Film de Richard C. Sarafian
Année de sortie : 1973
Titre original : The Man Who Loved Cat Dancing
Pays : États-Unis
Scénario : Eleanor Perry, d’après le roman de Marilyn Durham, The Man Who Loved Cat Dancing
Photographie : Harry Stradling Jr.
Montage : Tom Rolf
Avec : Burt Reynolds, Sarah Miles, Lee J. Cobb, Jack Warden, George Hamilton, Robert Donner, Bo Hoskins, Sandy Kevin, Larry Littlebird
Après La Chevauchée des bannis, voici un autre western atypique faisant la part belle aux sentiments et aux personnages : Le Fantôme de Cat Dancing, de Richard C. Sarafian, le réalisateur du culte Point Limite zéro (Vanishing Point).
Synopsis du Fantôme de Cat Dancing
Catherine Crocker (Sarah Miles) chevauche seule dans le désert, près d’une voie ferrée. Alors qu’elle s’était arrêtée pour attendre le train celui-ci est attaqué par quatre bandits : Jay Grobart (Burt Reynolds), Bowen (Bo Hoskins), Dawes (Jack Warden) et Charlie Bent (Larry Littlebird), un indien.
Catherine cherche à s’enfuir mais Grobart, une fois l’attaque terminée, demande à Bowen de lui prendre son cheval. Comme elle refuse de se laisser faire, Bowen finit par la kidnapper et la jeune femme se retrouve prise en otage par les cinq hors-la-loi.
Parallèlement, un représentant de la loi nommé Lapchance (Lee J. Cobb) se lance à la poursuite de la bande, vite rejoint par Crocker (George Hamilton), l’époux de Catherine.
Alors que les fugitifs s’arrêtent dans une ferme tenue par un ami de Grobart, Catherine apprend que celui-ci était capitaine dans l’armée, et qu’il a noué une relation amoureuse avec une squaw nommée Cat Dancing…
Critique du film
Si son long-métrage le plus culte est indéniablement Point limite zéro (Vanishing Point) – le film auquel Tarantino a rendu hommage à travers Boulevard de la mort -, Richard C. Sarafian s’est distingué par d’autres œuvres peut-être moins emblématiques mais néanmoins intéressantes, et tout aussi représentatives de son talent de cinéaste.
Le Fantôme de Cat Dancing est en effet un western étonnant, à bien des égards. Les premiers éléments qui le distingue de nombreux autres films du même genre sont l’importance donnée à l’histoire d’amour entre les deux protagonistes – qui devient, au fur et à mesure, l’un des principaux enjeux du film – ainsi que les caractéristiques (plutôt inhabituelles pour un western) du personnage féminin interprété par Sarah Miles (qui joua entre autres dans The Servant, chef d’œuvre de Joseph Losey). Évidemment, le fait que le film soit adapté d’un roman écrit par une femme (Marilyn Durham), et que son scénario ait en grande partie été signé par une autre femme (Eleanor Perry, qui fut mariée à Frank Perry et qui contribua à plusieurs de ses films, dont l’excellent The Swimmer) n’est pas étranger aux deux particularités énoncées ci-avant : c’est bien une approche en partie féminine du western que le film nous propose.
