Film de Gilles Marchand
Année de sortie : 2003
Pays : France
Scénario : Gilles Marchand et Vincent Dietschy
Photographie : Pierre Milon
Montage : Robin Campillo
Musique originale : François-Eudes Chanfrault
Avec : Sophie Quinton, Laurent Lucas, Catherine Jacob, Yasmine Belmadi, Marc Berman, Anne Caillon, Jean Dell, Valérie Donzelli, Fily Keita
Le Dr. Philipp : C’est un jeu. Il n’y a pas de rêve à deviner. Quand la question se termine par une voyelle je réponds oui, quand c’est par une consonne je réponds non. C’est vous qui inventez l’histoire au fur et à mesure, en posant les questions.
Avec Qui a tué Bambi ?, Gilles Marchand nous livre un conte inquiétant, un thriller onirique et hypnotique auquel Sophie Quinton et Laurent Lucas prêtent tout leur talent.
Synopsis de Qui a tué Bambi ?
Isabelle (Sophie Quinton) effectue un stage en tant qu’infirmière au sein de l’hôpital Trousseau, à Tours. Sa cousine Véronique (Catherine Jacob) y travaille. La jeune femme fréquente un sympathique brancardier prénommé Sami (Yasmine Belmadi).
Isabelle fait rapidement la connaissance du Dr. Philipp (Laurent Lucas), un chirurgien qui la surnomme Bambi
et dont la présence, attirante et un peu inquiétante aussi, l’intrigue. Parallèlement, elle souffre régulièrement de vertiges, accompagnés d’une sensation de sifflement dans l’oreille droite.
Un jour, une patiente disparaît soudainement ; elle serait partie sans prévenir, pendant la nuit. Isabelle commence à se poser des questions…
Critique du film
Qui a tué Bambi ? est le premier long métrage de Gilles Marchand, scénariste et réalisateur connu entre autres pour ses collaborations avec Laurent Cantet (Les Sanguinaires ; Ressources humaines) et Dominik Moll, avec lequel il a co-écrit Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming et tout récemment Des nouvelles de la planète Mars.
A l’instar du réalisateur du Moine (qui était d’ailleurs présent, probablement en tant que conseiller, sur le tournage du film qui nous intéresse ici), Marchand aime les histoires étranges, ambiguës, baignant dans une atmosphère inquiétante. Autant d’adjectifs qui siéent très bien à Qui a tué Bambi ?.
In dreams, I talk to you
: les parallèles entre Qui a tué Bambi ? et Blue Velvet
Dr. Philipp : C’est un cauchemar ?
Isabelle : Non.
Dr. Philipp : C’est un rêve, un rêve étrange ?
Isabelle : Oui.
L’édition DVD du film comporte un making of (réalisé par Djibril Glissant) intitulé Sur les pas de Bambi, journal d’une jeune comédienne, dans lequel l’actrice Sophie Quinton commente en voix off différents moments du tournage, par ordre chronologique. Il s’agissait alors de son premier rôle important (elle a 27 ans à l’époque) et la jeune femme nous décrit, avec des mots simples et justes, son immersion d’abord timide sur un plateau de cinéma. Ce qui est amusant, c’est que son expérience renvoie en partie (comme elle le souligne elle-même, d’ailleurs) à celle de son personnage dans le film. Sophie Quinton incarne en effet dans Qui a tué Bambi ? une jeune infirmière accomplissant un stage dans un hôpital, et qui éprouve des appréhensions bien naturelles en pareilles circonstances – à l’instar, même si les enjeux sont évidemment très différents, d’une actrice débutante devant endosser le rôle principal d’un film.
Cette situation de base (l’immersion d’une personne peu expérimentée au sein d’un univers nouveau et déstabilisant) est développée dans Qui a tué Bambi ? d’une manière qui évoque parfois l’œuvre d’un cinéaste dont on suppose qu’il fait partie des références de Gilles Marchand – à savoir David Lynch.
C’est en particulier au film Blue Velvet que l’on songe ici, par intermittence, du fait des similitudes suivantes : Isabelle, personnage candide et plein d’innocence, est directement confrontée au mal et à la perversité, à l’instar du jeune américain (prénommé Jeffrey) incarné par Kyle MacLachlan dans le film précité ; cette initiation présente un aspect effrayant mais aussi troublant, en ce sens que dans les deux films, elle suscite chez les protagonistes une certaine forme de désir et de fascination (Isabelle est attirée par le Dr. Philipp, Jeffrey est fasciné par Dorothy Valens) ; Frank (Dennis Hopper) s’écrie dans le film de David Lynch Baby wants to fuck!
avant de se jeter sur Dorothy Vallens (Isabella Rossellini), tandis que de son côté le Dr. Philipp (Laurent Lucas) murmure à l’une de ses patientes endormies Je suis ton bébé
; l’oreille coupée est un élément clé dans Blue Velvet, or Isabelle souffre d’une anomalie de l’oreille interne dans Qui a tué Bambi ? ; les deux films présentent une dimension onirique importante, et d’ailleurs certaines paroles de la chanson In Dreams de Roy Orbison, que l’on entend à plusieurs reprises dans Blue Velvet, se prêtent bien à une scène de Qui a tué Bambi? (In dreams, I talk to you
) ; et enfin la bande son mais aussi la tonalité de certaines scènes (quand Isabelle et son petit ami Sami discutent dans la voiture de celui-ci, on pense à des séquences comparables dans Blue Velvet, entre Kyle MacLachlan et Laura Dern) entretiennent ces différentes correspondances.
