Film de Robert Budreau
Année de sortie : 2016
Pays : Canada, Royaume Uni
Scénario : Robert Budreau
Photographie : Steve Cosens
Montage : David Freeman
Musique originale : David Braid, Todor Kobakov, Steve London
Avec : Ethan Hawke, Carmen Ejogo, Callum Keith Rennie, Stephen McHattie, Janet-Laine Green, Tony Nappo, Kevin Hanchard
Avec Born to Be Blue, Robert Budreau évoque un épisode douloureux de la vie du grand Chet Baker sans grande inspiration, mais avec suffisamment de sincérité et de cohérence pour que son biopic s’élève au-dessus des nombreux ratages du genre. Quant à Ethan Hawke, il se sort fort bien d’un exercice d’autant plus périlleux qu’il assure lui-même ses parties chant.
Synopsis du film
En 1966, le chanteur et trompettiste Chet Baker (Ethan Hawke) traverse une période difficile. Arrêté pour possession et usage de drogues, il obtient une liberté conditionnelle, au cours de laquelle il débute le tournage d’un film consacré à sa propre vie. À cette occasion, il rencontre la comédienne Jane Azuka (Carmen Ejogo).
Un soir, le musicien est agressé par des dealers auxquels il doit de l’argent. Violemment frappé à la mâchoire, il perd plusieurs dents et se retrouve dans l’incapacité de jouer correctement de la trompette. Entamant une relation amoureuse avec Jane, Baker décide d’arrêter la drogue et de suivre un traitement à base de méthadone, tandis que sa compagne le pousse à pratiquer régulièrement son instrument.
Toujours en conditionnelle, Chet Baker doit travailler pour ne pas retourner en prison. Il rejoint un orchestre de jazz amateur qui se produit régulièrement dans un petit restaurant ; de son côté, Jane passe des auditions dans l’espoir de décrocher un rôle.
Un jour, Baker rend visite à son ami « Dick » Richard Bock (Callum Keith Rennie), qui a produit plusieurs de ses albums, dans l’espoir de retourner en studio. Jugeant que le musicien n’a pas encore le niveau, Dick refuse dans un premier temps. Mais peu à peu, le jeu du célèbre jazzman retrouve de sa superbe…
Critique de Born to Be Blue
Les biopics, et notamment ceux sur les musiciens, ont souvent du mal à convaincre. L’exercice semble synonyme d’un lourd cahier des charges où l’auteur, contraint de coller à une réalité plus ou moins connue, n’a finalement que peu d’espace pour imposer un point de vue, et pour s’éloigner d’une imitation un peu fade – voire franchement désincarnée – de son sujet. On sort souvent de la projection avec le sentiment qu’écouter un disque ou regarder un concert de l’artiste en question procurera infiniment plus de sensations et d’émotions que le long métrage balisé et un peu vain qui lui a été consacré. Walk the Line (James Mangold, 2005), fait partie des rares réussites du genre ; The Doors (Oliver Stone, 1991) a largement caricaturé Jim Morrison, même si la performance de Val Kilmer est excellente ; tandis que le Bird (1988) de Clint Eastwood procure un sentiment mitigé. Forest Whitaker est remarquable dans le rôle de Charlie Parker et certaines scènes – dont l’enregistrement sublime et douloureux du morceau Lover Man – sont très réussies, mais les arrangements sirupeux qui accompagnement les parties de saxophone du génial musicien laissent perplexe.
De Charlie Parker, il est d’ailleurs question dans ce Born to Be Blue qui, sans s’affranchir totalement des limites du genre, possède indéniablement quelques atouts. Déjà, le portrait qu’il fait du musicien (je dis bien du musicien : l’homme n’étant par définition connu que de ceux qui l’ont fréquenté, il est beaucoup plus difficile de se faire un avis sur ce point) est plutôt juste. Le film montre en effet assez bien que Chet Baker n’était pas, contrairement à beaucoup d’autres grands musiciens de jazz de l’époque, particulièrement impressionnant du point de vue purement technique. C’est avant tout son phrasé mélodique et aérien ; son « son » de trompette bien particulier ; sa voix tout aussi identifiable, légère et sensuelle (son père, dans le film, lui reproche d’ailleurs de chanter « comme une femme ») ; et plus généralement ce style très cool (sa musique est qualifiée de West Coast Cool Jazz ; il faut rappeler qu’il est originaire de Californie) qui ont fait son succès et, avec le temps, son aura légendaire. Son physique distinctif n’y est pas pour rien non plus : blanc, plutôt beau garçon, il ne ressemble pas aux autres jazzmen des années 50, et évoque plutôt un certain James Dean – ce que soulignent son côté un peu rêveur et lunaire, et ce romantisme tour à tour lumineux ou plus sombre, mais toujours profondément singulier.
S’il fallait le comparer à un autre chanteur de jazz, ou plutôt chanteuse, ce serait sans doute la bouleversante Billie Holiday, qui partage avec Baker une certaine fragilité vocale et un timbre qui donnent le frisson ; du côté des trompettistes, c’est vers Bix Beiderbecke (1903-1931) qu’il faut se tourner, grand musicien et compositeur qui a par ailleurs écrit de très belles pièces pour piano (dont Flashes), et qui était l’une des références majeures de Hoagy Carmichael (le compositeur, entre autres, de I Get Along Without You Very Well, dont Chet Baker a donné une jolie version).
