Film de Roger Michell
Année de sortie : 2017
Pays : Royaume Uni, États-Unis
Scénario : Roger Michell, d’après le roman Ma cousine Rachel de Daphne du Maurier
Photographie : Mike Eley
Montage : Kristina Hetherington
Musique : Rael Jones
Avec : Rachel Weisz, Sam Claflin, Iain Glen, Holliday Grainger
Extrait du roman My Cousin Rachel : Dans l’ancien temps, l’on pendait les gens au carrefour des Quatre-Chemins. Plus maintenant.
Roger Michell signe avec My Cousin Rachel une adaptation raffinée du roman éponyme de Daphne du Maurier. Le film doit beaucoup à la composition subtile de Rachel Weisz, remarquable dans le rôle titre.
Synopsis du film
Angleterre, au 19ème siècle. Philip (Sam Claflin), un jeune homme vivant dans les Cornouailles, apprend le décès de son cousin qui était parti en Italie depuis quelques mois. Sur la base des lettres qu’il recevait, Philip soupçonne l’épouse de son cousin, Rachel Ashley (Rachel Weisz), d’être responsable de sa mort.
Quand la veuve arrive en Angleterre, Philip est bien décidé à lui mener la vie dure. Mais il ne tarde pas à être séduit par cette mystérieuse femme…
Critique de My Cousin Rachel
Ce n’est pas la première fois que Daphne du Maurier est évoquée sur Citizen Poulpe et pour cause, l’œuvre de cette excellente romancière britannique (1907-1989) a plusieurs fois inspiré l’univers du cinéma. Pas moins de trois films d’Alfred Hitchcock sont basés sur ses écrits : Rebecca, La Taverne de la Jamaïque et Les Oiseaux, tiré de la nouvelle éponyme. Nicolas Roeg a porté à l’écran, en 1973, la nouvelle Don’t Look Now. Quant à Ma Cousine Rachel, le roman qui nous intéresse ici, il avait déjà fait l’objet d’une adaptation (en 1952) par Henry Koster.
De toutes ces adaptations, Daphné du Maurier ne semblait apprécier que Rebecca et Don’t Look Now (Ne vous retournez pas en français). Puisqu’elle n’est plus de ce monde depuis 1989, on ne saura évidemment jamais ce qu’elle aurait pensé du film de Roger Michell. On ne peut que supposer, à tort ou à raison, qu’elle aurait vu en Rachel Weisz une convaincante Rachel (Daphné du Maurier n’avait rétrospectivement pas approuvé le choix de Olivia de Havilland dans la version de 52), non pas tant en raison d’une amusante homonymie que pour la qualité de la composition que livre ici la comédienne anglo-américaine.
À l’instar de Rebecca, My Cousin Rachel est à la fois un roman d’amour et un thriller mystérieux, qui joue sur la suggestion, l’ambiguïté et les non-dits. On notera cependant une différence majeure entre les deux romans : la dimension gothique et fantastique, propre à Rebecca uniquement.
Le cinéaste Roger Michell, s’il est surtout connu pour ses comédies romantiques Coup de foudre à Notting Hill et Morning Glory, est en réalité largement familiarisé avec un registre plus dramatique, présent par exemple dans le récent (et plutôt réussi) Un Week-end à Paris (2013). C’est un réalisateur sérieux, rigoureux, efficace aussi, qui met un point d’honneur à terminer ses tournages rapidement et qui sait ce qu’il veut. Un Week-end à Paris est représentatif de la manière dont il aime travailler : avec une équipe réduite, dans des délais rapides et sur la base d’un texte solide, servi par de bons comédiens.
En tant que film d’époque, My Cousin Rachel a forcément dû représenter des contraintes et des difficultés supplémentaires mais on retrouve, dans le résultat final, le savoir-faire indéniable de Michell. La reconstitution est soignée ; le rythme est savamment dosé ; la réalisation exploite habilement les beaux décors naturels offerts par la campagne anglaise ; la photographie de Mike Eley (notamment dans les scènes d’intérieur) est remarquable et la mise en scène valorise intelligemment le jeu des comédiens – qui ne souffre d’aucune fausse note.
