une chambre à l’étage. Il décide de ne pas appeler la police…
Critique de Comme un fils
C’est en voyant un sketch de Sami Ameziane sur les Roms que Nicolas Boukhrief a eu l’idée de l’histoire de Comme un fils, interpellé aussi bien par les blagues selon lui racistes débitées par l’humoriste que par l’hilarité générale qu’elles provoquaient dans la salle. Les Roms sont les damnés de la terre
, a t-il récemment déclaré dans une interview au Point. Ce n’est pas nouveau et d’ailleurs, cette communauté a été également victime du nazisme, comme le rappelle Victor (Stefan Virgil Stoica) – l’adolescent roumain sans papiers que tente d’aider Jacques Romand (Vincent Lindon) dans le film – à travers une réplique significative.
La matière de Comme un fils est assez riche. Le film parle d’immigration et plus spécifiquement des mineurs isolés, dont le gouvernement français se préoccupe peu, laissant aux associations le soin de combler un manque criant de moyens et de volonté – et c’est une réalité que décrit très bien le film. Au sein de cette catégorie déjà discriminée et laissée pour compte à la base, Victor représente une population encore plus marginalisée, les Roms (ils subissent le mépris de tout le monde, a déclaré le réalisateur dans un numéro de l’émission Jusqu’ici tout va bien, sur France Inter).
Mais Comme un fils traite aussi de la crise des vocation des professeurs, dont on parle beaucoup ces dernières années, évoquant aussi bien le désengagement de l’État (une réplique évoque le nombre élevé d’élèves par classe, qui est, rappelons-le, l’un des plus hauts en Europe) que la difficulté à évoquer certains sujets (en l’occurrence la Shoah) face à des élèves parfois radicalisés (et là, on songe aussi bien à l’assassinat de Samuel Paty qu’à un antisémitisme français qui, hélas, semble progresser au cours de ces derniers mois, sans doute nourri par la guerre en cours entre Israël et le Hamas). Et le film de mettre en perspective ces deux problématiques en organisant la rencontre d’un professeur désillusionné et d’un Rom délinquant (situation dont le cinéaste a rappelé, lors d’interviews, le caractère minoritaire), lesquels vont, en quelque sorte, s’aider mutuellement, chacun à leur façon.
Il n’est jamais évident d’aborder ce type de sujets sensibles et d’actualité sans tomber dans une description un peu mécanique et didactique, où le discours, la démonstration écrasent la narration. Nicolas Boukhrief évite ce piège avec grâce, intégrant les informations recueillies au cours de ses recherches dans un récit fluide et concis, peuplé de personnages dont la justesse découle autant d’une écriture rigoureuse (que l’on doit à Boukhrief et à Eric Besnard, un tandem éprouvé depuis Le Convoyeur) que d’une interprétation sans fausses notes.
Vincent Lindon, qui peut faire beaucoup de choses différentes mais qui semble naturellement taillé pour ce genre de personnages (des hommes droits, à la force tranquille), est impressionnant de précision. Sa présence et son jeu ont inspiré au cinéaste une réalisation en mouvement, deux caméras à l’épaule venant capter les gestes et expressions des acteurs sans pour autant s’agiter inutilement. Son jeune partenaire, un comédien casté en Roumanie, se montre également très convaincant, à l’image de l’ensemble du casting.
Bien sûr, on pourra affirmer que tout ceci suit un sentier balisé, une logique prévisible. Mais c’est une critique qui, en l’occurrence, me semble inadaptée. Quand on traite de sujets semblables, il me semble que la rigueur, la crédibilité et le réalisme doivent primer sur des effets dramatiques et des pirouettes narratives. Certes, le récit s’articule d’une façon guère surprenante – et après ? Il n’en est pas moins intéressant, enrichissant et nécessaire et cela sans être ni lourd, ni platement illustratif.
Personnellement, mon principal reproche, et il est mineur, concerne le fait d’avoir imaginé une relation amoureuse entre Jacques Romand et la responsable d’association jouée par Karole Rocher : cela me semble inutile (une belle amitié, par exemple, aurait amplement suffit) et surtout, caractéristique d’une facilité au cinéma, consistant à utiliser le motif amoureux comme un « bouche-trou » narratif. Heureusement, cette partie du scénario reste anecdotique, et Boukhrief la traite avec sobriété.
Ce petit défaut mis à part, on peut s’étonner de la réaction d’une partie de la presse, qui tantôt compare négativement le film avec le cinéma des frères Dardenne (qu’à titre personnel, je trouve très surestimé : Deux jours, une nuit est d’un pathos totalement indigeste à mon sens), tantôt évoque des clichés alors que le cinéaste en connait sans doute davantage sur son sujet que les journalistes en question. De son côté, le journal Le Monde pointe du doigt ce qui relèverait d’une forme de paternalisme, comme si un professeur aidant un enfant serait non pas une chose naturelle et souhaitable, mais une forme de patriarcat – or, non seulement il s’agit là d’une confusion qui me semble problématique, mais le journaliste du Monde oublie que dans Comme un fils, la transmission s’opère dans les deux sens. Les œillères de la bien-pensance lui ont sans doute masqué cet aspect pourtant fondamental de l’histoire du film…
Avec Comme un fils, Nicolas Boukhrief traite de sujets de société à travers un récit sobre et incarné, documenté mais jamais artificiel. Une réussite, qui prouve que le réalisateur du Convoyeur n'a rien perdu de sa lucidité et de son talent.
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