Film de Sally Potter
Année de sortie : 2017
Pays : Royaume Uni
Scénario : Sally Potter
Montage : Emilie Orsini, Anders Refn
Photographie : Aleksei Rodionov
Avec : Kristin Scott Thomas, Cherry Jones, Patricia Clarkson, Timothy Spall, Cillian Murphy, Bruno Ganz, Emily Mortimer
The Party met en scène, avec un sens du rythme indéniable, un texte vif et mordant, servi par d’excellents comédiens.
Synopsis du film
Jane (Kristin Scott Thomas) vient d’être nommée ministre de la santé au fameux cabinet fantôme (parti d’opposition) britannique. Elle organise une petite réception chez elle et son mari Bill (Timothy Spall) pour célébrer cet événement, qui consacre toute une vie d’engagement politique. Les invités sont April (Patricia Clarkson), une amie de longue date, son mari Gottfried (Bruno Ganz), Tom (Cillian Murphy), expert en finances, ainsi que Martha (Cherry Jones) et sa compagne Jinny (Emily Mortimer).
Jane est heureuse, bien sûr, mais peu à peu, entre un Bill curieusement dépressif et un Tom visiblement très nerveux, la situation va s’envenimer…
Critique de The Party
À l’occasion de la critique du thriller horrifique de Karyn Kusama intitulé The Invitation (2015) puis de celle de L’Ultime souper de Stacy Title (1996), j’avais eu l’occasion d’évoquer un sous-genre cinématographique souvent savoureux, qu’on appelle outre Atlantique les dinner parties from hell. Sous-genre qui regroupe les films mettant en scène une soirée et/ou un repas qui, d’une manière ou d’une autre, dégénère sérieusement.
Le récent The Party de Sally Potter s’inscrit dans cette tradition de films, en optant pour un ton résolument comique. La réalisatrice et scénariste britannique se sort fort bien de cet exercice certes, en l’occurrence, assez classique (comme le souligne à sa manière le choix du noir et blanc), mais qu’elle exécute avec une maîtrise et une élégance suffisantes pour convaincre. Il faut dire que tout est millimétré dans The Party, des dialogues au montage jusqu’à la durée, qui n’excède pas une heure et huit minutes – un sens de l’épure dont devraient s’inspirer bien des films contemporains, inutilement longs.
Potter insuffle à sa réalisation une belle dynamique, un swing qu’aucune séquence superflue ne vient altérer, tandis que le texte croque une truculente galerie de personnages qui se soutiennent ou s’écharpent, le plus souvent en musique – celle que passe le personnage de Bill (Timothy Spall) sur sa platine vinyle. En arrière plan, le film égrène des réflexions et constats sur l’engagement politique, sur le féminisme, et sur une démocratie dont la cinglante April (Patricia Clarkson) blâme l’inertie, face à l’idéaliste Janet (Kristin Scott Thomas). On pense, entre deux répliques, à l’actualité politique récente au Royaume Uni, marquée notamment par le Brexit – même s’il n’y ait fait aucune référence explicite et pour cause, ce n’est pas le sujet du film (qui est plus général, moins spécifique).
The Party exprime par ailleurs un amusant paradoxe : comment prétendre résoudre des problèmes sociaux et économiques infiniment complexes quand on ne parvient pas à mettre un minimum d’ordre dans sa propre vie privée ? Une réflexion, d’ailleurs, que Woody Allen avait formulée à sa manière à l’occasion d’une interview (donnée à Positif) autour de son célèbre film Manhattan.
C’est en effet un désordre (intime, idéologique, sociétal…) dramatique pour les personnages mais joyeux pour le spectateur (même s’il reflète une réalité amère) qu’orchestre ici Sally Potter avec brio, avec l’appui (essentiel) de comédiens aussi attachants que talentueux, et dont le plaisir de jeu est communicatif.
À propos du casting
Comme mentionné ci-dessus, le casting est l’un des points forts de The Party. Voici quelques mots sur chacun des 7 comédiens.
