Film de Joachim Lafosse
Année de sortie : 2007
Pays : Belgique, France
Scénario : Joachim Lafosse, François Pirot
Photographie : Hichame Alaouie
Montage : Sophie Vercruysse
Avec : Isabelle Huppert, Jérémie Renier, Yannick Renier, Kris Cuppens, Patrick Descamps, Raphaëlle Lubansu
Nue propriété décrit minutieusement les mécanismes pernicieux d’une crise familiale, par le biais d’une écriture précise et d’une réalisation cohérente.
Synopsis du film
Pascale (Isabelle Huppert) vit avec ses deux enfants Thierry (Jérémie Renier) et François (Yannick Renier), des faux jumeaux d’une vingtaine d’années. Elle n’a pas refait sa vie depuis son divorce avec Luc (Patrick Descamps), avec qui elle entretient des rapports très tendus. Aussi, quand son amant et voisin Jan (Kris Cuppens) évoque l’idée de partir ensemble pour monter un projet de gîte, Pascale songe à vendre la maison familiale.
Mais Thierry ne l’entend pas de cette oreille…
Critique de Nue propriété
Si le projet de Nue propriété est né dans l’esprit de Joachim Lafosse dès la fin de ses études de cinéma, au début des années 2000, il a mis pas moins de cinq années à se concrétiser. Un délai qui n’est pas lié à un problème d’écriture mais tout simplement, comme souvent, d’argent : le scénario, écrit avec François Pirot, a en effet été refusé plusieurs fois, jusqu’à ce que la Commission du film accepte de lui attribuer un financement. De l’aveu du cinéaste belge, cette attente fut un mal pour un bien, puisque la réalisation de deux longs métrages dans le même laps de temps lui a permis d’affiner son approche de la mise en scène et, plus particulièrement, d’avoir une vision plus précise de la manière dont il tournerait Nue propriété.
Cette préparation, en quelques sortes, se ressent à la vision du film, notamment de par la cohérence entre la forme adoptée et les enjeux dramatiques de l’histoire, laquelle fait lointainement référence à une expérience personnelle du réalisateur.
Pour décrire cette famille empêtrée dans des schémas relationnels particulièrement étouffants, Joachim Lafosse utilise essentiellement des plans fixes, avec parfois d’assez longs plans séquences, au sein desquels les acteurs évoluent avec, d’ailleurs, une grande justesse de ton. Ce parti pris, qui permet en l’occurrence au spectateur de mieux se concentrer sur les mots et la gestuelle des comédiens dans l’espace, a l’avantage de rendre bien visible les mécanismes déréglés que ceux-ci traduisent. Il y a en effet un poison dans les liens unissant les différents membres de la famille, et c’est quelque chose que l’on ressent très rapidement, et dont on comprend progressivement la nature et les origines.
La grande majorité de l’action se situe au sein de la propriété familiale, qui est à la fois à l’origine du conflit (puisque Pascale veut la vendre et que ses enfants, surtout Thierry, s’y opposent) et qui symbolise à elle seule l’histoire intime de la famille interprétée par Isabelle Huppert (Merci pour le chocolat, Loulou, La Porte du paradis), Jérémie Renier (Ni le ciel ni la terre), Yannick Renier et Patrick Descamps. Nous sommes donc face à un huis-clos au cours duquel Joachim Lafosse parvient à faire monter la tension par paliers, et à faire ressentir une sorte de violence larvée dont on devine qu’elle ne sera pas éternellement contenue.
Le générique de début se clôt sur une citation de l’auteur : À nos limites
. Si elle intrigue dans un premier temps, le développement de l’histoire lui donne tout son sens : Nue propriété nous montre en effet des êtres qui ne parviennent pas à définir leur place et celle des autres, à se situer dans le cercle familial, à évoluer en son sein et, comme tout à chacun, hors de son sein. Les deux frères sont d’une immaturité criante, entretenue maladroitement par leurs parents, chacun à sa manière. Jérémie et Yannick Renier, qui sont également frères dans la vie (c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Joachim Lafosse a fait appel à eux), composent parfaitement ces jumeaux désopilants, figés dans le passé, et par conséquent incapables de se projeter en dehors des murs de la maison dont ils sont nu-propriétaires (d’où le titre) – et plus généralement dans l’âge adulte. Cet immobilisme et cette sensation d’enfermement sont d’ailleurs très bien traduits par les longs plans fixes auxquels il est fait référence plus haut.
Joachim Lafosse ne se pose pas en juge glacial de ces comportements inadaptés ; il les observe pour mieux les comprendre, et pour les soumettre à l’analyse du spectateur. Car tout cela, au fond, puise ses sources dans des phénomènes extrêmement communs (la séparation des parents), chose que le film souligne avec sobriété tandis que l’ultime travelling symbolise un éloignement aussi nécessaire que difficile à accomplir pour les protagonistes.
Avec Nue propriété, Joachim Lafosse explore les rouages d'une crise familiale en mettant intelligemment la réalisation au service du propos et de l'interprétation. Isabelle Huppert et les frères Renier sont convaincants tandis que les seconds rôles (tenus notamment par Patrick Descamps, Kris Cuppens et Raphaëlle Lubansu) trouvent parfaitement leur place. Le cinéaste continuera de s'intéresser aux problèmes de famille et de couple dans plusieurs de ses films suivants, dont le dernier en date, L’Économie du couple, présenté au Festival de Cannes 2016 dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs ; film où la maison tient, comme dans Nue propriété, une place centrale.
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