Film de Daniel Grove
Pays : États-Unis
Année de sortie : 2016
Scénario : Daniel Grove et Reza Sixo Safai
Photographie : Steven Capitano Calitri
Montage : Brian Scofield
Musique : Photek
Avec : Reza Sixo Safai, Helena Mattsson, Parviz Sayyad, Laura Harring, Dominic Rains, Julian Sands, Nikolai Kinski, Gregory Kasyan
The Loner mêle des ingrédients du cinéma noir à des thèmes et à une esthétique profondément actuels et modernes. Un premier long métrage prometteur pour Daniel Grove.
Synopsis du film
Behrouz (Reza Sixo Safai) vit à Los Angeles. Traumatisé par ses souvenirs d’enfant-soldat pendant la guerre ayant opposé l’Iran à l’Irak dans les années 80, il consomme quotidiennement de l’opium, tout en rêvant d’une vie meilleure avec sa maîtresse Oksana (Helena Mattsson).
Lors d’une soirée, il croise Lola (Laura Harring), la compagne du redoutable Cirrus (Parviz Sayyad), un gangster pour le compte duquel Behrouz a travaillé avant de se ranger dans l’immobilier. Lola lui propose de se rendre chez Cirrus pour une partie de poker ; guère enthousiaste, Behrouz accepte, mettant sans le savoir les pieds dans un engrenage…
Critique de The Loner
La palissade blanche d’un jardin, s’élevant derrière une rangée de fleurs délicates, le tout filmé en contreplongée : l’image rappelle l’un des plans présents dans la scène d’introduction de Blue Velvet (1986), de David Lynch. Puis un homme – le personnage principal de The Loner – entre soudain dans le cadre et le titre du film s’affiche.
Ce plan nous dit beaucoup de choses sur The Loner, le premier long métrage du jeune réalisateur Daniel Grove. D’abord, que ses auteurs comptent parmi leurs influences le cinéma de David Lynch ; une filiation que l’on ressentira d’une part à travers l’esthétique du film, et d’autre part du fait de la présence de Laura Harring, l’une des principales interprètes de Mulholland Drive (2001). Pour comprendre le second indice contenu dans ce plan significatif, il faut se souvenir de la scène de Blue Velvet à laquelle il fait référence. Dans la scène en question, Lynch enchaîne les plans qui véhiculent le stéréotype de la petite ville américaine tranquille ; à l’issue de la séquence, juste après qu’un vieil homme qui arrosait son jardin ait perdu l’équilibre – vraisemblablement victime d’une attaque cardiaque -, la caméra se rapproche du sol pour y filmer des insectes grouillants, symboles des découvertes troublantes auxquelles Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan) va être confronté dans le film. Si le sujet de The Loner n’a aucun rapport avec celui de Blue Velvet, le parallèle vient ici du fait que Reza Sixo Safai et Daniel Grove ne veulent pas nous parler de l’Amérique des palissades blanches et des jardins fleuris, mais d’une Amérique plus complexe, hétérogène et multi-culturelle. Leur film est d’ailleurs – en partie – une réaction à la manière souvent caricaturale et simpliste dont Los Angeles est, selon eux, souvent représenté au cinéma.
En partie, car The Loner ne s’est pas construit sur une opposition à un cinéma ou à une tendance, mais bel et bien sur une expérience personnelle. Reza Sixo Safai, principal interprète et producteur du film, a en effet récemment perdu son oncle iranien, qui vivait toujours en Iran et qui avait participé à la guerre Iran-Irak (1980 -1988). Admiratif de cet oncle qui s’était engagé alors que son statut social ne l’y contraignait pas (il considérait qu’il n’était pas juste que seuls les membres des classes inférieures aillent au front), Reza Sixo Safa a commencé à imaginer le personnage de Behrouz, cet américain d’origine iranienne hanté par sa traumatisante expérience en tant qu’enfant-soldat au cours du conflit précité.
