Pique-nique à Hanging Rock, de Peter Weir, et Le Narcisse noir, de Michael Powell et Emeric Pressburger, mettent tous les deux en scène une nature vertigineuse qui exerce une influence majeure sur les personnages.
L’Himalaya et Hanging Rock : des montagnes qui déstabilisent et ensorcellent
L’Himalaya picturale filmée par le tandem mythique Michael Powell / Emeric Pressburger dans Le Narcisse noir (1957) et les paysages naturels australiens dans lesquels s’égarent Miranda et ses amies dans Pique-nique à Hanging Rock (1975) présentent des points communs importants : l’influence quasi hypnotique qu’ils exercent sur les personnages (des femmes, exclusivement) et la manière dont ils bouleversent les règles propres à leur environnement social.
Qu’il s’agisse de l’école privée pour jeunes filles dans le film de Weir ou du couvent de bonnes sœurs dans celui de Powell, les préceptes très stricts associés à ces lieux sont littéralement ébranlés par une nature mystérieuse, tentatrice, au contact de laquelle les religieuses rêvent d’amour (Le Narcisse noir) et les jeunes étudiantes se perdent (Pique-nique à Hanging Rock).
Dans ces deux films magnifiquement photographiés et empreints d’une atmosphère onirique (voire fantastique, pour ce qui est de Pique-nique à Hanging Rock), la nature modifie la perception des personnages, éveille leur sensualité, les inspire et d’une certaine manière les élève au-delà d’un quotidien très réglementé – et les codes religieux et scolaires ne résistent guère à ce phénomène. Il en découle un conflit d’ailleurs assez dérisoire : la disparition de Miranda dans Pique-nique à Hanging Rock échappera à toute rationalité, tandis que les bonnes sœurs du Narcisse noir finiront par plier bagages.
Très différents à bien des égards, Pique-nique à Hanging Rock et Le Narcisse noir se rejoignent donc dans la peinture d’une nature synonyme de vertige (dans les deux cas, il s’agit d’ailleurs d’un paysage montagneux), de volupté, d’absolu, de mystère, voire de mysticisme, contre laquelle luttent vainement les règles et le raisonnement humains.
Un commentaire
Ces espaces vertigineux provoquent le vertige sentimental et sexuel des héroïnes – dans un paysage féminin, tout en gorges aussi profondes que vagins, elles découvrent la puissance terrifiante du désir. La folie les guette au bord du vide romantique : de « L’Aurore » à « Irréversible », en passant par « Le Convoi de la peur » et « Fitzcarraldo », autant d’architectures organiques où l’environnement contamine la psyché ou inversement, dans un jeu de miroir abolissant la nature « réaliste » du cinéma. Répondre à l’appel de la nature sauvage comme faire l’expérience d’un film immersif revient à explorer « l’Afrique intérieure », celle de Conrad plus encore que de Coppola, lieu de grands dangers autant que d’ultimes révélations sur soi-même et le monde.