Film de M. Night Shyamalan
Pays : États-Unis
Année : 2015
Scénario : M. Night Shyamalan
Photographie : Maryse Alberti
Montage : Luke Franco Ciarrocchi
Musique : Paul Cantelon
Avec : Olivia DeJonge, Ed Oxenbould, Deanna Dunagan, Peter McRobbie, Kathryn Hahn
Tour à tour drôle et effrayant, The Visit est un film d’horreur efficace emmené par deux jeunes et talentueux acteurs, Olivia DeJonge et Ed Oxenbould.
Synopsis de The Visit
Rebecca (15 ans) et Tyler (13 ans) n’ont jamais rencontré leurs grands parents maternels. Et pour cause, leur mère, Loretta Jamison, s’est disputée avec eux quand elle était plus jeune, sans que la moindre réconciliation n’ait eu lieu depuis. Aussi, quand Loretta projette de partir en croisière avec son compagnon, les deux enfants y voient l’occasion rêvée de passer quelques jours chez leurs grands parents, dans la maison où leur mère a grandi.
Avec l’accord de cette dernière, ils prennent donc le train ensemble et sont accueillis à la gare par Doris et John (leurs grands parents maternels), qui les conduisent dans la ferme isolée où ils habitent.
Très vite, Rebecca et Tyler remarquent des comportements étranges chez leurs hôtes…
Critique du film
M. Night Shyamalan fait partie de ces réalisateurs automatiquement associés à un grand succès critique et/ou public qu’ils n’ont pas renouvelé ensuite, en tous cas pas dans les mêmes proportions. En l’occurrence, il s’agit de Sixième sens, connu pour son final bluffant – lequel peut faire vaguement songer au beaucoup moins célèbre Réincarnations (Dead and Buried, 1981).
Sixième sens est un exemple de mystification cinématographique, soit l’art de tromper totalement son public pendant une heure et demie. Un tour de magie, en quelques sortes, s’il fallait utiliser le mot (magie) qu’on associe un peu béatement – mais pas bêtement – au 7ème art. La limite de l’exercice est que le film supporte mal une seconde vision, dont l’intérêt réside principalement dans le recueil d’indices et de détails révélateurs ; mais ce serait toutefois un peu injuste de lui faire ce reproche. Dans tous les cas, et même si son habileté manipulatrice lui a sans doute conféré une aura un peu exagérée, Sixième sens contient les caractéristiques typiques du cinéma de Shyamalan, que l’on retrouvera (pas toujours pour le meilleur) dans la plupart de ses (inégaux) films suivants : son sens du rebondissement ; son penchant pour les récits initiatiques (ses personnages sont souvent confrontés à des épreuves qui les font évoluer, grandir) ; et ce malin plaisir à faire revenir au premier plan une anecdote ou une réplique sur laquelle le film s’était auparavant peu attardé (un aspect qui rejoint d’ailleurs souvent la dimension initiatique déjà évoquée, l’anecdote en question étant souvent révélatrice d’une peur ou d’un traumatisme que le personnage finit par affronter).
Plusieurs de ces éléments figurent dans son dernier long métrage, The Visit, qui, autant le dire de suite, est une réussite. S’il fallait classer ce film dans un vidéo club (une expression que l’on prononcera de moins en moins), ce serait au rayon horreur et, si le gérant est un maniaque du rangement, dans la sous-catégorie found footage. Deux nouveautés pour Shyamalan – certes, il y a des éléments horrifiques et surtout fantastiques dans plusieurs de ses précédents films, mais aucun d’entre eux n’est à proprement parler un film d’horreur, encore moins un found footage. Sous-genre qui, s’il comporte de franches réussites (Cloverfield, le premier Rec, etc.), des œuvres cultes (Cannibal Holocaust), des séries B sympathiques (Willow Creek) et des tentatives intrigantes mais bancales (The Midnight Swim), incite néanmoins à la méfiance, tant il a récemment donné lieu à de très oubliables films (on serait presque tenté de mettre ce terme entre guillemets) ayant en commun des images bordéliques, des invraisemblances scénaristiques et une écriture paresseuse, affranchie de la plus modeste ambition artistique. Indiscutablement, le found footage est parfois un prétexte idéal pour des réalisateurs qui n’ont pas envie de se fatiguer avec les cadrages, la photographie, le scénario – en résumé, avec le cinéma.