Ce qui intéresse ici particulièrement Michell, c’est la modernité du personnage de Rachel (son comportement, pour l’époque, est assez libéré) et bien évidemment sa troublante ambiguïté, dont la belle et talentueuse Rachel Weisz rend si bien compte. On sent que le parti pris, en termes de composition du personnage, a été de ne pas trancher, de ne pas proposer une vision nette ; ainsi, selon les points de vue et les séquences, Rachel paraîtra drôle ou tragique, calculatrice ou inconsciente, victime ou coupable, froide ou sensuelle, forte ou fragile, heureuse ou désespérée, sincère ou manipulatrice, etc. Rien dans le jeu de la comédienne, ni dans le texte, ne penche clairement en faveur d’une interprétation définitive de ce personnage féminin nuancé et finalement assez intemporel, qui rend justice à celui que Daphné du Maurier avait couché sur le papier au début des années 50 (inspirée, semble-t-il, par un tableau représentant Rachel Carew, seconde épouse du politicien britannique Ambrose Manaton).
Face à elle, Sam Claflin est très juste dans le rôle de l’homme de la campagne, beaucoup plus lisible que sa vis-à-vis, ce qui ne le rend pas inintéressant pour autant – il fallait d’ailleurs un personnage de ce type pour que le jeu d’opposition fonctionne. Opposition entre la relative simplicité (qui ne veut pas dire bêtise ou superficialité) de Philip et la complexité de Rachel ; entre l’inexpérience de l’un et l’expérience de l’autre ; entre le côté traditionnel du premier et la modernité de la seconde.
Comme l’a lui-même expliqué Michell, la relation entre les deux personnages comporte des aspects freudiens, auxquels plusieurs répliques font assez nettement allusion (Philip n’a pratiquement pas connu sa mère), et qu’accentue d’ailleurs une différence d’âge volontairement plus grande que dans le roman. Mais c’est finalement surtout dans sa manière de dépeindre un jeune homme de son temps s’évertuant à saisir une femme insaisissable que le récit – largement initiatique – s’avère le plus intéressant. Ce ne sont pas que ses biens matériels, mais surtout les certitudes de Philip qui sont ébranlées – en même temps que les codes sociaux et culturels d’une époque – par l’énigmatique Rachel.
Certes on pourra, comme certains critiques l’ont fait, juger trop classique, trop sage, la mise en scène de Roger Michell ; mais il y a dans la sobriété de sa démarche quelque chose qui fait honneur au texte, à la matière, aux comédiens. Et quoiqu’il arrive, un film un brin conventionnel mais bien écrit, bien joué et bien filmé s’élèvera sans peine au-dessus d’un grand nombre d’autres productions. De plus, en gardant ses distances, la caméra de Michell nous invite à réfléchir, bien après la fin de la séance, à tout ce qu’elle a effleuré peut-être sans génie, mais avec une pudeur et une précision qu’on aurait tort de bouder et qui, chose essentielle, préservent – à défaut, c’est vrai, de lui rendre toute son aura – le mystère inhérent au récit de Daphné du Maurier.
Bande-annonce de My Cousin Rachel
My Cousin Rachel est une adaptation élégante du roman éponyme de Daphné du Maurier, servie notamment par le jeu magnétique de Rachel Weisz. Le film parvient à restituer l'ambiguïté et la complexité d'un texte qui parle avant tout d'un jeune homme ordinaire confronté à des émotions, des comportements qui le dépassent, et d'une femme moderne et mystérieuse échappant aux standards de son époque. Au début et à la fin du livre, Daphné du Maurier écrivait : Dans l'ancien temps, l'on pendait les gens au carrefour des Quatre-Chemins. Plus maintenant
. Ce passage n'est pas repris dans le film, et c'est d'ailleurs un peu dommage - il en dit, mine de rien, beaucoup sur une histoire moins simple à appréhender qu'il n'y paraît.
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