Film de Bernard Rapp
Pays : France
Année de sortie : 2000
Scénario : Bernard Rapp et Gilles Taurand, d’après le roman Goûter n’est pas joué de Philippe Balland
Photographie : Gérard de Battista
Montage : Juliette Welfling
Avec : Jean-Pierre Lorit, Bernard Giraudeau, Florence Thomassin, Charles Berling, Jean-Pierre Léaud, Artus de Penguern, Laurent Spielvogel, Anne-Marie Philipe
Servi par une écriture rigoureuse et une interprétation inspirée, Une Affaire de goût s’affirme comme un thriller psychologique d’excellente facture.
Synopsis du film
Antoine Rivière (Jean-Pierre Lorit) vaque de petits boulots en petits boulots, tout en coulant des jours tranquilles avec sa petite amie Béatrice (Florence Thomassin), qui travaille dans un kiosque à journaux. Un jour, alors qu’il est employé comme serveur dans un restaurant, Antoine est repéré par un puissant homme d’affaires, Frédéric Delamont (Bernard Giraudeau).
Celui-ci lui propose un travail bien particulier : celui de goûteur. Antoine devra l’accompagner dans ses nombreux dîners d’affaire et le conseiller sur les plats, en s’assurant notamment d’écarter le poisson et le fromage, des aliments auxquels Delamont est allergique.
De cette curieuse collaboration, dont l’entourage de Nicolas ignore la véritable nature, naît peu à peu une relation complexe et étrange, qui va transformer non seulement le quotidien mais également le comportement du jeune homme. Béatrice s’en inquiète, mais Nicolas semble curieusement aveuglé…
Critique d’Une Affaire de goût
Si le nom de Bernard Rapp a longtemps été associé à l’univers du journalisme et de la télévision (il a notamment présenté le J.T d’Antenne 2 de 1983 à 1987), la fin de sa carrière a largement été consacrée au cinéma. Il réalisa ainsi, de 1996 à 2004, quatre longs métrages et un téléfilm. Une reconversion hélas interrompue par son décès en 2006, dû à un cancer du poumon.
Une Affaire de goût est son deuxième film en tant que réalisateur, et il témoigne d’une maîtrise telle qu’on ne peut que regretter la trop courte durée de sa carrière cinématographique. Claude Chabrol qualifiera d’ailleurs ce film d’excellente surprise
. On ne s’étonnera pas d’une telle réaction venant de l’auteur de La Demoiselle d’honneur, qui n’aurait sans doute pas – en grand amateur de polar psychologique – rechigné à adapter lui-même le roman de Philippe Balland dont Une Affaire de goût est tiré.
À la base de l’histoire, il y a deux hommes, dont la relation tortueuse évoque une série de termes et de concepts (manipulation ; ascendant ; reconnaissance sociale ; narcissisme ; passion refoulée ; perversion ; etc.), sans qu’on ne puisse la résumer aisément. On en découvre l’évolution (inquiétante) et les différents aspects à travers un scénario qui alterne le récit chronologique des principaux événements du film (sous forme de flash-back), et des scènes se déroulant dans le présent, vraisemblablement au sein d’un tribunal de grande instance.
Ces séquences montrent notamment un juge d’instruction (interprété par Jean-Pierre Léaud) et une psychologue (Anne-Marie Philipe) tenter de comprendre un tant soi peu ce qui s’est passé entre Nicolas Rivière et Frédéric Delamont, suite au meurtre de ce dernier. Ces deux personnages (le juge et la psy) guident en quelques sortes le spectateur dans les interrogations multiples que suscitent naturellement les scènes de flash-back. Le procédé est simple mais efficace, et permet une lecture plus éclairée de l’histoire, bien que celle-ci conserve – et c’est l’une de ses forces – une part d’obscurité.
Une Affaire de goût est naturellement rythmé par les différentes étapes qui structurent la relation opaque entre Nicolas Rivière et Frédéric Delamont. Relation d’abord professionnelle, mais qui prend très rapidement une dimension envahissante et troublante. On pense à Une Étrange affaire (1981), de Pierre Granier-Deferre, qui décrit très bien comment un jeune cadre (Louis Coline, interprété par Gérard Lanvin) est manipulé par un manager charismatique (Michel Piccoli), au point que sa vie personnelle s’en trouve totalement bouleversée.
