Si le conte horrifique traditionnel a souvent pour cadre la campagne profonde, il n’est pas rare que le cinéma d’épouvante moderne explore les mégapoles pour tisser des récits intimement liés à différentes réalités urbaines. Voici une sélection de films appartenant au sous-genre appelé « horreur urbaine ».
Qu’est-ce que l’horreur urbaine ?
Le cinéma d’horreur et fantastique se décompose en une multitude de sous-genres, aux noms plus ou moins familiers : slashers ; home invasion ; survival ; monster movie ; vampire movies ; ghost movie ; etc. On parle cependant plus rarement d’horreur urbaine, peut-être parce que l’expression évoque davantage un « décor » qu’un genre horrifique à proprement parler. À bien y réfléchir, il est pourtant possible d’en proposer une définition assez précise et discriminante.
Le fait que le récit ait pour contexte une ville de taille relativement importante, et qu’il présente une dimension horrifique, sont deux évidentes conditions sine qua non pour que l’on puisse parler d’horreur urbaine. Mais ce ne sont pas les seules : on regrouperait sinon une multitude de films radicalement différents, sans aucune similarité thématique, et avec un point commun finalement vague et peu significatif (du moins dans une majorité de cas).
Pour que l’expression « horreur urbaine » soit pleinement appropriée, il faut que ce cadre (la ville moderne) ne soit pas simplement un décor, mais qu’il ait un lien particulier avec l’histoire – rendant ainsi impossible la transposition de cette dernière dans un cadre rural, par exemple, sans que la signification de l’ensemble n’en soit profondément bouleversée. C’est en réalité très simple : il suffit de prendre l’expression à la lettre pour comprendre qu’elle désigne des films dont l’aspect horrifique est de nature urbaine, du moins en partie.
Voici donc quatre films qui déclinent, chacun à leur manière, une vision horrifique de la ville. Ils sont présentés par ordre chronologique.
Nomads : We are so very far from home
Premier film de John McTiernan, Nomads (1986) raconte l’histoire d’un anthropologue récemment installé à Los Angeles, qui se retrouve confronté à une horde de zonards errant dans la cité des anges. Une présence largement surnaturelle puisque sur les photographies que prend Jean-Charles Pommier (l’anthropologue en question, interprété par Pierce Brosnan) lorsqu’il les traque à leur insu, les « nomades » demeurent inexplicablement invisibles…
Dans ce film inégal mais intéressant, la mythique ville américaine incarne un ordre social, un modèle de civilisation auquel correspondent des normes que rejettent en bloc les loubards fantomatiques désignés par le titre du long métrage. Pommier lui-même questionne cet environnement, qui pour ce voyageur féru de découvertes et de liberté représente une forme d’enfermement bourgeois. Cette position s’exprime clairement dans une scène clé, où il prononce des paroles lourdes de sous-entendus : Nous sommes si loin de chez nous
, dit-il en observant, du haut d’un immeuble, l’étendue urbaine qui l’entoure. Si on l’oppose au décor urbain qui lui inspire cette réflexion, « home » semble désigner une terre sauvage, que l’urbanisation et industrialisation n’ont pas encore transformée. Puis, s’adressant à son épouse, il ajoute : Nous devrions parler de notre nouvelle vie. Notre vie bourgeoise dans cet endroit civilisé
.
La conclusion ironique de Nomads souligne davantage encore ce propos. Certes, les barbares n’ont ici rien de sympathique, mais ils incarnent une forme de liberté et un refus de se plier aux lois de la société de consommation – ce en quoi ils exercent un attrait sur le protagoniste du film, à la fois effrayé et fasciné par ce modèle de fonctionnement anarchique et rebelle.