Ces parallèles n’empêchent en aucun cas le film de Gilles Marchand d’affirmer sa propre personnalité : les références lynchéennes
, discrètes et cohérentes, n’écrasent jamais un récit qui en bien des points diffère totalement de l’intrigue tordue se tramant dans la commune imaginaire de Lumberton. En bien des points donc, et par exemple au niveau du cadre de l’action, puisque Qui a tué Bambi ? se déroule en grande partie au sein d’un hôpital.
L’hôpital, un cadre intelligemment exploité
Le principal cadre de l’action du film est particulièrement bien utilisé par Gilles Marchand et son équipe. Les couloirs de l’hôpital permettent au cinéaste de créer une atmosphère flottante, souvent anxiogène. Le blanc, omniprésent, instaure un climat envoutant, qui suggère le basculement vers le rêve et l’inconscient – basculement auquel l’héroïne est fréquemment sujette, du fait de ses problèmes de santé. Le vide, celui du parking et des couloirs de l’établissement à la nuit tombée, favorise la projection des angoisses mais aussi des désirs éprouvés par Isabelle ; autant d’émotions que le film suggère habilement, grâce notamment à la photographie sophistiquée du chef opérateur Pierre Milon (Entre les murs ; Un Couple épatant / Cavale / Après la vie ; Vers le sud…) et à la bande originale écrite par François-Eudes Chanfrault, composée en grande partie de planantes et mystérieuses nappes de synthétiseur (notons que le montage est signé Robin Campillo, réalisateur du film Les Revenants, qui a fait l’objet récemment d’une adaptation télévisuelle à succès produite par Canal+).
La jeune femme et le grand méchant loup
Le duo, ou plutôt le face à face Sophie Quinton/Laurent Lucas est au centre du film, et il fonctionne remarquablement bien. La prestation irréprochable des deux acteurs n’y est pas pour rien, loin s’en faut ; mais c’est aussi à une écriture bien ciselée que l’on doit cette réussite. Le scénario reprend l’idée classique d’une relation ambivalente, ambiguë entre un héros, en l’occurrence une héroïne innocente et un vis-à-vis qui l’est nettement moins (citons à titre d’exemple L’Ombre d’un doute, comparable en cela à Qui a tué Bambi ?, mais aussi la plupart des contes célèbres – nous reviendrons sur cet aspect). Chaque scène qu’ils ont en commun exprime, avec beaucoup de justesse, les différents aspects et étapes de la relation en question – laquelle nous éclaire tant sur les personnalités d’Isabelle et du Dr. Philipp que sur les principaux enjeux dramatiques du film.
Qui a tué Bambi ? présente une dimension initiatique sur deux niveaux évidemment liés, à savoir le niveau professionnel (le stage d’Isabelle) et le niveau intime – parallèle assez flagrant si l’on compare la première scène (une intervenante apprend à des étudiantes comment annoncer la mort d’un patient à l’un de ses proches) avec la dernière, dont nous ne dirons rien ici. Entre ces deux moments clés, Isabelle confrontera peu à peu ce qui au commencement n’est que des mots – difficiles à prononcer : aucune étudiante ne parvient à prononcer le mot mort
pendant la simulation mise en place par la professeure – à une réalité. Évolution majeure et évidemment troublante à laquelle le titre énigmatique du film fait d’ailleurs, peut-être, référence.
Titre qui souligne aussi l’aspect très conte
de l’histoire, déjà évoqué : la présence ingénue et frêle d’Isabelle opposée à celle, obscure et menaçante, du Dr. Philipp, rappelle en effet des archétypes bien connus propres à ce genre littéraire – archétypes que Gilles Marchand nuance à l’aide d’une bonne dose d’ambiguïté.
Les personnages secondaires sonnent justes et apportent souvent une touche bienvenue de chaleur et de légèreté, à l’image du rassurant brancardier interprété par le regretté Yasmine Belmadi (décédé en 2009 à l’âge de 33 ans seulement) ou encore de Véronique, la cousine d’Isabelle, dont les intonations, les répliques et la gestuelle produisent fréquemment un effet comique que la célèbre actrice Catherine Jacob maîtrise sur le bout des doigts.
Bande-annonce
Qui a tué Bambi ? est un envoûtant et singulier conte d'apprentissage. Les comédiens évoluent dans un climat hypnotique où rêve et réalité, mais aussi désir et peur, se confondent, comme chez un certain David Lynch, auteur prestigieux que Gilles Marchand avait probablement en tête dès l'écriture du scénario. Cette source d'inspiration ne l'empêche en rien ici d'affirmer une "patte" bien à lui, patte dont on aimerait bien, d'ailleurs, déceler plus fréquemment les empreintes, puisque depuis Qui a tué Bambi ? Gilles Marchand n'a réalisé qu'un seul autre film (L'Autre monde, sorti en 2010). Heureusement, cet auteur talentueux est aussi un scénariste, et à ce titre on retrouve son influence précieuse dans plusieurs films, dont l'excellent Lemming.
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