Film d’Alberto Rodríguez
Année de sortie : 2014
Pays : Espagne
Scénario : Alberto Rodríguez et Rafael Cobos
Photographie : Álex Catalán
Montage : José M. G. Moyano
Musique : Julio de la Rosa
Avec : Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez, Nerea Barros, Antonio de la Torre
La isla minima est un polar d’atmosphère au sous-texte intelligent, servi par la composition habitée de Javier Gutiérrez et la mise en scène inspirée d’Alberto Rodríguez.
Synopsis de La isla minima
Au début des années 80, en Espagne. Deux policiers au tempérament très différent enquêtent sur un double meurtre, perpétré dans les marais du Guadalquivir.
Critique et analyse du film
Le meilleur film espagnol de l’année !
a-t-on souvent pu lire à propos du dernier film d’Alberto Rodríguez, La isla minima. Il faudrait en avoir vu davantage (de films espagnols sortis en 2014) que l’auteur de ces lignes pour le confirmer – sans compter la part de subjectivité naturelle que ce type de déclaration implique – mais peu importe : les qualités de ce polar ibérique font qu’on ne discutera pas outre mesure le recours à ces formules toutes faites.
La isla minima fait partie de ces films policiers dans lesquels l’intrigue principale est doublée d’un sous-texte, en l’occurrence politique et historique, qui donne à l’ensemble une grande partie de son relief. En effet, l’action se déroule en 1980, soit seulement trois ans après la fin du régime franquiste (Franco est mort en 1975, mais les premières élections libres ne se déroulèrent que deux ans plus tard). Nous sommes donc en pleine transition démocratique, contexte qui, si l’on se remémore un peu la brutalité de l’Espagne sous Franco, n’est pas franchement propice à une atmosphère légère et enjouée – mais plutôt à la gueule de bois, comme celle dont Juan Robles (Javier Gutiérrez) hérite à peu près chaque matin, le personnage ayant l’habitude de noyer son passé tourmenté dans l’alcool et les médicaments.
Ce cadre historique trouble, où les repères moraux et démocratiques peinent encore à se dessiner – et où les mauvais souvenirs abondent -, trouve dans les décors naturels du film un écho saisissant : les labyrinthiques Marais du Guadalquivir, traversés de chemins peu praticables, figurent à merveille l’idée d’une Espagne peinant à retrouver son chemin. Ils sont aussi éminemment cinématographiques, et Alberto Rodríguez les filme très bien, y compris à travers d’impressionnants plans aériens révélateurs de la complexité du paysage. Il y a en outre dans ce type de prise de vue lointaine quelque chose qui ici rappelle la hauteur, le recul propres au regard que le metteur en scène porte sur cette époque, trente-cinq années plus tard. La distance physique de la caméra ferait ainsi référence à la distance temporelle – sans pour autant éluder les résonances actuelles du film : un grand nombre de problèmes que nous avions à l’époque sont revenus maintenant
, déclarait Alberto Rodríguez dans une interview donnée en septembre 2014.
Le film utilise le schéma efficace des deux policiers quasiment antagonistes amenés à travailler ensemble pour résoudre une affaire. On a d’un côté un inspecteur sobre et idéaliste aux profondes convictions démocratiques, et de l’autre un quadragénaire plus nerveux et vaguement porté sur la bouteille, dont le passé est aussi bourbeux que les décors dans lesquels évolue péniblement ce duo contrasté. Il faut souligner le traitement jamais manichéen que l’auteur développe autour de ces personnages – le plus sombre des deux nous plaçant, en tant que spectateur, dans une position ambiguë et inconfortable.
Cet aspect du scénario (l’association de deux policiers aux personnalités et aux idées bien distinctes) et l’importance des paysages ont valu à La isla minima d’être souvent comparé à la première saison de True Detective, la fameuse anthologie écrite par Nic Pizzolatto. On ne parlera évidemment pas ici d’influence – sorti en septembre 2014 (en Espagne), La isla minima a été écrit et tourné à un moment qui exclut définitivement cette hypothèse – mais il est vrai que la série et le film, s’ils diffèrent à bien des égards, partagent une atmosphère comparable.
Dans l’un comme dans l’autre d’ailleurs, les femmes subissent souvent un sort peu enviable. Celui des jeunes filles de La isla minima fait en partie écho au contexte historique du film : elles cherchent à s’émanciper et à travailler, ce qui est d’autant plus compréhensible que l’Espagne franquiste avait tout bonnement interdit le travail des femmes, cantonnées (selon l’idéologie nationale-catholique) à un rôle de mère au foyer soumise. Bien que nuancée au début des années 60, la loi en question continua de fermer bien des portes aux citoyennes espagnoles dans les années 70 et en ce sens, les personnages féminins du film ne sont pas que les victimes d’individus infréquentables – mais aussi celles d’un système discriminatoire, dont les séquelles subsistèrent après son terme.
Soigné sur le plan esthétique et rigoureux au niveau de l'écriture, La isla minima se démarque par son atmosphère prenante, ses personnages consistants et son regard pertinent sur l'histoire de l'Espagne et sur la condition des femmes.
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