Film d’Arthur Penn
Année de sortie : 1976
Pays : États-Unis
Scénario : Thomas McGuane
Montage : Dede Allen, Gerald B. Greenberg et Steven A. Rotter
Photographie : Michael Butler
Avec : Marlon Brando, Jack Nicholson, Harry Dean Stanton, Kathleen Lloyd, John McLiam.
Robert Lee Clayton: Always finish the work. And… I don’t give a damn whether or not I get paid.
The Missouri Breaks est un western singulier porté par la composition décalée de Marlon Brando. Un film qui – comme beaucoup d’autres du même genre à l’époque – porte un regard critique sur la fin de l’American old West et la toute puissance des riches propriétaires.
Synopsis de The Missouri Breaks
David Braxton (John McLiam), grand propriétaire du Montana, engage un « régulateur », Lee Clayton (Marlon Brando), pour traquer et assassiner Tom Logan (Jack Nicholson) et sa bande, des voleurs de chevaux notoires.
Tom Logan, écœuré par la pendaison – sans jugement – d’un ami à lui (pendaison dont il sait qu’elle a été commanditée par David Braxton), achète un ranch voisin de celui du riche exploitant. Dès lors, Lee Clayton va attendre le bon moment pour se débarrasser, un à un, des différents membres de la bande…
Critique
Un western typique du nouvel Hollywood
Arthur Penn est une figure emblématique du nouvel Hollywood. Ce réalisateur majeur a révolutionné la représentation de la violence au cinéma (notamment dans Bonnie and Clyde) et s’est attaché, dans la plupart de ses films, à dépeindre une Amérique violente, en partie irresponsable (La Poursuite impitoyable) et dépourvue de repères (Night Moves). Il a déjà réalisé deux westerns (Le Gaucher et le célèbre Little Big Man) quand il tourne The Missouri Breaks.
Ce film, s’il demeure très atypique, s’inscrit dans la droite lignée des grands westerns américains de la décennie 70, qui pour la grande majorité d’entre eux présentent les caractéristiques suivantes :
- la disparition du héros de western traditionnel ;
- un regard critique sur la transition entre l’American old West et une société plus moderne, avec ses avantages (développement des transports, de l’éducation…) et ses inconvénients (une justice à la solde des riches éleveurs, au détriment des fermiers indépendants, par exemple).
Ainsi, dans Butch Cassidy et le Kid, de George Roy Hill, Pat Garrett et Billy the Kid de Sam Peckinpah, John MacCabe de Robert Altman et surtout La Porte du paradis de Michael Cimino, les puissants propriétaires (voire les plus hauts fonctionnaires de l’État dans certains cas) sont dépeints comme des êtres cyniques, violents, qui écrasent les faibles, les hors-la-loi, les immigrés (La Porte du paradis) et les entrepreneurs indépendants (John McCabe). Inversement, les êtres en marge du système sont traités avec une certaine compassion (sans être forcément idéalisés). Un point de vue qui est probablement à mettre en relation avec contexte social et politique de l’époque aux États-Unis, et avec le développement de la contre-culture.
The Missouri Breaks révèle la même approche que les films précités : Tom Logan et sa bande sont certes des voleurs de chevaux mais ils sont tous plutôt sympathiques et ne tirent pratiquement pas le moindre coup de feu pendant le film. De l’autre côté, le propriétaire David Braxton n’a pas de scrupules à faire pendre un homme sans procès, tandis que le régulateur engagé par ses soins, Lee Clayton (Marlon Brando), est carrément un psychopathe.
Le film prend également à contrepied les autres codes du genre : il y a très peu de gunfights et ceux-ci sont plus réalistes, moins dramatiques que dans les westerns classiques ; les personnages féminins sont plus forts et indépendants (la révolution sexuelle est passée par là) ; et l’approche des relations homme/femme est résolument moderne.
Ce qui est intéressant c’est que le personnage de Tom Logan – un hors-la-loi, donc – représente quelque part l’américain dans le sens très traditionnel du terme, qui se découvre, en achetant un ranch d’abord par pure provocation, un véritable amour de la terre. Il n’aspire finalement qu’à une vie paisible de fermier. Ce respect de la terre et des hommes qui la cultivent se retrouve même dans Easy Rider, où les deux motards campés par Peter Fonda et Dennis Hopper se montrent admiratifs et respectueux envers les honnêtes exploitants indépendants qu’ils croisent sur leur route. Le cinéma américain des années 70 pose donc souvent un regard rêveur et nostalgique sur un certain idéal américain, avec ses travailleurs honnêtes, ses fermiers indépendants, etc. ; idéal perverti par le système et par les puissants. The Missouri Breaks est clairement représentatif de ce point de vue.
La composition extraordinaire de Brando
Incontestablement, The Missouri Breaks doit beaucoup à la composition de Marlon Brando, qui campe un tueur improbable, complètement fou, très maniéré, qui « pue le lilas » et n’a pas son pareil dans l’univers du western. Vide de toute motivation concrète et matérielle – on finit par découvrir que l’argent lui apporte peu, et on lui devine sans peine une indifférence totale à l’égard de la justice -, son personnage s’exprime et se comporte de manière totalement absurde, comme dans cette séquence où il attaque la ferme de Logan pendant la nuit, déguisé en grand-mère (une idée de l’acteur).
Une folie traduite par les mimiques précieuses et la diction étrange de Brando, lequel relève clairement l’intérêt d’un film qui, s’il demeure intéressant à bien des égards, n’est pas le meilleur d’Arthur Penn. D’ailleurs, le projet semble s’être davantage monté du fait que Brando, Nicholson et Arthur Penn avaient envie de travailler ensemble que par la conviction que le scénario (loin d’être dépourvu de qualités) allait donner un grand film. Il faut admettre que plusieurs séquences sont assez fades et que les personnages se voient accorder un traitement inégal ; par exemple, les membres de la bande de Tom Logan ont du mal à exister vraiment, en dehors de celui incarné par Harry Dean Stanton (et bien entendu de Logan lui-même). C’est ainsi que les scènes où Brando n’apparaît pas sont parfois moins intenses, plus brouillonnes que les autres.
Selon de nombreuses sources, Brando se serait avéré totalement ingérable sur le tournage (une réputation qu’il se traînait depuis Les Révoltés du Bounty), au point qu’Arthur Penn aurait renoncé à le diriger. Or le réalisateur lui-même a totalement démenti cette version des faits, confiant que les deux hommes avaient beaucoup réfléchi ensemble sur le personnage de Lee Clayton ; par exemple, Marlon Brando eut l’idée de changer de tenue à chaque séquence (illustrant ainsi le caractère insondable du personnage) suite à des propos tenus par Penn.
Face à Brando, Jack Nicholson est juste mais son personnage, plus ordinaire, lui laisse finalement moins de choses intéressantes à explorer ; de fait, dans les scènes qui réunissent les deux hommes, c’est surtout Brando qui vampirise l’écran, même si son partenaire est irréprochable.
En dépit de ses faiblesses, The Missouri Breaks est un western à la fois typique du Nouvel Hollywood et profondément singulier, notamment de par la caractérisation déroutante du régulateur
campé par Marlon Brando. On notera également la présence de Harry Dean Stanton, qui a participé à d'excellents films dont L'Ouragan de la vengeance, de Monte Hellman, Pat Garrett and Billy the Kid, de Sam Peckinpah, Le Parrain II, de Francis Ford Coppola, Alien, de Ridley Scott, Paris Texas, de Wim Wenders, Fool for love de Robert Altman et Sailor et Lula, de David Lynch.
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