Film de François Ozon
Pays : France
Année de sortie : 2017
Scénario : François Ozon, librement inspiré du roman Lives of the Twins de Joyce Carol Oates
Photographie : Manuel Dacosse
Montage : Laure Gardette
Musique : Philippe Rombi
Avec : Marine Vacth, Jérémie Renier, Jacqueline Bisset, Myriam Boyer
Avec L’Amant double, François Ozon signe un thriller psychologique flirtant avec l’horreur, qui convoque quelques prestigieuses références du genre. Même si l’ensemble, efficace sur le moment, manque trop de finesse et d’inspiration pour marquer la mémoire du spectateur.
Synopsis du film
Chloé (Marine Vacth) souffre de maux de ventre récurrents. Sa gynécologue estimant qu’il s’agit d’un problème psychologique, elle décide de consulter le psychologue Paul Meyer (Jérémie Renier). Au fil des séances, l’état de la jeune femme s’améliore tandis que des sentiments naissent entre elle et son analyste. Finalement, Paul et Chloé entament une relation et s’installent ensemble.
Un jour, tandis que Paul est censé travailler à l’hôpital, Chloé l’aperçoit dans la rue en train de discuter avec une inconnue. Le soir, elle en parle à Paul qui lui assure qu’elle s’est trompée. Après quelques recherches, Chloé finit par découvrir l’existence d’un frère jumeau, Louis Delord, également psychologue…
Critique de L’Amant double
Une scène d’ouverture dans un cabinet de gynécologie ; deux jumeaux dont l’un est courtois et protecteur, l’autre violent et pervers… De prime abord, le nouveau film de François Ozon fait naturellement songer à Faux semblants (1988) de David Cronenberg. Ne nous y trompons pas toutefois : contrairement à ce qu’a affirmé le journaliste Pierre Vavasseur dans sa pataude (et au final, assez sexiste) lettre ouverte à François Ozon après la projection de L’Amant double au festival de Cannes 2017, ce dernier n’est absolument pas basé sur le même roman que le film de Cronenberg. Le scénario de L’Amant double est en effet librement inspiré de Lives of the Twins (1987), écrit par la célèbre auteure américaine Joyce Carol Oates (sous le pseudonyme de Rosamond Smith), tandis que Faux semblants est l’adaptation de Twins (1977), de Bari Wood et Jack Geasland.
Je suis complètement double
, a récemment confié François Ozon au quotidien Vingt minutes. Un aveu révélateur de la thématique de son dernier long métrage : comme beaucoup d’œuvres traitant de la gémellité, L’Amant double est avant tout pour le cinéaste l’occasion de filmer la dualité et l’ambiguïté que l’être humain, par ses comportements mais aussi par ses désirs sexuels, ses névroses et ses fantasmes, manifeste à des degrés plus ou moins importants ; ambiguïté qui concerne également les frontières poreuses entre le genre féminin et masculin (au cœur de l’avant dernier film d’Ozon, Une Nouvelle amie), comme l’illustre entre autres la scène d’ouverture du film, au cours de laquelle la protagoniste se coupe les cheveux.
Ces thématiques, François Ozon les a régulièrement abordées au cours de sa carrière avec, toutefois, rarement un style aussi baroque. En termes de mise en scène, L’Amant double s’oriente en effet résolument vers le cinéma de genre, avec un plaisir assumé. Ainsi lorsque l’héroïne se rend pour la première fois chez Paul Meyer, Ozon cadre la montée des escaliers avec une volonté (trop ?) évidente de symboliser d’emblée le parcours mental labyrinthique, vertigineux et tortueux que le film est sur le point de nous décrire. Et ceci dans un climat étrange, érotique et paranoïaque qui rappelle, par petites touches (et toutes proportions gardées), le cinéma de Brian De Palma (et donc d’Alfred Hitchcock), de Roman Polanski, de Cronenberg (essentiellement pour la filiation thématique avec Faux semblants) et même de Paul Verhoeven – même si la caractérisation du personnage féminin est fort éloignée de ce qu’aurait sans doute proposé le brillant réalisateur hollandais face à un sujet similaire.
À travers la jeune femme à la fois fragile, tourmentée et ambigüe qu’incarne (avec talent) Marine Vacth (révélée par Jeune et jolie, du même Ozon), le réalisateur livre une nouvelle variation autour d’un désir féminin qui visiblement le fascine, voire l’obsède (à ce sujet, une scène de sexe frise le ridicule), même si on aurait sans doute tort de voir dans ce qui n’est justement qu’une variation une image définitive de la femme selon Ozon (comme le fait sans vergogne le journaliste du Parisien dans sa lettre évoquée ci-avant), d’autant plus que le profil psychologique (complexe et bien spécifique) du personnage rend toute généralisation largement discutable. Comme indiqué ci-dessus, le personnage de Chloé dans L’Amant double est essentiellement le point de départ d’une réflexion autour de la géméllité et de la dualité qu’en l’occurrence, elle symbolise ; dans ce contexte, y voir un discours ou une vision générale sur les femmes relève de la pure interprétation.
Le personnage de Paul (Jérémie Renier) aurait sans doute mérité un traitement plus complexe. Plutôt paternaliste, compatissant et bienveillant (ce qui est cohérent dans la mesure où Chloé, angoissée, cherche une présence rassurante), il existe surtout de par le jeu de symétrie lié à l’existence de son mystérieux jumeau, nettement moins recommandable. C’est peut-être voulu, mais il résulte de cette caractérisation assez vague que le couple formé par Paul et Chloé est curieusement désincarné. On sait pourtant que François Ozon sait faire vivre un couple à l’écran – il suffit de revoir 5X2 (2004) pour s’en convaincre (les deux films n’étant, précisons-le, absolument pas comparables).
Le récit reste néanmoins suffisamment rythmé et ingénieux pour entretenir une tension et un suspense efficaces, d’autant que la réalisation de François Ozon puise intelligemment dans l’esthétique du cinéma de genre, tout en affirmant sa propre patte. L’auteur soigne ses plans et les charge de sens et de symboles divers, en utilisant par exemple intelligemment les décors, à l’image du cabinet du docteur Louis Delord et de son vertigineux effet de miroir (voir ci-dessous), évoquant les différents niveaux de réalité avec lesquels jongle – plutôt habilement – le scénario du film.
L’exercice trouve toutefois ses limites : certes troublant par moment, le film demeure au final plus sage que ce que certains titres de presse laissent supposer. Et comme par ailleurs, ses rouages psychologiques ne sont pas d’une finesse extraordinaire, L’Amant double se retrouve un peu coincé dans un entre-deux, manquant selon les points de vue soit de subtilité, soit de folie et d’inspiration. Trop prudente et incertaine, l’empreinte laissée par le film, après la projection, se dissipe de fait rapidement.
L'Amant double témoigne du plaisir et de l'habileté avec lesquels François Ozon manie visiblement les codes du cinéma de genre. Au niveau thématique, le récit est une exploration des paradoxes, de la dualité et des ambiguïtés propres à un être humain "double" par nature, dans son rapport aux autres, à lui-même et à ses désirs. Mais bien que très précis dans sa forme, le film ne parvient que ponctuellement à toucher (et à troubler) le spectateur - son audace au final assez contenue et sa psychologie plus simpliste qu'il n'y paraît contribuant à limiter la portée de l'ensemble.
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