Born to Be Blue illustre assez bien ces différents aspects de l’artiste, par exemple lorsque le trompettiste Dizzy Gillespie dit à Baker qu’il est toujours un peu en dessous de la note, « presque faux », mais que cela reste extrêmement doux à l’oreille, et surtout totalement unique. Tous les musiciens importants ont ce quelque chose d’unique qui, en effet, ne passe pas nécessairement par une grande virtuosité – en jazz comme ailleurs, certains brillants techniciens sont d’ailleurs terriblement ennuyeux à écouter.
La mise en scène de Robert Budreau tente d’évoquer l’esprit du jazz – et plus spécifiquement l’univers de Chet Baker – en préférant une narration un peu vague, où le récit principal est entrecoupé d’images fugaces, à un scénario plus linéaire et construit qui serait revenu de façon exhaustive sur la carrière du chanteur-trompettiste. Le parti pris est bon, le résultat un peu bancal – la caméra de Budreau n’a pas la grâce de la voix de Baker -, mais toutefois jamais déplaisant ou ennuyeux. Le cinéaste parvient à montrer ce qui fait du musicien un artiste, et un grand (du fait qu’il transmette une émotion intime, et qu’il ait son propre style), et reste concentré sur le point de départ du long métrage : ne pas aborder l’ensemble du parcours de Chet Baker, mais raconter avant tout son laborieux ré-apprentissage de la trompette, suite à la violente agression dont il a été victime au milieu des années 60.
C’est une idée assez belle, de filmer un artiste qui lutte pour se réapproprier son instrument (son corps même), et pour retrouver cette voix (au sens large) par laquelle il exprime sa poésie et sa sensibilité. Budreau ne parvient pas totalement à l’exprimer dans toute son intensité, mais la performance d’Ethan Hawke ré-équilibre l’ensemble. Habilement, la réalisation le cadre souvent de dos ou de profil, soit des angles de vue où il évoque de façon assez saisissante son modèle, tandis que le comédien a manifestement fait un gros travail sur son timbre, sa gestuelle et sa diction, sans jamais singer le personnage.
Mais là où Hawke convainc le plus, c’est dans les deux plus belles séquences de Born to Be Blue – à savoir les seuls moments purement musicaux, où l’on entend un morceau dans son intégralité. Ce n’est pas la voix de Chet Baker, mais bien celle de l’acteur que l’on entend ici, et le résultat force le respect.
Dans la première des scènes en question, Hawke interprète My Funny Valentine – standard dont Baker a donné la version la plus légendaire – ; dans la seconde, I’ve Never Been In Love Before. Certes, le fait qu’il s’agisse des meilleures séquences du film démontre bien que Budreau a besoin de la musique pour faire décoller un biopic honorable mais somme toute un peu plat – on aurait cependant tort de bouder son plaisir face à ces jolis moments.
Ajoutons également que Born to Be Blue a le bon goût d’adopter une certaine mesure par rapport aux addictions de Chet Baker. Le musicien a consommé des drogues dures jusqu’à la fin de sa vie, et le film constate cette réalité sans la condamner à outrance, et sans non plus lui donner une dimension romantique douteuse. Enfin, il faut souligner la présence de la très belle Carmen Ejogo, qui compose avec justesse la compagne du musicien dans le film (un personnage fictif).
Autour de Chet : le documentaire sur l’album hommage
Chet Baker est à l’honneur ces temps-ci, puisqu’un bel album hommage est sorti tout récemment en France. Réalisé par Clément Ducol, Autour de Chet comporte plusieurs classiques de Chet Baker (dont The Thrill Is Gone, But Not For Me, My Funny Valentine, It Could Happen to You, Born to Be Blue, etc.) interprétés par un quartet composé de Bojan Z (piano), Cyril Atef (batterie), Christophe Minck (basse) et Pierre-François Dufour (batterie et violoncelle). De nombreux artistes contemporains ont participé aux enregistrements, dont la chanteuse Camélia Jordana et le trompettiste Erik Truffaz (qui donnent tous deux une très belle version de The Thrill Is Gone), mais aussi le groupe Ibeyi, Benjamin Biolay, Stéphane Belmondo, Airelle Besson, Élodie Frégé, Sandra Nkake, Yael Naïm, Hugh Coltman, Rosemary Stanley, Piers Faccini, Alex Tassel, Jose James et Charles Pasi.
Sans génie mais sans faute de goût majeure, Born to Be Blue rend un hommage honorable à l'un des plus gracieux musiciens et chanteurs de jazz qui fut. Ethan Hawke l'incarne en confirmant une nouvelle fois ses talents d'acteur, mais aussi en témoignant d'un talent insoupçonné de chanteur, puisqu'il interprète lui-même deux chansons dans le film. Prochain biopic musical en vue : le Django d'Étienne Comar, qui ouvrira le Festival de Berlin 2017.
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