Le Fantôme de Cat Dancing est avant tout l’histoire d’une rencontre entre deux personnages : une femme qui fuit un mariage non désiré, et un homme hanté qui cherche à se reconstruire. Ce qui est intéressant, c’est que la première n’évolue pas dans l’ombre du second, et que son évolution et son traitement s’éloignent résolument des archétypes du western traditionnel. A travers Catherine Crocker, il est en effet assez clair que Marylin Durham puis Eleanor Perry ont projeté leur idée de la condition féminine et de son émancipation, sujet bien évidemment d’actualité à l’époque du tournage (1973). Comme le souligne très justement Philippe Garnier dans son ouvrage L’Âme de l’Ouest, disponible dans l’édition DVD du film chez Wild Side, Perry a d’ailleurs eu, en grande partie parce qu’elle était une femme, toutes les peines du monde à imposer sa vision du film. Son scénario original a été retouché notamment par William W. Norton et même Robert Bolt (scénariste qui était alors marié à Sarah Miles et qui est surtout connu pour sa collaboration avec David Lean sur Lawrence d’Arabie, Le Docteur Jivago, La Fille De Ryan, mais aussi pour le scénario de Mission, le célèbre film de Roland Joffé) ; quant à Martin Poll, avec qui Perry a produit le film, il l’a régulièrement écartée et non informée des modifications apportées à son travail. Si W. Norton et Bolt ont apporté de bonnes choses au scénario, il n’en reste pas moins que cette mise à l’écart n’était pas très élégante.
Sur ce point, la fiction est plus positive que ne le fut la réalité : le parcours de Catherine Crocker dans Le Fantôme de Cat Dancing est indéniablement celle d’une femme qui conquiert sa liberté à ses risques et périls, pour finalement faire ses propres choix et s’affranchir aussi bien de sa propre timidité que des codes relatifs à son milieu social. L’évolution du personnage est l’un des aspects fondamentaux du film ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard si celui-ci s’ouvre sur un plan montrant Sarah Miles chevaucher dans le désert. Ici, il faut souligner que d’autres westerns des années 70 ont offert à des femmes des rôles qui traduisaient une volonté comparable de coller aux évolutions culturelles de l’époque. Citons par exemple L’Homme sans frontière, de Peter Fonda, très beau film dans lequel Verna Bloom campe une femme de caractère qui refuse sa condition d’épouse abandonnée, se montre d’abord intraitable lorsque son mari (joué par Fonda) retourne auprès d’elle, et avoue avoir satisfait ses désirs auprès d’hommes de passage pendant son absence.
Toute préoccupée qu’elle était de donner à Catherine Crocker la dimension nécessaire, Eleanor Perry n’a pour autant pas oublié de soigner la caractérisation des personnages masculins – loin s’en faut. Ils ont tous une fonction importante dans l’histoire et une personnalité propre.
En premier lieu, le rôle tenu par le charismatique Burt Reynolds est incontestablement l’un des plus beaux de sa carrière. Jay Grobart trimballe une histoire tordue à souhait (que le film, habilement, nous dévoile peu à peu), et se révèle loin de se résumer à l’image de bandit loyal, viril et raisonné qu’il renvoie pendant la première partie du métrage, renfermant en réalité des démons et une violence qui contribuent à son épaisseur et expliquent ses choix et sa conduite. Cette histoire, ce passé trouble, Reynolds les faire vivre à merveille à travers ses regards, sa voix et une dégaine inoubliable. Son duo avec Sarah Miles fonctionne à merveille.
Grobart est accompagné par des complices hauts en couleurs, à savoir Dawes (le personnage le plus vil et brutal du film), qu’incarne l’acteur Jack Warden (Douze hommes en colère, Les Homme du président, Mort sur le Nil) ; William Bowen, campé par Bo Hoskins (qui a un rôle assez similaire de voyou écervelé dans La Horde sauvage) – il joue ici un personnage à la fois stupide, violent et parfois touchant – ; et par Charlie Bent (Larry Littlebird), un indien égaré entre deux cultures (il voulait être un leader comme son père, il a fini en imitation d’homme blanc
, dit Grobart à son propos).
Ce personnage est d’ailleurs révélateur du point de vue intelligent du film sur les indiens ; un point de vue commun à d’autres westerns de l’époque – comme Jeremiah Johnson ou encore Josey Wales, hors-la-loi -, qui évite aussi bien l’idéalisation que la diabolisation. On croise en effet dans Le Fantôme de Cat Dancing, comme dans le film de Pollack et celui d’Eastwood, aussi bien des indiens violents qu’une tribu pacifique. Enfin, tant à travers le personnage de Cat Dancing (une squaw) et sa relation avec Grobart que par le biais de plusieurs répliques significatives, le film dénonce clairement le racisme ordinaire des américains blancs à l’égard des indiens.