Kristin Scott Thomas est bien connue en France, puisque cette actrice britannique y vit – et y travaille – depuis très longtemps. En 1989, elle flirte avec Patrick Bruel dans Force majeure de Pierre Jolivet, mais c’est dans les années 90 qu’elle connaîtra parmi ses plus grands succès. Elle donne la réplique à Hugh Grant dans Lune de fiel (Roman Polanski, 1992) et dans le fort sympathique Quatre mariage et un enterrement (Mike Newell, 1994), une des plus célèbres comédies romantiques de la décennie 90. On la retrouve deux ans plus tard devant la caméra de Brian de Palma pour le premier (et meilleur de la série) Mission Impossible (1996), puis elle est nominée aux Oscars 97 pour son rôle dans Le Patient anglais (d’Anthony Minghella). Dans les années 2000, elle tourne dans les excellents Gosford Park (Robert Altman, 2001) et The Walker (Paul Schrader, 2007). Elle joue en 2010 dans l’ultime film d’Alain Corneau (Crime d’amour, dont Brian de Palma réalisera plus tard le remake, intitulé Passion). Elle confiait récemment avoir été ravie de lire le scénario de The Party, alors qu’elle envisageait peu à peu de prendre ses distances avec le cinéma. Il s’agit en tous cas d’une comédienne dont la filmographie est bien plus qu’honorable, et dont le charme et l’élégance traversent les années.
Patricia Clarkson (de nationalité américaine) a elle aussi tourné avec Brian de Palma, dès son premier rôle d’ailleurs, puisqu’elle interprète l’épouse d’Eliot Ness (Kevin Costner) dans Les Incorruptibles (1987). Sa carrière a croisé la route d’autres metteurs en scène importants dont Todd Haynes, Lars von Trier (dans Dogville, 2003), Lucky McKee (The Woods, 2006), Woody Allen (Vicky Cristina Barcelona, 2008) et Martin Scorsese (Shutter Island, 2010). À noter également, son rôle dans l’intéressant film fantastique et initiatique (trop méconnu) Wendigo, de Larry Fessenden. Évidemment, ceux qui ont vu et aimé la série culte Six Feet Under se souvienne de Patricia Clarkson dans le rôle de Sarah O’Connor, personnage qui apparaît au cours de la deuxième saison.
Le suisse Bruno Ganz a débuté sa carrière avec Eric Rohmer (La Marquise d’O…, 1976). Il a par la suite tourné à trois reprises avec Wim Wenders. Wolfgang Petersen, Werner Herzog, Théo Angelopoulos et Jonathan Demme ont également fait appel à lui, mais c’est pour son rôle d’Hitler dans La Chute (2004) qu’il est le plus connu en France. On le verra en 2018 dans le prochain film de Terrence Malick, qui malheureusement risque d’être aussi vain, soporifique et prétentieux que toutes les dernières réalisations de l’auteur des Moissons du ciel (1978). En tous cas, Ganz est parfait dans The Party, où il campe un coach zen avec brio, formant un couple contrasté avec sa toute aussi talenteuse partenaire (Patricia Clarkson).
Cherry Jones a travaillé avec M. Night Shyamalan pour Signes et Le Village, qui ne sont pas les plus franches réussites de leur auteur – ce qui n’enlève rien aux qualités de la comédienne. Jones tourne beaucoup dans des séries TV : on l’a ainsi vue récemment dans la brillante série dystopique Black Mirror. On peut également la voir dans Le Complexe du castor de Jodie Foster.
De son côté Cillian Murphy tient l’un des rôles principaux dans la série à succès Peaky Blinders. Cette année, on l’a vu chez Ben Wheatley dans le drôle, absurde et macabre Free Fire. Sa performance dans Sunshine (2007), un assez bon film de science-fiction de Danny Boyle, avait été saluée à l’époque.
La filmographie du célèbre Timothy Spall est particulièrement prestigieuse, puisqu’on y croise les noms de Bernardo Bertolucci, Clint Eastwood, Mike Leigh (Secrets et mensonges, en 1996) et Patrice Chéreau (Intimité, 2001). Il forme un tandem savoureux avec Michael Sheen dans le très réussi The Damned United (2009) de Tom Hooper, consacré à la carrière de Brian Clough.
La pétillante Emily Mortimer a joué, comme Patricia Clarkson, dans Shutter Island, mais également dans l’excellent Match Point (2005) de Woody Allen et dans Harry Brown (2009) de Daniel Barber.
Bande-annonce de The Party
The Party est une comédie alerte, d'une grande précision dans sa forme. C'est aussi l'exemple même d'un divertissement intelligent et de qualité, à l'élégance toute britannique.
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