Film de Dominique Rocher
Pays : France
Année de sortie : 2018
Scénario : Guillaume Lemans, Jérémie Guez et Dominique Rocher, d’après le roman La Nuit a dévoré le monde de Pit Agarmen
Photographie : Jordane Chouzenoux
Montage : Isabelle Manquillet
Musique : David Gubitsch, Sébastien Schuller et Portland
Avec : Anders Danielsen Lie, Golshifteh Farahani, Denis Lavant, Sigrid Bouaziz
Sam : La mort est devenue la normalité. C’est moi qui ne suis pas normal.
Pour son premier long métrage, le français Dominique Rocher revisite le film de zombies en parvenant à y injecter quelques touches personnelles. Le résultat souffre des limites d’un sous-genre intéressant mais rabâché, tout en possédant certaines qualités, dont une bande originale omniprésente et inspirée.
Synopsis du film
De nos jours, à Paris. Sam se rend à une soirée chez Fanny, son ex-petite amie. Son seul but est de récupérer des affaires personnelles qu’il a laissées dans l’appartement, et il n’a aucune envie de discuter avec les nombreuses personnes présentes, encore moins avec le nouveau copain de Fanny.
Il se rend dans la pièce qui contient un carton rempli de cassettes audio, sur lesquelles il a enregistré ses créations musicales. Il ferme la porte à clé pour ne pas être dérangé et, visiblement fatigué, s’assoupit.
À son réveil, le lendemain matin, l’appartement est vide. Le désordre ambiant, et les tâches de sang sur les murs, suggèrent une lutte violente. Rapidement, Sam prend conscience d’une réalité terrifiante : la capitale est remplie de morts-vivants…
Critique de La Nuit a dévoré le monde
Depuis le fameux classique de George Romero – qu’on peut considérer comme l’inventeur du zombie moderne au cinéma -, le film de zombie est un sous-genre qui a été tellement exploité, et continue de l’être encore régulièrement, que l’investir aujourd’hui relève en un sens de l’exercice de style, au cours duquel l’auteur tentera, sur la base d’une situation extrêmement basique et archi-codifiée, d’apporter un tant soi peu de nouveauté, ou au moins de divertir un minimum les spectateurs. Il choisira selon les cas l’humour potache d’un Zombieland, Shaun of the Dead ou alors celui, plus malin, d’un Life After Beth ; il pourra également opter pour une horreur spectaculaire très premier degré, ou encore pour une forme de réalisme épuré (The Battery). C’est plutôt sur ce dernier terrain que s’aventure La Nuit a dévoré le monde.
La scène d’ouverture du film est plutôt maline et exprime très largement la signification globale de l’histoire : un jeune homme se retrouve dans une soirée parisienne blindée de monde, mais il est seul, très seul. Il n’est de toute évidence plus à sa place dans cet appartement, ni dans la vie de l’occupante de ce dernier (son ex-petite amie). Son accent étranger accentue quelque peu ce sentiment, et il n’est d’ailleurs pas exclu que ce détail explique en partie le choix de l’acteur norvégien Anders Danielsen Lie pour l’interprétation du rôle principal.
Sur cette base, le Paris fantomatique, infesté de zombies que Sam découvre avec effroi au petit matin n’est en quelques sortes que le prolongement, certes radical et cauchemardesque, de cette sensation initiale. Et pourquoi pas : quitte à filmer pour la énième fois des morts-vivants au cinéma, autant raconter un semblant d’histoire, esquisser un personnage et un point de vue, plutôt que de dérouler les attaques hystériques et éternelles scènes de cannibalisme sans chercher à donner à tout cela un quelconque sens.
Le Zombies de Romero livrait un portrait morbide de la société de consommation ; Life After Beth parle du deuil de la relation amoureuse ; La Nuit a dévoré le monde illustre la solitude urbaine typique (l’ultra-moderne solitude
, chantait un certain). Cette lecture fait s’enflammer une partie de la presse qui semble oublier que de tout temps, le zombie movie – quand il est entre les mains d’un auteur intelligent – n’est pas qu’une façon de montrer des êtres humains débiles en dévorer d’autres : il y a souvent une signification, une métaphore derrière tout cela. Mais une certain intelligentsia journalistique a tellement pris l’habitude de dissocier cinéma d’horreur et film d’auteur que certains critiques ont paru agréablement surpris de trouver un semblant de propos dans La Nuit a dévoré le monde. Passons.
Après une assez bonne entrée en matière, et fort de son parti pris cohérent, le film déroule une mécanique classique de survival ; et d’un survival particulièrement épuré puisque – et c’est logique étant donné le propos – Sam est totalement seul pendant la majeure partie du film (en dehors de la modeste présence d’un zombie pacifique incarné par Denis Lavant, la caution « auteur » un peu trop évidente du métrage). Si ce cahier des charges contraignant fait que La Nuit a dévoré le monde flirte constamment avec l’ennui – et est souvent tout près de conclure -, le film tient la route grâce à la qualité de sa réalisation (tout en sobriété) et à une très bonne musique originale, combinant des thèmes de David Gubitsch, Sébastien Schuller et du groupe Portland. On entend d’ailleurs l’actrice Golshifteh Farahani sur le morceau Faded Moon, de Sébastien Schuller, et ces jolies séquences musicales apportent au film une précieuse touche mélancolique, poétique et délicate (d’autant plus qu’elles ont du sens : la musique est pour le protagoniste un moyen d’échapper à son quotidien et à sa solitude).
L’intervention du personnage incarné par Golshifteh Farahani développe l’aspect initiatique (Sam le solitaire va trouver chez quelqu’un d’autre l’énergie d’aller de l’avant) d’un récit plutôt bien filmé et raconté, mais qui cependant se heurte quelque peu aux limites inhérentes à un exercice qu’heureusement, le réalisateur n’étire pas trop longtemps et qui par ailleurs, possède ce qu’il faut d’âme pour convaincre.
La Nuit a dévoré le monde possède une dimension suffisamment intime et personnelle pour s'inscrire parmi les variantes très honorables du zombie movie, sans pour autant échapper complètement à la routine passablement ennuyeuse propre à ce sous-genre cinématographique ni, d'ailleurs, à celle d'un cinéma d'auteur un peu poseur, mais en l'occurrence sincère. Ce premier film donne dans tous les cas plusieurs raisons de suivre le parcours de Dominique Rocher, en espérant qu'il continuera d'explorer un genre horrifique boudé par l'hexagone.
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