Le mari de Catherine Crocker, joué par George Hamilton, incarne le stéréotype de l’époux possessif, matérialiste (en témoigne cette scène où il rumine la perte d’un cheval à 200 dollars, alors qu’il n’a toujours pas retrouvé sa femme), imbu de lui-même, raciste (pour lui, tous les indiens sont des sauvages) et parfaitement égoïste (donc, tout ce que Durham et Perry condamnent clairement), tandis qu’à ses côtés, Lapchance (Lee J. Cobb, vu entre autres dans Sur les quais et L’Homme de l’Ouest) traverse le film avec une classe et une sagesse légendaires, renvoyant l’image rassurante du vieil homme intègre et rationnel que l’on retrouve dans plusieurs westerns classiques. D’ailleurs, même s’il propose à Crocker de l’accompagner dans sa traque, on sent bien à travers plusieurs de ses répliques qu’il se montre distant, voire critique (sans jamais l’affirmer clairement), à l’égard de la mentalité de son compagnon de route.
Le scénario enchaîne intelligemment des péripéties à la fois captivantes et révélatrices quant à la psychologie et à l’histoire des différents personnages, qui gagnent tous en épaisseur à mesure que le film se prolonge. Richard C. Sarafian signe une réalisation imaginative, inspirée, qui dynamise constamment le récit et tire le meilleur des acteurs et des paysages (somptueux). Le film comporte deux scènes particulièrement violentes, dont la seconde, une bagarre longue et réaliste entre Grobart et Dawes (l’acteur Jack Warden fut d’ailleurs boxeur ; les deux mémorables bastons auxquelles il participe dans le film ont dû lui rappeler des souvenirs), est admirablement mise en scène.
Malheureusement, Le Fantôme de Cat Dancing est desservi par une musique terriblement datée du pourtant talentueux John Williams, et surtout par une conclusion décevante, à la fois mièvre et peu crédible, qui n’est d’ailleurs pas celle qu’Eleanor Perry avait écrite. Mais cela ne suffit pas à gâcher ce western atypique, avec des personnages forts, un propos intelligent (plus positif que celui de Point Limite zéro, où le parcours suicidaire de Kowalski symbolise une Amérique dans l’impasse) et une belle histoire d’amour. Et puis, il y a Burt Reynolds… Quel dommage que sa carrière ait pris, dans les années 80, une tournure indigne de son talent (bien que Sharky’s Machine, qu’il a lui-même réalisé en 1981, ait plutôt bonne réputation). Un an avant Le Fantôme de Cat Dancing, il avait joué dans le terrifiant et culte Délivrance, de John Boorman – sans doute son rôle le plus célèbre en France.
Bien qu'un peu gâché par une fin peu vraisemblable - qui ne correspond pas aux souhaits de sa scénariste -, Le Fantôme de Cat Dancing demeure un western très recommandable, à la fois pour son originalité, la consistance de ses personnages, et pour le charismatique Burt Reynolds.
3 commentaires
Burt Reynolds ou le beau ratage d’une carrière, où surnagent, outre le Boorman, sa propre réalisation très maîtrisée de « L’Antigang ». Un homme qui fait tourner Rachel Ward et utilise une version de « My Funny Valentine » par Rosemary Clooney ne peut que s’attirer notre sympathie.
Bon commentaire pour ce film intéressant. Je trouve juste étonnant que vous n’ayez pas fait un parallèle avec « Les charognards » de 1971 avec Oliver Reed et Candice Bergen où la fin est différente.
La raison est toute simple : je n’ai pas vu « Les Charognards », mais merci pour la référence, d’autant plus que j’aime beaucoup Oliver Reed.