Dans Nomads, la ville a donc une double dimension effrayante, selon les points de vue. C’est à la fois le territoire de rôdeurs redoutables, menaçant la sécurité du citadin ordinaire, et aussi une prison à ciel ouvert, synthétisant la société moderne dans tout ce qu’elle peut avoir d’aliénant. Parce qu’il erre quelque part entre ces deux visions, Pommier est un personnage ambigu, dont on ne s’étonnera pas qu’il ait pu naître sous la plume politiquement incorrecte de John McTiernan, lequel tournera l’année suivante le culte Predator.
Candyman : le miroir de l’histoire
Candyman (1992), de Bernard Rose, est un exemple particulièrement représentatif (et aussi plutôt complexe) d’horreur urbaine au cinéma. En effet le scénario, adapté d’une nouvelle de Clive Barker, est profondément ancré dans l’environnement urbain qui est le théâtre des événements du film.
Cet environnement est une cité située à Chicago, appelée Cabrini Green – le plus grand ensemble de logements sociaux du pays
, pour citer l’article Cabrini Green et les dilemmes politiques de l’habitat social à Chicago. Dans sa nouvelle, Barker en donne une description lourde de sens (on notera que l’écrivain cite un quartier fictif, contrairement à Bernard Rose) : Comme une parfaite tragédie, dont l’élégance échappe aux yeux de ceux qui en sont les victimes, la géométrie rigoureuse de la cité de Spector Street n’était visible que des hauteurs
. Cette phrase suggère assez clairement une notion de déterminisme, un déterminisme social en l’occurrence, qui concerne les habitants d’un ghetto rongé par la misère et la violence.
Dans ce contexte bien précis, le célèbre boogeyman incarné par Tony Todd devient un symbole ; une émanation de la peur, de la misère, du désordre. Mais aussi le produit d’un certain folklore – ces légendes urbaines qui donneront son titre au film éponyme de Jamie Blanks (1998). Dans le cas de Candyman, on parlera également d’horreur sociale, en raison du sombre tableau que Cabrini Green renvoie sur le plan sociologique.
Bernard Rose accentue cette dimension sociale en attribuant une histoire au tueur armé d’un crochet – celle du fils d’un esclave noir qui prospéra, pendant la guerre de Sécession, dans le commerce de chaussures. Une réussite économique qui lui permit d’intégrer la « bonne » société, en dépit de ses origines dans un Sud particulièrement raciste. Mais sa relation avec une femme blanche lui attira les foudres du père de cette dernière ; et le « parvenu » finit par être assassiné dans des circonstances particulièrement violentes.
Ce réjouissant background rattache directement Candyman à une partie de l’histoire des États-Unis d’Amérique, marquée par l’esclavage, la ségrégation et le racisme à l’encontre des afro-américains. Un contexte historique dont Cabrini Green est en quelques sortes l’une des conséquences modernes, et dont le tueur surnaturel est le reflet cauchemardesque.
D’ailleurs, celui-ci apparaît lorsque l’on prononce cinq fois son nom devant un miroir. Ce petit objet du quotidien (le miroir) prend ici une dimension toute particulière : il reflète non pas seulement celui ou celle qui le regarde, mais un passé, une histoire commune, dont surgit métaphoriquement le revenant qui donne son titre au film.
Creep : le métro, un terreau favorable à l’anxiété urbaine
Le premier long métrage du britannique Christopher Smith a pour cadre un lieu typiquement urbain : le métro. C’est l’une des meilleures séquences du culte Loup-garou de Londres, de John Landis, qui lui inspira cette idée ; ainsi d’ailleurs qu’une expérience personnelle, à savoir que Smith s’est retrouvé un soir – ainsi qu’il l’expliqua lui-même lors de la projection de Creep au FrightFest 2004 – coincé dans le métro de Londres après sa fermeture…
Le métro est un cadre approprié pour un film d’horreur. Les couloirs et wagons bondés aux heures de pointe, et inversement plus déserts aux heures tardives, sont propices tantôt à un stress ordinaire, tantôt à une éventuelle claustrophobie ou agoraphobie, ou encore à un sentiment d’appréhension (celle de faire une mauvaise rencontre en rentrant tard le soir). On associe également souvent le métro à un endroit sale, où des souris et des rats gambadent entre les rails. On y croise une population variée : des salariés et des cadres pressés, mais aussi des SDF, des laissés-pour-compte et des marginaux. Par ailleurs, un esprit imaginatif aura vite fait de visualiser, dans les tunnels et galeries obscurs du métro, quelques mystérieuses et maléfiques présences… Enfin, signe qu’il est un terreau favorable à l’anxiété, le métro a été le cadre de plusieurs légendes urbaines plus ou moins farfelues.
