Film de Gilles Marchand
Année de sortie : 2010
Pays : France
Scénario : Gilles Marchand et Dominik Moll
Photographie : Céline Bozon
Montage : Nelly Quettier
Réalisation des scènes d’animation de Black Hole : Djibril Glissant
Musique : Emmanuel D’Orlando (musique originale), Anthony Gonzalez
Avec : Grégoire Leprince-Ringuet, Louise Bourgoin, Melvil Poupaud, Pauline Étienne, Pierre Niney
Sept ans après Qui a tué Bambi ?, Gilles Marchand livre, avec L’Autre monde, un nouveau conte sur le désir, la peur et la mort.
Synopsis du film
De nos jours, dans le sud de la France. Gaspard, Yann, Ludo et Marion, tous âgés d’environ vingt ans, forment un groupe d’amis inséparables. Un après-midi, alors qu’ils profitent d’une journée ensoleillée sur la plage, Gaspard et Marion s’isolent dans une cabine pour s’embrasser. Ils trouvent alors un téléphone mobile vraisemblablement oublié par son propriétaire. Gaspard emporte l’appareil chez lui, et réceptionne de mystérieux SMS où il est question d’un jeu en réseau intitulé Black Hole
. Apparemment, deux participants ont décidé de se donner rendez-vous dans la vraie vie
, pour des raisons qui intriguent Gaspard et Marion.
Pour le jeune homme, c’est le début d’une aventure aussi excitante que dangereuse…
Critique de L’Autre monde
Certaines réactions de la presse à l’égard de L’Autre monde montre à quel point le critique de cinéma est trop souvent tenté d’interpréter un film et d’en identifier le message potentiel. Seulement, comme Samuel Fuller le dit très bien dans Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard, le cinéma c’est avant tout de l’émotion. Un film peut bien entendu véhiculer un propos bien défini, mais ce n’est en aucun cas une obligation et bien des réalisateurs, comme par exemple John Carpenter, se défendent de vouloir faire passer un quelconque message. Il en va de même, en tous cas pour l’instant, de Gilles Marchand : ses films sont intéressants, ce sont de vrais films d’auteur car il y a un regard, une patte
, des thématiques récurrentes, etc., mais il ne faut pas y chercher de message à proprement parler, encore moins de morale.
De Qui à tué Bambi ? à L’Autre monde : des thématiques similaires
L’Autre monde a donc été à tort jugé par certains comme un conte moralisateur sur les dérives du virtuel, ce qu’il n’est absolument pas : comme l’excellent Qui a tué Bambi ?, il s’agit d’un film qui met en scène une jeune personne peu expérimentée, dont le quotidien ordinaire va être ébranlé par des peurs et des désirs troublants et vertigineux. Dans Qui a tué Bambi ?, cette jeune personne est l’infirmière débutante incarnée par Sophie Quinton ; dans L’Autre monde, c’est Grégoire Leprince-Ringuet qui reprend le flambeau. Le jeu vidéo est ici un moyen, un support qui permet à Gilles Marchand de développer cette situation de base – il ne s’agit en aucun cas d’en pointer les éventuels dangers.
Les deux films ne partagent pas qu’une idée centrale relativement similaire, mais aussi des techniques d’écriture assez proches – à noter d’ailleurs que le scénario de L’Autre monde, comme celui de Qui a tué Bambi ?, a été écrit par Gilles Marchand et son complice Dominik Moll, un tandem inspiré à qui l’on doit Harry, un ami qui vous veut du bien, Lemming et plus récemment Des nouvelles de la planète Mars. L’Autre monde fonctionne, comme Qui a tué Bambi ?, sur des oppositions – celles entre un protagoniste plein d’innocence et un monde plus noir, plus obscur qui vient menacer son équilibre ; celle entre une petite amie d’une gentillesse confondante (Marion, jouée par Pauline Étienne) et une mystérieuse inconnue aux allures de femme fatale (Louise Bourgoin), qui vient convoquer un peu de la mythologie des films noirs dont Marchand est probablement friand ; et enfin celle entre un sud de la France lumineux et coloré (le film a été tourné à Marseille, en été) et un jeu vidéo dont les décors minimalistes et enneigés sont plongés dans l’obscurité.
