Film de Maurice Pialat
Année de sortie : 1972
Pays : France, Italie
Scénario : Maurice Pialat
Montage : Arlette Langmann
Photographie : Luciano Tovoli
Avec : Jean Yanne, Marlène Jobert
Jean : T’as jamais rien réussi et tu réussiras jamais rien. Et tu sais pourquoi ? Parce que t’es vulgaire, irrémédiablement vulgaire. Non seulement t’es vulgaire, mais t’es ordinaire en plus. Toute ta vie tu resteras une fille de concierge.
Second film de Maurice Pialat, Nous ne vieillirons pas ensemble est déjà très typique de son cinéma. Succession d’instants de la vie d’un couple s’acheminant vers une rupture inévitable, le film, très autobiographique, met en scène Marlène Jobert et Jean Yanne, dont c’est l’un des plus beaux rôles avec celui de Popaul dans le Boucher de Chabrol.
Synopsis de Nous ne vieillirons pas ensemble
Jean (Jean Yanne), réalisateur, et sa maîtresse Catherine (Marlène Jobert), employée de bureau, sont ensemble depuis six ans, bien que Jean n’ait pas divorcé de sa femme Françoise (Macha Méril). Colérique, parfois franchement odieux et violent, Jean mène la vie dure à Catherine, laquelle, par amour, semble prête à tout pardonner.
Mais peu à peu, tandis que Jean réalise qu’il est réellement amoureux d’elle et tend à devenir plus tendre, lui proposant même de l’épouser, Catherine s’éloigne de lui, probablement trop marquée par son comportement passé. Jean, impuissant, la regarde sortir de sa vie.
Critique
Pialat devant son miroir
Maurice Pialat a déjà tourné un film, L’enfance nue – produit entre autres par François Truffaut -, ainsi qu’une très belle série télévisée, La Maison des bois, quand il réalise Nous ne vieillirons pas ensemble, sur la base de son propre roman. Une œuvre dont il avoue lui même le caractère autobiographique, ce qui paraît flagrant notamment du fait que le comportement du personnage joué par Jean Yanne évoque celui du célèbre et regretté metteur en scène, connu, entre autres, pour son tempérament colérique. Ce rapprochement est souligné par le fait que Jean, dans Nous ne vieillirons pas ensemble, exerce le métier de réalisateur. Pialat alla même jusqu’à exiger de Jean Yanne qu’il porte certains de ses propres vêtements ; l’expérience fut d’ailleurs pénible pour l’acteur qui, par rejet à l’égard d’un personnage qu’il jugeait haïssable, refusa d’aller chercher le César de meilleur acteur que sa prestation admirable lui valut de remporter à l’époque.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Maurice Pialat s’est regardé droit dans un miroir à travers ce film, sans chercher à édulcorer ou à amoindrir les aspects difficilement acceptables de sa personnalité, lesquels sont directement la cause de l’échec de la relation racontée dans le film. Les scènes, essentiellement au début du film, où Jean hurle littéralement sur sa compagne, pour aucune raison valable, ou pire encore la rabaisse plus bas que terre avec une froideur inouïe (sans compter celles où il la moleste et la frappe), dressent un portrait franchement antipathique, voire détestable du réalisateur, avant que l’on découvre, peu à peu, une sensibilité qui, sans excuser bien sûr son comportement, nuance toutefois le personnage et le rend plus touchant.
La seconde partie du film nous donne en effet à voir un Jean-Pialat perdu et impuissant face à ses propres erreurs, qui évoque à demi-mot la tristesse de sa mère et un climat familial orageux pour expliquer la violence qui l’habite. L’interprétation de Jean Yanne exprime parfaitement les différentes facettes et les contradictions de son personnage ; tour à tour odieux, brutal et désemparé, l’acteur est crédible, saisissant même, dans l’ensemble de ces registres émotionnels. Quelques années plus tôt, Yanne avait livré des compositions tout aussi extraordinaires dans Que la bête meure (1969) et Le Boucher (1970), deux films de Claude Chabrol qui comptent parmi les œuvres les plus cultes du réalisateur de La Cérémonie.
De son côté, Marlène Jobert illustre très bien l’évolution de son personnage, passant de la femme soumise et effacée à celle, plus libre, volontaire, distante et indépendante, dont Jean sera de plus en plus amoureux à mesure qu’elle deviendra inaccessible. Avant, quand elle subissait les foudres de son compagnon, Catherine le renvoyait quelque part à ses propres démons ; c’est en échappant à son emprise qu’elle lui apparaît dans toute sa beauté. Débarrassée des « casseroles » que Jean projetait en elle, la jeune femme ne le fait plus penser à lui ; or il est probable que Jean est aussi insupportable pour lui-même que pour les autres.
On retrouve dans Nous ne vieillirons pas ensemble cette justesse et ce réalisme propres au cinéma de Pialat ; les séquences semblent être des instants d’intimité auxquels les comédiens donnent vie et que la caméra de l’auteur saisit au vol, avec une spontanéité étonnante. Il émane ainsi des scènes qu’il tourne une force et un sentiment d’authenticité qu’il est difficile d’analyser, mais qui doivent probablement beaucoup à la démarche sincère, viscérale d’un artiste dont le travail est dénué de tout artifice, de tout effet de style visible. Pialat ne cherche jamais à démontrer un savoir faire ou une maîtrise quelconques ; tout, dans sa démarche, semble voué à capter la vérité des personnages, la justesse du moment. À l’image de ses autres longs métrages, Nous ne vieillirons pas ensemble émeut sans jamais verser dans le sentimentalisme, le pathos ; le film est aussi direct, honnête et empreint de résignation que son titre.
Nous ne vieillirons pas ensemble s’achève sur des images, probablement tournées par Jean, montrant Catherine se baigner et jouer dans les vagues. Symbole d’un bonheur simple dont Jean, par sa violence et sa colère obstinées, s’est lui-même privé.
3 commentaires
chouette blog que le vôtre.
j’avais bcp aimé ce Pialat et trouvé son héros absolument débectant parfaitement incarné par Yanne ; je m’étais demandé quelle était la part autobiographique que Pialat avait mise dans du film. voilà cette question levée.
Personnellement je trouve que Yanne a poussé à son extrême le personnages d’affreux dégueulasse non pas dans « Le boucher » (qui est certes remarquable) mais pt-être dans « Que la bête meure ».
Merci pour le compliment!
Oui je suis d’accord avec vous, dans « le boucher » le personnage commet des meurtres horribles, mais en même temps il a une dimension touchante que n’a pas du tout le personnage joué par Yanne dans « Que la bête meure ».
Lors du grand monologue dans la voiture, le texte de Yanne se trouvait, paraît-il, caché à proximité du volant… Le couple chez Pialat ou chez le Bergman de « Scènes de la vie conjugale » s’apparente à un enfer hors duquel nul ne trouve pourtant le salut.