Film de Guillaume Nicloux
Année de sortie : 2016
Pays : France
Scénario : Guillaume Nicloux
Photographie : Christophe Offenstein
Montage : Guy Lecorne
Musique : Éric Demarsan
Avec : Gérard Depardieu, Audrey Bonnet, Swann Arlaud, Xavier Beauvois, Didier Abot
C’est le même endroit qui recommence à l’infini. C’est comme dans une bulle, à la con.
Avec The End, Guillaume Nicloux réalise le premier projet exclusivement élaboré et produit pour le e-Cinéma en France. Le résultat est un conte fantastique et psychanalytique dans lequel le metteur en scène parvient à créer une atmosphère avec peu de moyens, aidé par l’aura et la présence très fortes de Gérard Depardieu.
Synopsis du film
Un homme part chasser de bon matin en forêt. Assez rapidement, il perd son chien et s’égare lui-même en tentant de le retrouver. Il ne reconnaît plus bien cet endroit dans lequel il s’est pourtant rendu très fréquemment, et la nuit tombe alors qu’il n’est pas parvenu à retrouver son chemin.
Quand il s’éveille le lendemain matin, le chasseur constate cette fois la disparition de son fusil…
Critique de The End
La rapidité : c’est semble-t-il l’une des principales raisons pour lesquelles Guillaume Nicloux et la productrice Sylvie Pialat ont choisi le e-Cinéma pour distribuer The End. Le réalisateur-écrivain (à qui l’on doit entre autres quelques bons films policiers – dont Une Affaire privée, avec Thierry Lhermitte) et Gérard Depardieu, qui avaient déjà travaillé ensemble pour Valley of Love, partageaient le désir d’une nouvelle collaboration, et ce dans de courts délais. Or entre des financements plus rapides à obtenir et une sortie moins lourde à gérer qu’une distribution dans les salles, le e-Cinéma présente des avantages non négligeables quand on souhaite avancer rapidement.
Au-delà de cet aspect purement pratique, c’est une voie qui ouvre de réelles possibilités artistiques et qui semble particulièrement adaptée à des projets un peu hors norme, surtout quand on connaît la frilosité des distributeurs à l’égard de ceux-ci (lire à ce sujet l’article Projet de loi relatif à la liberté de création : la colère de la SRF). De ce seul point de vue, The End mérite déjà qu’on s’y attarde, même si ce n’est (heureusement) pas uniquement son mode de distribution qui le rend intéressant.
Le scénario est basé sur un rêve de Guillaume Nicloux, et même si bien évidemment il y a eu un travail d’écriture ultérieur et des ajouts divers, l’essentiel du matériau provient bel et bien d’une nuit de sommeil, visiblement pas très sereine. L’errance de Gérard Depardieu (Police, Loulou, Le Grand embouteillage) se déroule en effet dans un climat qui très rapidement se révèle anxiogène, et que la réalisation parvient à maintenir sur la durée en utilisant habilement le décor (la belle forêt de Fontainebleau) et la bande-son. Climat largement imprégné de fantastique, et qui devrait d’ailleurs séduire les amateurs du genre (dont fait partie l’auteur de ces lignes), du moins ceux qui y recherchent non pas forcément des péripéties spectaculaires, mais avant tout une atmosphère et une sensation d’étrangeté.
Car de péripéties spectaculaires, The End est totalement dépourvu : très épuré dans son développement et dans sa réalisation, le film nous donne essentiellement à voir un Gérard Depardieu à la fois imposant et désemparé chercher son chemin au cœur d’une forêt hostile, énigmatique, et éminemment symbolique. Le cadre de l’action est en effet particulièrement propice à l’expérience déroutante vécue par le personnage, et par Guillaume Nicloux dans son fameux rêve. C’est qu’on lui prête bien des significations et qu’on l’associe à bien des choses, cette forêt, selon les contextes : dans le folklore, elle dissimule des êtres, des esprits ou des animaux fantastiques, abrite des croyances diverses qui sont autant d’incarnations de nos peurs ou/et de nos fantasmes ; dans de nombreuses religions, l’arbre a une dimension sacré, et son enracinement dans la terre, conjugué à son mouvement vers le ciel, en a fait un vecteur idéal entre la vie terrestre et l’au-delà ; en psychanalyse, enfin, la forêt est fréquemment le symbole de l’inconscient.
C’est plutôt sous cet angle (psychologique) que Guillaume Nicloux filme la forêt seine-et-marnaise dans The End, même si cela n’entre bien entendu pas en contradiction avec des références folkloriques et/ou religieuses – d’ailleurs, un plan du film montre deux branches d’arbre formant une croix, soit une évocation religieuse particulièrement évidente. Au cours de ses déplacements hasardeux, l’homme (le protagoniste n’a pas de nom) croise deux personnages (dont l’un est joué par Swann Arlaud, vu dans Ni le ciel ni la terre) qui, chacun à leur manière, pourraient bien être des projections de ses propres peurs, de sa violence, de sa culpabilité, etc. – à chacun, en réalité, d’interpréter tout cela en ce sens que le metteur en scène non seulement ne donne pas de clés à proprement parler (bien que quelques bribes de dialogues nous éclairent ça et là), et n’a sans doute pas lui-même chercher à décrypter son propre rêve outre mesure ; après tout un film, un livre ou n’importe quel objet d’art a parfois (souvent ?) davantage vocation à poser des questions qu’à y répondre. La mort, les regrets et remords sont omniprésents, qu’ils soient évoqués par le biais d’une réplique allusive (c’est pas moi !
; j’ai fait des saloperies, un bon paquet
), ou par une image spécifique (les scorpions).
Quelles que soient les lectures psychanalytiques (ou autres) que The End suscitera, l’argument du film reste, il faut bien le dire, assez mince, mais aux qualités de mise en scène déjà évoquées s’ajoute un autre facteur, et non des moindres : Gérard Depardieu. Quand on choisit d’en dire peu sur un personnage et une histoire, il est préférable d’avoir un acteur qui raconte quelque chose par sa seule présence. C’est le cas de Depardieu, un sur-acteur
qui ne donne jamais l’impression de jouer sans pour autant faire la même chose dans ses différents films (et même en adoptant des registres incroyablement variés, si l’on considère l’ensemble de sa carrière). Ici il grogne, marche (péniblement), parle, marmonne, donne corps au rêve troublant du cinéaste – comme il l’aura d’ailleurs fait bien des fois par le passé, quoique de manière plus indirecte -, incarnant un récit à la fois ténu, modeste et intriguant.
Bande-annonce
Quelles que soient les limites de son histoire, limites d'ailleurs probablement assumées par l'auteur, The End nous propose quelque chose, à savoir une atmosphère et un personnage. Il faut l'aborder comme on aborde une nouvelle fantastique qui tiendrait en quelques pages, juste ce qu'il faut pour procurer des sensations et soulever quelques idées. Ce sont déjà là des qualités qui manquent à bien des films visibles dans les salles et de ce point de vue, on a hâte de découvrir ce que le e-Cinéma nous donnera à voir dans les prochaines années, avec l'espoir que ce support permettra l'émergence de projets différents, personnels et singuliers, à l'image de celui-ci.
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