Film d’Olivier Assayas
Année de sortie : 2016
Pays : France
Scénario : Olivier Assayas
Photographie : Yorick Le Saux
Montage : Marion Monnier
Avec : Kristen Stewart, Lars Eidinger, Sigrid Bouaziz, Anders Danielsen Lie, Ty Olwin, Hammou Graia, Nora von Waldstatten, Benjamin Biolay
Maureen: I’m a personal shopper. I hate this job actually, I spend my days doing bullshit that doesn’t interest me and it keeps me from what does. It’s driving me fucking crazy.
Avec Personal Shopper, Olivier Assayas signe un film ambigu qui met en perspective le monde moderne et des questionnements intemporels sur l’invisible, sur le deuil et la quête de soi. Une œuvre singulière naviguant sur les eaux troubles du fantastique réel, avec à son bord un personnage féminin dont le parcours intime est le cœur du film.
Synopsis du film
Maureen (Kristen Stewart) est une jeune américaine travaillant à Paris comme personal shopper (acheteuse de mode) pour le compte d’une célébrité égocentrique prénommée Kyra (Nora von Waldstätten). Parallèlement, Maureen tente d’utiliser ses dons de médium pour communiquer avec son frère jumeau, qui vient de décéder.
Entre un travail qu’elle méprise, un deuil éprouvant et ses questionnements sur un possible au-delà, le séjour parisien de la jeune femme va rapidement s’avérer des plus troublant…
Critique de Personal Shopper
La longue et riche carrière d’Olivier Assayas, comme scénariste et comme réalisateur, traverse différents genres cinématographiques, et ce n’est certainement pas un auteur à qui l’on peut coller une étiquette quelconque. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il en va de même pour son dernier long métrage, Personal Shopper, en compétition officielle au Festival de Cannes 2016 (c’est le cinquième film d’Assayas à être nominé) où il a d’ailleurs remporté le Prix de la mise en scène (ex aequo avec Le Baccalauréat, du roumain Cristian Mungiu).
Un subtil mélange des genres
Le film tient à la fois du drame psychologique, du thriller et du film fantastique, et s’il n’est pas possible (et pas intéressant d’ailleurs) de l’associer plus directement à l’un de ces genres cinématographiques au détriment des autres, c’est parce qu’Olivier Assayas ne s’intéresse, à raison, qu’à l’histoire qu’il raconte et qu’à son personnage principal. L’application de codes quelconques n’est pas ce qui le préoccupe et on aurait d’autant plus tort de le lui reprocher qu’il ne s’agit pas là d’une posture intellectuelle, mais simplement d’une volonté d’aller au bout de son sujet, en toute liberté.
Bien sûr le résultat pourra dérouter, et d’ailleurs Personal Shopper a laissé plus d’un spectateur perplexe – la critique, également, est partagée. Ce film singulier est pourtant la preuve, avec Sils Maria, que le réalisateur français est en train d’atteindre une maîtrise assez impressionnante sur le plan formel et que son écriture, de plus en plus libre et inspirée (tout en étant d’une grande rigueur), n’a sans doute pas fini de nous surprendre. Et, plus important encore, de nous interroger.
Le « fantastique réel » de Personal Shopper
Il y a un courant littéraire qu’on appelle, depuis les années 1920 environ, réalisme magique
, ou (plus rarement, et c’est regrettable car cette autre expression me semble plus convaincante) fantastique réel
. Ce courant désigne les œuvres où l’étrange, le surnaturel se glisse dans un cadre réaliste (on pourrait parler de fantastique du réel
). Le brillant écrivain argentin Julio Cortázar est un bon exemple de fantastique réel (en ce qui concerne certaines de ses nouvelles) et s’il fallait désigner des films récents apparentés (consciemment ou non) à ce genre, on pourrait sans doute citer Personal Shopper.