Toutes ces caractéristiques sont autant d’ingrédients favorables à un récit d’horreur urbaine, et dans ce registre, Creep est une tentative plutôt efficace. La comédienne allemande Franka Potente, vue dans Cours Lola cours (1998) mais aussi Les Particules élémentaires (2006), adapté du roman éponyme de Michel Houellebecq, interprète une jeune femme qui, en rentrant d’une soirée arrosée, s’endort sur le quai du métro et se réveille après sa fermeture – loupant le fameux dernier train quêté par les noctambules en tous genres. Détail amusant : Kate cherchait initialement à rejoindre une fête dans laquelle elle espérait séduire George Clooney…
C’est une rencontre beaucoup moins glamour qu’elle va malheureusement faire, celle d’un tueur redoutable dont l’aspect monstrueux dépasse en horreur les scénarios les plus terrifiants qu’un citadin égaré peut redouter en pareilles circonstances. La créature vaguement humaine de Creep est l’incarnation même de la saleté et de la paranoïa que le métro suscite dans un certain imaginaire urbain. Il est le produit des déchets qu’on y déverse, du liquide poisseux dans lequel l’héroïne – au caractère bien trempé – se retrouve malgré elle plongée lors d’une séquence du film. Smith a d’ailleurs tort de chercher à expliquer, de façon peu convaincante et développée, les origines de l’abomination interprétée par le britannique Sean Harris : cela lui fait perdre de sa dimension métaphorique.
En revanche, l’auteur est malin quand il filme une dernière scène où la protagoniste épuisée est prise, par les usagers du métro, pour une énième sans-abri, alors que Kate a – au début du film – tout de la jeune citadine plutôt coquette et sûre d’elle. Sans nullement condamner son héroïne combative et attachante, Smith fait ici un « clin d’œil social » plutôt astucieux ; on retrouvera ce mordant, dans des proportions plus grandes encore, dans l’excellent Severance (2006), le film qu’il réalisera juste après Creep.
Citadel : la phobie du sweat à capuche
Si le cinéma d’horreur irlandais contemporain compte parmi ses « récents » exemples le très rural Isolation (2005) – ou encore Grabbers (2012), un monster movie qui se déroule dans un petit village portuaire -, il a aussi exploré (très frontalement) l’horreur sociale et urbaine avec Citadel (2012).
L’idée du film est né d’une agression vécue par son réalisateur, Ciaran Foy. Un jour, une bande de jeunes l’ont menacé avec une seringue sale, sans raison apparente. Depuis cette violente expérience, Foy souffre d’agoraphobie – comme Tommy, le protagoniste de Citadel (incarné par Aneurin Barnard).
Au début du film, celui-ci emménage avec sa femme Joanne et son enfant dans un HLM délabré, en plein cœur d’un quartier défavorisé. Le jour de leur installation, des adolescents portant des sweats à capuche (comme ceux qui ont agressé le réalisateur dans la vraie vie) agressent sauvagement son épouse, la laissant pour morte. Tommy, témoin impuissant de la scène, essaie tant bien que mal d’assumer seul l’éducation de son jeune fils, tandis qu’il souffre de graves traumatismes psychologiques.
