Nacho Vigalondo, de par son approche toute personnelle du genre fantastique, s’affirme comme l’un des cinéastes espagnols les plus intéressants de sa génération.
Vigalondo, ou l’art de détourner des thèmes SF classiques pour livrer un récit personnel
Voilà déjà plus de dix ans que sortait le premier long métrage de Nacho Vigalondo, Timecrimes (2007), qui proposait une variation originale autour d’un thème de science-fiction ultra classique : le voyage temporel (et les paradoxes qu’il suscite).
On retrouvera dans ses films suivants – du moins la plupart du temps – cette même démarche qui consiste à utiliser un motif récurrent dans la littérature fantastique (ou SF) d’une manière singulière, déroutante, et volontiers distante à l’égard des codes et des attentes communément associés au genre.
Ainsi Extraterrestre (2011) met en scène, comme son titre l’indique, une invasion extraterrestre, comme dans le fameux roman d’H.G. Wells (La Guerre des mondes). Sauf qu’ici, cette invasion restera hors-champ pendant toute la durée du long métrage. La caméra s’attarde en revanche sur deux jeunes gens (joués par Michelle Jenner et Carlos Areces) qui, au terme d’une soirée bien arrosée, se retrouvent dans le même lit et découvrent avec stupeur, au petit matin, que les habitants d’une autre planète menacent Madrid.
Vigalondo désamorce ici très rapidement la tension inhérente à ce genre de récit et livre ce qui s’apparente plutôt à une comédie romantique décalée, où les éléments de science-fiction (les extra-terrestres, évoqués par les dialogues mais parfaitement invisibles) prennent au final une dimension métaphorique (ils représentent en un sens le sentiment amoureux et son caractère mystérieux, cosmique).
Le réalisateur et scénariste espagnol, né en 1977 à Cabezón de la Sal, procède de la même manière dans son dernier film, Colossal, qui met en scène la belle et talentueuse Anne Hathaway. Ici ce n’est pas autour d’extraterrestres mais d’un monstre et d’un robot géants tout droit sortis d’un kaiju movie que Nacho Vigalondo construit son histoire. Histoire qui, comme dans Extraterrestre, prend complètement à contre-pied les attentes du spectateur, que ce soit au niveau de son développement (léger dans un premier temps, le ton se fait plus grave ensuite), de la caractérisation des personnages (l’un d’eux révélant peu à peu une facette insoupçonnée) et bien sûr de ses enjeux, très éloignés de ceux – souvent écologiques ou politiques – qu’abordent des films comme Godzilla, par exemple.
Colossal est en effet à la fois le reflet d’une histoire intime et d’un phénomène social (la violence des hommes à l’égard des femmes) dont l’ampleur (dans le monde) est symbolisée par l’affrontement titanesque auquel le titre du film fait référence. Le principe (deux des protagonistes du film contrôlent, sans le savoir, un monstre et un robot qui terrorisent Séoul) est aussi une manière d’illustrer le principe de responsabilité individuelle (chaque individu contribue potentiellement, à son niveau, au désordre et à la violence du monde). Ponctué, comme Extraterrestre, d’une bonne dose d’humour (de bon goût) et peuplé de personnages attachants (Hathaway est parfaite en « looser » sympathique portée sur la boisson), Colossal est l’exemple même d’un divertissement créatif et original.
Entre ces deux films, Vigalondo a signé un techno-thriller un peu laborieux, Open Windows (2014), avec Elijah Wood et Sasha Grey. Le film propose un découpage et une narration complexes, basés sur la multiplication des angles de vue (les plans montrant simultanément plusieurs images, issues d’un écran différent). L’idée de départ est intéressante mais il faut reconnaître que l’exercice s’avère rapidement fatiguant pour l’œil et pour l’esprit, tandis que sur le fond, Open Windows ne possède pas autant de matière qu’Extraterrestre et Colossal. En revanche, le cinéaste s’est illustré avec talent dans trois anthologies horrifiques : The ABCs of Death (2012), The Profane Exhibit (2013) et V/H/S: Viral (2014).
Une œuvre hélas mal distribuée
L’un des talents de Nacho Vigalondo – utiliser une situation classique pour emmener le spectateur là où il ne l’attend pas – a malheureusement tendance à se retourner contre lui. Par définition, ses films échappent aux étiquettes qui rassurent tant les distributeurs. Colossal n’est pas un kaiju movie ; Extraterrestre n’est pas un film d’extraterrestre – et ce qu’ils sont véritablement n’est pas simple, rapide à résumer. Si cette façon de s’approprier des codes existants pour raconter quelque chose de différent est la marque d’un auteur précieux, ce n’est hélas pas celle d’un réalisateur bankable et pour preuve : absolument aucun des films de Nacho Vigalondo n’est sorti sur les écrans français.
La presse généraliste ne contribue pas vraiment à le faire davantage connaître, mais il est régulièrement défendu par des sites et revues spécialisés (et par des festivals comme le PIFFF). Souhaitons, pour lui comme pour nous, qu’il puisse continuer à réaliser des projets audacieux et personnels, et contribuer ainsi à la richesse et la diversité d’un genre (le fantastique) passionnant mais trop souvent prévisible.
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