Ce background atypique dans le cinéma noir américain apporte d’emblée à The Loner un cachet particulier, d’autant que Reza Sixo Safai prête au personnage un charisme et une aura indéniables. Behrouz est à la fois élégant, désinvolte, énigmatique, d’une beauté légèrement efféminée (comme le soulignent ses ongles roses) et totalement accro à l’opium, la drogue qu’il a choisie pour chasser – sans grand succès – les souvenirs terrifiants de sa jeunesse sacrifiée. Nous le suivons avec intérêt car, en dehors de sa personnalité propre, il est aussi l’écho d’une partie de l’histoire récente (dont les conséquences résonnent encore aujourd’hui) et d’une réalité hélas encore actuelle (les enfants-soldats). Il reflète également, ainsi que l’a souligné Daniel Grove lors du débat suivant la projection de son film au Champs-Élysées Film Festival, le fait que la population de Los Angeles s’est développée partiellement via des vagues migratoires liées à des guerres et conflits divers.
L’une des particularités du film est de mêler ce contexte profondément ancré dans la réalité à une esthétique extrêmement sophistiquée (Grove cite donc Lynch parmi ses influences, mais aussi Gaspard Noé). Cette esthétique créé une atmosphère assez planante, parfois onirique, que renforce la bande originale composée par le britannique Photek (de son vrai nom Rupert Parkes). The Loner s’inscrit donc dans ce que l’on appelle communément le réalisme magique – un parti pris visuel d’ailleurs assez cohérent si l’on tient compte du fait que son protagoniste est intoxiqué à l’opium.
Nous sommes donc ici face à un film noir profondément moderne dans ses thématiques et dans ses personnages – raison pour laquelle on parlera d’ailleurs de néo-noir. Ce qui est intéressant, c’est que le film se garde de toute approche communautaire, à l’image de leurs auteurs, deux américains ayant des origines étrangères et qui se voient avant tout comme des citoyens du monde
. Une réplique d’Oksana reflète ce point de vue : alors que Behrouz lui demande de négocier avec Evgeny (Julian Sands) parce qu’ils sont tous deux d’origine russe, la jeune femme souligne la faiblesse de l’argument. Par ce court échange, Daniel Grove et Reza Sixo Safai semblent nous dire que les héros
du film ne sont pas les représentants d’une communauté – s’ils portent en eux une histoire liée en partie à leurs origines, ce sont avant tout des individus qui cherchent à être libres et à tracer leur propre chemin.
The Loner est servi par une belle galerie de comédiens, alliant les jeunes talents (Dominic Rains, vu – comme Reza Sixo Safai – dans A Girl Walks Alone at Night ; la suédoise Helena Mattsson, qui est apparue dans American Horror Story et la série Fargo) et les acteurs confirmés tels que Julian Sands (Chambre avec vue). Sans oublier bien sûr, comme mentionné au début de cet article, la somptueuse (et trop rare) Laura Harring, qui interprète ici une brune lascive dont l’apparence et l’attitude renvoient à la mythologie du film noir – et bien entendu à Mulholland Drive, cet inoubliable et lynchéen rêve cinématographique dans lequel elle donnait la réplique à Naomi Watts.
The Loner est un film noir atypique, très moderne dans ses préoccupations et son point de vue. Son esthétique léchée s'inscrit dans un réalisme magique en phase avec l'état d'esprit du personnage principal, qui flotte entre un passé traumatisant, un quotidien difficile et des rêves d'opium. Une première œuvre audacieuse, qui justifie qu'on s'intéresse de près au parcours de ses auteurs - mais aussi de ses différents comédiens. On regrettera simplement une caractérisation un peu simpliste du côté des bad guys incarnés par Julian Sands et Parviz Sayyad, contrastant avec l'épaisseur des autres personnages. Il est probable, ceci dit, que les trafiquants de leur espèce ressemblent à des caricatures...
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