Par certains aspects, les deux films sont comparables. D’abord, la reconnaissance sociale est, chez Frédéric Delamont comme chez Louis Coline, un moteur qui les propulse tous deux dans les filets d’un riche et puissant prédateur. Ensuite, ce dernier use de techniques similaires, flattant leur proie pour ensuite mieux la rejeter, et ainsi de suite, entretenant ainsi un entêtant rapport de dépendance. Enfin, le manipulateur apparaît non pas seulement comme un homme constamment maître de lui-même – bien qu’il renvoie régulièrement cette impression – mais comme le jouet de ses propres névroses (voir par exemple la séquence où Delamont confie au docteur Rossignon – joué par Laurent Spielvogel – ses angoisses de petit garçon, toujours actives).
S’il est légitime de faire un parallèle entre ces deux excellents films, ils diffèrent cependant de bien des manières. On songe à un rapport père-fils dans le film de Granier-Deferre, tandis qu’Une Affaire de goût explore un registre plus sensuel, que suggère la fonction singulière proposée par Frédéric Delamont à Nicolas Rivière (goûteur). Sans parler de l’un des critères d’embauche de Delamont, confié par Flavert (Artus de Penguern) au juge d’instruction, et pour le moins étonnant : la bouche bien sûr
. Par petites touches, et notamment via le vocabulaire évocateur employé, à plusieurs reprises, par les deux hommes (je n’habite plus chez lui […], avec Delamont c’est terminé !
; et notre histoire, à nous, […] notre rêve de parfaite harmonie…
; […] un amour presque parfait…
; […] il est temps de nous séparer…
), Une Affaire de goût explore ce vertige sexuel qui, parce qu’il est totalement tabou (hors-champ, pour utiliser un terme cinématographique), pousse les personnages vers des comportements de plus en plus extrêmes et irrationnels.
Bernard Rapp orchestre avec beaucoup de finesse et de sobriété la valse déréglée qu’exécutent les protagonistes. Cela passe par une mise en scène intelligente, entièrement au service de l’histoire, et par des dialogues précis et rigoureux (écrits avec Gilles Taurand), lesquels traduisent subtilement les sentiments et intentions – souvent opaques – des personnages qui les prononcent.
La caractérisation de ces derniers est à la fois solide et nuancée. Le jeu des comédiens y est pour beaucoup : les compositions de Jean-Pierre Lorit et Bernard Giraudeau rendent parfaitement compte de la complexité de leurs personnages, et des multiples facettes de la relation manipulatoire qui les empoisonne peu à peu. Quant aux seconds rôles, de Florence Thomassin à Jean-Pierre Léaud, de Charles Berling à Artus de Penguern, ils apportent tous une touche précieuse à l’ensemble.
L’intelligence du film est de ne pas chercher à livrer une étude psychologique détaillée de l’affaire qu’il relate, mais plutôt d’interroger le spectateur, de lui suggérer des pistes, tout en jouant sur les non-dits et sans jamais chercher à expliquer définitivement le pourquoi du comment. Jusqu’au bout, les personnages garderont une part de mystère (comme dans Une Étrange affaire), et c’est souvent ce qui fait le sel de ce genre d’histoire.
Si l’on devait tenter une analogie entre le film et le curieux « métier » du personnage interprété par Jean-Pierre Lorit, on dirait qu’il allie des ingrédients bien identifiables à d’autres, plus obscurs. Indéniablement, la saveur (acide) d’Une Affaire de goût doit beaucoup à cet alliage savant.
Avec Une Affaire de goût, Bernard Rapp et Gilles Taurand décrivent une relation destructrice avec une précision saisissante. Le casting faisant honneur à cette écriture inspirée, c'est logiquement que le film se classe parmi les meilleurs thrillers psychologiques que le cinéma français nous ait livré au cours de ces vingt dernières années.
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