Un film sur l’exploration des fantasmes et sur la dualité
On l’aura compris, L’Autre monde est un film qui joue sur des effets de contraste, aussi bien en termes de caractérisation des personnages que de partis-pris esthétiques (la chef opératrice Céline Bozon explique d’ailleurs très bien comment elle a utilisé les oppositions de lumière dans cet entretien), pour exprimer la dualité du monde et les vertiges d’un protagoniste séduit par l’inconnu, en particulier quand celui-ci prend les formes voluptueuses de Louise Bourgoin. Le désir et les fantasmes du personnage principal sont en effet le moteur de son expérience initiatique ; c’est d’ailleurs ce que suggère l’affiche du film en montrant Louise Bourgoin, de dos, nue dans une piscine (le mot Heaven tatoué dans le bas du dos), sous le titre L’Autre monde. Expression qui ne désigne pas le jeu en réseau dans lequel erre le jeune Gaspard (Black Hole, qui au passage est le titre d’une excellente bande dessinée de Charles Burns) mais bel et bien l’univers érotique, mystérieux et sombre qu’incarne la belle Audrey dans le film. Ce ne serait donc que ça, l’autre monde ? Une sublime paire de fesses ?
, s’interrogeait le journaliste Jérémie Couston (de Télérama) dans sa critique plutôt négative du film. Interrogation légitime, mais à laquelle on a envie de répondre, avec un peu de malice : pourquoi pas ?
Les références lynchéennes de L’Autre monde
Gilles Marchand excelle dans l’art de créer une atmosphère inquiétante, où rêve et réalité s’entremêlent sur fond de musique planante, d’une manière qui rappelle David Lynch et plus particulièrement Blue Velvet, film que Qui a tué Bambi ? évoquait déjà à certains égards. D’ailleurs, la chanson qu’Audrey fait écouter à Gaspard à un moment du film fait songer aux mélopées mélancoliques et oniriques que chante la voix réverbérée de Julee Cruise dans Blue Velvet et Fire Walk With Me.
Le travail de Djibril Glissant sur Black Hole
Les scènes qui se déroulent au sein du jeu Black Hole sont plutôt réussies. Heureusement, Gilles Marchand s’est affranchi des contraintes liées au gameplay et propose une vraie mise en scène (il y a des changements d’angle de vue impensables quand on joue à un jeu vidéo). Mise en scène confiée d’ailleurs à Djibril Glissant, qui avait signé le making of intitulé Sur les pas de Bambi, journal d’une jeune comédienne, dans le cadre de la réalisation du premier long métrage de Gilles Marchand.
Le casting
Du côté de l’interprétation, le quatuor d’amis (Grégoire Leprince-Ringuet, Pierre Niney, Ali Marhyar, Pauline Étienne) sonne juste tandis que Louise Bourgoin prête à son personnage un indéniable charme vénéneux. On retrouve avec plaisir le discret Melvil Poupaud, un comédien qui échappe à toute étiquette et dont la filmographie variée reflète un goût respectable pour le cinéma d’auteur sous toutes ses formes.
Un petit bémol cependant, qui fait que L’Autre monde convainc moins que Qui a tué Bambi ? : le tandem interprété par Louise Bourgoin et Melvil Poupaud, s’il bénéficie du talent de ces deux comédiens, est un peu négligé par le scénario, en ce sens que leur histoire, leur relation et leurs motivations demeurent assez opaques. Certes, ce n’est pas le sujet du film (le véritable sujet, c’est l’initiation de Gaspard), et de fait on peut comprendre la volonté de laisser certaines choses dans l’ombre, mais peut-être qu’une ou deux allusions bien placées auraient permis de leur donner un peu plus de relief. Le face-à-face ne dégage en tous cas pas l’intensité de celui entre Sophie Quinton et Laurent Lucas dans Qui a tué Bambi ?.
Bande-annonce
Avec L'Autre monde, Gilles Marchand joue habilement sur des oppositions (rêve / réalité ; lumière / obscurité) pour décrire l'initiation d'un jeune homme confronté à des désirs troublants, le tout dans une atmosphère qui continue d'évoquer, par certains aspects, le cinéma de David Lynch. Après six années d'absence derrière la caméra, Marchand va bientôt nous revenir avec Dans la forêt, dont le tournage - localisé en Suède et en France - a débuté au cours de l'été 2015. Fruit d'une énième collaboration avec Dominik Moll, ce film devrait sortir sur les écrans en 2017.
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