Les liens entre l’art et l’invisible
En effet, la dimension fantastique du film s’intègre à un environnement profondément actuel et réaliste, ce qui a d’ailleurs pour effet de lui donner un caractère plus troublant. Il faut relever que l’auteur approche le fantastique non pas uniquement pour nous faire sursauter dans notre fauteuil mais comme une thématique à part entière. Il s’agit en partie de s’interroger sur le thème du spiritualisme, de l’invisible, en citant des références culturelles passionnantes telles que le cas d’Hilma af Klint, peintre suédoise pionnière dans l’art abstrait (qui prétendait que des esprits entraient en contact avec elle) mais aussi celui du séjour de Victor Hugo (incarné dans le film par Benjamin Biolay) sur l’île de Jersey, au cours duquel le célèbre écrivain se livra à des séances de spiritisme (les comptes-rendus de ces séances ont été publiés dans l’ouvrage posthume intitulé Le Livre des Tables – Les séances spirites de Jersey).
Par ces biais, Personal Shopper s’interroge notamment sur la relation entre l’invisible et la création artistique, relation que l’on retrouve (par exemple) dans le surréalisme et qui est également au cœur de l’art cinématographique, en ce sens que chaque plan de cinéma est composé de visible et d’invisible (il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas). Mais le thème du spiritualisme est aussi utilisé dans le film pour apporter un éclairage sur la « matière première » de ce dernier, qui (comme son titre l’indique clairement) est la personal shopper incarnée par Kristen Stewart.
Une quête identitaire privilégiant les hypothèses aux réponses toutes faites
L’actrice américaine est pour ainsi dire dans chaque plan du film, et la caméra d’Assayas (épaulé par le remarquable chef opérateur Yorick Le Saux) nous plonge littéralement dans le quotidien de son personnage. Un quotidien marqué par un deuil difficile (son frère jumeau est mort) et un travail superficiel dans lequel elle ne se reconnaît pas. Ses questionnements à la fois identitaires (elle confie, à un moment du film, vouloir être quelqu’un d’autre) et métaphysiques (c’est une médium) sont au cœur du récit, et les péripéties qui rythment ce dernier (qu’elles appartiennent au registre du fantastique ou du thriller) ont avant tout pour objectif de nous en révéler davantage sur Maureen ; c’est-à-dire sur ses désirs, ses doutes, ses aspirations artistiques, etc.
Kristen Stewart, qui disparaît littéralement dans l’une des plus belles séquences de Sils Maria (le précédent film d’Assayas) pour revenir de plus belle ici, est d’une grande justesse : ses mouvements et expressions, saisies par une caméra à la fois habile (le prix de la mise en scène à Cannes est mille fois mérité) et discrète, expriment à merveille l’état d’esprit de cette jeune femme solitaire qui semble voguer entre un monde matériel moderne et un monde invisible, entre passé et présent, entre nécessité et désir de liberté, sans avoir bien conscience de ce qu’elle recherche vraiment. Le film, en faisant cohabiter moyens de communication modernes (voir la longue séquence d’échanges de SMS) et spiritualisme, mais également préoccupations mystiques et univers du luxe, adopte une position volontairement flottante, ambiguë, qui reflète bien celle de sa passionnante héroïne.
Ce sont manifestement les questions qui intéressent Olivier Assayas, les questions et les hypothèses. Même après le troublant dernier plan du film, le spectateur ne se verra ainsi confier aucune affirmation claire et définitive. Tant mieux : l’art est souvent bien plus stimulant quand il procède ainsi.
Bande-annonce de Personal Shopper
Voici le trailer de Personal Shopper. Le film sortira en France le 14 décembre 2016.
Liens utiles
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- Olivier Assayas :
Kristen Stewart m’a inspiré Personal Shopper
À travers un beau et moderne portrait de femme, Personal Shopper parvient à mettre en perspective des thématiques intéressantes dont la quête de soi, la création artistique et la dimension "invisible" du monde qui nous entoure (d'autant plus troublante ici qu'elle s'immisce au sein d'un univers ultra matérialiste). Brillamment interprété et mis en scène, le film compte indéniablement parmi les réussites d'un auteur qui préfère interroger le spectateur plutôt que de lui asséner des vérités toutes faites. La démarche déplaira aux amateurs de sentiers balisés, mais ravira celles et ceux qui considèrent que l'art n'est jamais aussi fascinant que quand il pose des questions à la fois intimes et universelles.
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