Contrairement à la série des Justiciers dans la ville et autres revenge movies urbains, Citadel adopte une approche moins manichéenne. Les jeunes agresseurs sont certes dangereux et effrayants, mais ils sont le produit d’une réalité urbaine (les ghettos) qui est présentée comme la source véritable du mal (et qui est symbolisée par la grande tour délabrée d’où proviennent les délinquants). Leur aspect en partie inhumain et monstrueux souligne cette démarche : les hideux tueurs à capuche sont la métaphore d’un phénomène social, contre lequel les méthodes expéditives de Charles Bronson dans la série B de Michael Winner sembleraient dérisoires.
Dans sa première partie, Citadel opte pour une ambiguïté intéressante : il est difficile de faire la part des choses entre la réalité et la peur extrême ressentie par Tommy, tandis que le dénouement – plus explicite, moins psychologique – articule assez clairement la critique sociale inhérente au sujet, pour un résultat d’ailleurs moins convaincant. Évidemment, de par son ancrage dans les ghettos défavorisés, le film n’est pas sans rapports avec Candyman, même si le traitement est très différent.
Quelques autres exemples d’horreur urbaine au cinéma
Christopher Smith n’est pas l’unique réalisateur à avoir exploité le potentiel horrifique du métro. Midnight Meat Train (2008), du cinéaste japonais Ryūhei Kitamura, se déroule en grande partie dans le métro de Los Angeles. Comme Candyman, le film est basé sur une nouvelle de Clive Barker, intitulée The Midnight Meat Train.
Le franco-britannique Attack the Block (2001), en confrontant un gang de jeunes de la banlieue sud de Londres à une invasion extraterrestre, s’inscrit dans une veine de SF urbaine présentant, sous ses airs de comédie horrifique, une dimension sociale évidente.
Si Assaut (1976), le second long métrage de John Carpenter, se situe plutôt dans le registre du cinéma d’action, il mêle plus précisément deux genres : le western (le film est un hommage explicite à Rio Bravo, d’Howard Hawks) et le film d’horreur façon George Romero. Le tout dans un environnement (Los Angeles) 100% urbain. Qu’est-ce qui rapproche par moment Assaut d’un zombie movie et plus particulièrement de La Nuit des morts-vivants ? L’attitude de la majorité des membres du gang Street Thunder dans le film : ils ne parlent pratiquement pas ; leurs gestes sont lents et mécaniques ; leur cerveau semble étrangement éteint… Cette représentation horrifique et stylisée d’une réalité sociale urbaine (les gangs) justifie que l’on associe, dans une certaine mesure, Assaut à l’horreur urbaine au cinéma.
Le Loup-garou de Londres est un exemple atypique – et trompeur. Le film débute dans la campagne anglaise profonde, et s’il se termine dans la capitale londonienne, c’est une manière pour John Landis de filmer l’intrusion d’une légende typiquement rurale (les loups-garous) dans un cadre urbain. L’auteur montre ainsi que même dans un contexte moderne et civilisé, les peurs les plus anciennes – et les instincts les plus primaires – parviennent à se faire un passage… L’idée est ingénieuse, mais on ne parlera pas vraiment d’horreur urbaine en ce sens que l’élément horrifique du film n’a rien d’urbain, au contraire.
Conclusion
Les films présentés ci-dessus utilisent la ville non pas simplement comme un contexte étranger aux événements qu’ils relatent, mais comme une matière, une réalité dans laquelle ils puisent l’essence même de leur histoire.
La grande ville y est tour à tour le reflet d’inégalités et de tensions sociales et raciales (Candyman) ; le symbole pesant d’un mode de vie normé et aliénant (Nomads) ; le théâtre d’une délinquance incontrôlable et ultra-violente (Citadel ; Nomads) ; l’habitacle de créatures souterraines nourries par les égouts et les déchets urbains (Creep).
Bien entendu, les campagnes aussi ont leurs démons, et le cinéma les a mis en scène plus d’une fois. Il arrive même qu’ils franchissent impunément les frontières des mégapoles, sous la forme d’un loup-garou libidineux et affamé…
Un commentaire
Et « Wolfen » en 1982 de Michaël Wadleight? J’en suis fan, c’est pour ça que je me permets…