Film d’Alan J. Pakula
Titre original : Klute
Année de sortie : 1971
Pays : États-Unis
Scénario : Andy Lewis, Dave Lewis
Montage : Carl Lerner
Photographie : Gordon Willis
Musique : Michael Small
Avec : Donald Sutherland, Jane Fonda, Roy Scheider.
Bree Daniels: What I would really like to do is be faceless, and bodyless, and be left alone.
Klute, deuxième film d’Alan J. Pakula, est un film policier très original, qui bénéficie de l’excellente interprétation de Jane Fonda, de la présence unique de Donald Sutherland et de l’excellente photographie de Gordon Willis, chef opérateur majeur des années 70.
Synopsis de Klute
John Klute (Donald Sutherland), détective privé, enquête sur la disparition de son ami Tom Gruneman. Son unique piste étant Bree Daniels (Jane Fonda), une call girl new-yorkaise à laquelle le disparu écrivait des lettres obscènes, Klute quitte la Pennsylvanie pour débuter ses recherches à New-York.
Il découvre rapidement que Bree est harcelée par un mystérieux et dangereux pervers..
Critique
Pakula et Willis : une collaboration fructueuse
C’est frappant dès les premiers plans du film : Klute est une réussite totale sur le plan esthétique. Les images, admirablement accompagnées par la musique étrange de Michael Small (qui signera plus tard la BO des Femmes de Stepford de Bryan Forbes), sont extrêmement soignées et contribuent à l’atmosphère très particulière – assez pesante et curieuse – du film.
À la précision et l’inventivité des cadrages imaginés par Pakula se conjugue la photographie remarquable de Gordon Willis, connu pour ses images souvent sombres (le chef opérateur Conrad L. Hall le surnommait « le prince des ténèbres »). Un parti pris qui en l’occurrence convient parfaitement au sujet trouble de Klute.
La carrière de Willis s’inscrit dans ce mouvement communément appelé le Nouvel Hollywood, soit le renouveau du cinéma américain incarné à la fin des années 60 par des réalisateurs comme Penn, Peckinpah, Hopper et Coppola. Willis signa la photographie de la trilogie des Parrains de Coppola et celle de nombreuses œuvres de Woody Allen, de Annie Hall, premier grand film du réalisateur new-yorkais, à La Rose pourpre du Caire (1985). Pakula fit appel à lui pour cinq autres de ses films en dehors de Klute, dont les célèbres À Cause d’un assassinat et Les Hommes du président.
Pakula, dont il s’agit ici seulement du deuxième long métrage, fait preuve d’une grande maîtrise. Le réalisateur est parvenu à exprimer, à travers les images intrigantes et obscures de Klute, l’aspect atypique d’un film dont le véritable intérêt ne réside pas dans son intrigue policière (plutôt minimaliste) mais dans son atmosphère et dans ses personnages. Cela n’est d’ailleurs pas un hasard si le titre du film est précisément le nom du héros joué par Donald Sutherland.
Klute : un polar urbain psychologique et singulier
Le scénario fait la part belle au développement du personnage de Bree Daniels (Jane Fonda), notamment à travers ses séances de psychanalyse qui aident le spectateur à mieux comprendre sa psychologie, les névroses dont elle souffre et ses relations problématiques avec les hommes. Ayant choisi le métier de call girl pour, selon ses propres dires, vivre dans le confort de l’insensibilité et se donner l’illusion de maîtriser son existence comme elle maîtrise ses clients, la jeune femme va être littéralement bouleversée, quoique de façon très progressive, par sa rencontre avec Klute (Sutherland), personnage mystérieux qui semble la comprendre, l’accepter, et dont la présence est à la fois – pour elle – rassurante, inquiétante et énigmatique.
Rassurante, parce que Klute ne vient pas de New-York – cette ville dans laquelle Bree s’est manifestement perdue -, parce qu’il la protège d’un mystérieux persécuteur et qu’il désapprouve, sans la juger, le métier de Bree et ses relations douteuses, notamment avec Franck Ligourin (incarné par Roy Scheider). Inquiétante, parce qu’en un sens il menace le mode de vie destructeur dans laquelle se complaît la jeune femme, et qu’il lui fait peu à peu perdre ce sentiment de contrôle total, bien que dérisoire, qu’elle exerce sur les hommes au cours de ses passes. Énigmatique, parce que si l’on apprend beaucoup de choses sur Bree au cours du film, on ne saura pour ainsi dire jamais rien de Klute…
Flegmatique, peu bavard, droit sans jamais tomber dans la caricature du héros au secours de la demoiselle en détresse, Klute est un personnage assez fascinant, et Donald Sutherland, avec ce visage, cette physionomie si particulière (il possède, comme on dit souvent au cinéma, une vraie « gueule »), exprime parfaitement ce sentiment d’étrangeté. Il se démarque totalement des autres personnages du film, tous plus ou moins douteux, qui errent dans les recoins glauques de New York. Peu à l’aise dans cette ville qui n’est pas la sienne, Klute va permettre à Bree de faire une chose à laquelle elle se refusait obstinément : s’abandonner. Il la libère, donc, et il est probable que le silence que le film observe sur son passé a pour objectif de lui attribuer, quoique discrètement et subtilement, la dimension quasi mystique du sauveur – mais un sauveur bien étonnant, qu’on n’avait jamais vu et qu’on ne verra jamais au cinéma ailleurs que dans Klute.
Autre réussite d'une décennie si passionnante pour les cinéphiles - les années 70 -, Klute est un film policier très abouti sur le plan esthétique et dont l'intrigue est surtout un prétexte pour développer une atmosphère et la psychologie des personnages. Sombre mais pas dénué d'espoir, le film explore également la dimension vertigineuse, trouble et solitaire de la vie dans les grandes villes ; quelques années plus tard, Taxi Driver (1976) ira plus loin encore dans cette direction.
5 commentaires
très juste ce commentaire. c’est un film qui m’avait bcp marqué à l’époque et que je n’avais pas revu jusqu’ la fin de l’an dernier et je viens de le revoir ce soir. toujours impressionné par la maîtrise des plans, les lumières, l’ambiance assez vénéneuse et le savoir-faire de pakula. l’intrigue est un peu complexe mais l’interprétation est absolument top: sutherland, très convaincant dans ce rôle assez ambigu finalement, mutique et séduisant, et la grande fonda, renversante de vérité, émue, belle, comme on l’aime. *****
Sutherland est effectivement un acteur très intéressant, si tu l’apprécies, je te conseille également « 1900 » de Bertolucci, où il joue aux côtés de Robert de Niro et Gérard Depardieu. Très grand film sur la montée du fascisme en italie.
[…] https://www.citizenpoulpe.com/klute-alan-j-pakula/ […]
Autre « prince des ténèbres » : Bruce Surtees, au travail admirable chez Eastwood ou Siegel.
A chaque vision du film de Pakula je ne peux m’empêcher de penser à Blade Runner …