Mais bien que plusieurs de ses films soient d’une qualité discutable, M. Night Shyamalan (qui a produit récemment la série Wayward Pines, avec Matt Dillon) reste un metteur en scène rigoureux, et un cinéphile trop passionné pour aborder ce genre cinématographique dans le seul but de mettre en boîte un produit bâclé et brouillon. Que ce soit sur le plan formel ou au niveau de l’écriture, The Visit ne peut en effet être taxé d’aucun de ces termes peu flatteurs, pour bien des raisons.
D’abord, le réalisateur d’Incassable a le bon goût de faire de nombreux plans fixes (les enfants posent assez souvent la caméra), qu’il alterne habilement avec les cadrages plus mouvementés typiques du genre ; il évite ainsi l’effet de lassitude et de fatigue visuelle que le found footage provoque parfois. Ensuite, et c’est là une qualité essentielle, Shyamalan a écrit de très bons personnages, incarnés à merveille par les jeunes comédiens. On s’attache quasiment instantanément à ces deux adolescents dont la complicité et le jeu instaurent une dynamique – souvent comique – qui ne faiblit jamais et maintient constamment l’immersion et l’empathie du spectateur. Enfin, si on s’amuse beaucoup dans The Visit, on frémit aussi, et le film témoigne à ce niveau d’un équilibre assez rare. Cette justesse de ton, mêlant drôlerie et effroi, fait écho à la maîtrise formelle décrite plus haut, et le tout forme ainsi un ensemble d’une grande cohérence – ensemble au sein duquel les différents types d’émotions et les variations d’intensité sont dosés à la perfection.
Un sans fautes, serait-on tenté de dire, qui part d’une idée aussi simple qu’ingénieuse (deux adolescents rendent visite à des grands-parents inconnus, dans une ferme isolée), que l’auteur développe en usant de ses ressorts dramatiques habituels (The Visit est un autre exemple de récit initiatique dans sa filmographie) sans verser dans la mièvrerie dont certains de ses précédents longs métrages sont empreints, et avec une légèreté qui doit beaucoup aux performances d’Olivia DeJonge et Ed Oxenbould. Deux comédiens dont l’enthousiasme communicatif se conjugue à une personnalité suffisamment forte pour qu’on les accompagne tout au long de leurs (més)aventures en souhaitant ardemment qu’ils en sortent indemnes – une implication qui est la clé de la réussite de bien des récits horrifiques. De son côté, Kathryn Hahn (Les Noces rebelles, La Vie secrète de Walter Mitty) compose une mère attachante et sympathique, tandis que Deanna (O Deanna!
, comme dirait Nick Cave) Dunagan et Peter McRobbie excellent dans le registre inquiétant correspondant à leurs personnages respectifs.
On retrouve ici le côté « conte » très présent dans des films comme Le Village, du même Shyamalan ; comme les héros de The Visit sont des enfants et que l’action se déroule dans une maison isolée, on songe naturellement à Hansel et Gretel, conte populaire rendu célèbre par les frères Grimm, lesquels avaient sélectionné ce texte dans le premier volume des Contes de l’enfance et du foyer (1812).
The Visit offre un pur moment de plaisir pour qui aime rire et trembler au cinéma - jonglage émotionnel délicat que ce film d'épouvante exécute avec une maîtrise et un timing jubilatoires. Et au final, c'est avec l'un des plus petits budgets de sa carrière de réalisateur (5 millions de dollars) que M. Night Shyamalan a réalisé l'un de ses meilleurs films, pour ne pas dire son meilleur.
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