Film de Michael Pearce
Titre original : Beast
Pays : Royaume Uni
Année de sortie : 2017
Scénario : Michael Pearce
Photographie : Benjamin Kracun
Montage : Maya Maffioli
Avec : Jessie Buckley, Johnny Flynn, Geraldine James
Jersey Affair est un thriller psychologique et atmosphérique tout en subtilité, qui pose davantage de questions qu’il ne donne de réponses.
Synopsis du film
Entre un père souffrant de la maladie d’Alzheimer et une mère très sévère, la jeune Moll (Jessie Buckley) mène une existence plutôt morne à Jersey. Jusqu’au jour où elle rencontre Pascal (Johnny Flynn), dont elle tombe rapidement amoureuse.
Mais la présence d’un tueur de femmes sur l’île éveille sa méfiance, et celle de sa famille…
Critique de Jersey Affair
Le titre original de Jersey Affair est Beast, qui est bien plus significatif que le titre français ; d’abord parce qu’il fait directement référence à the Beast of Jersey
– le surnom qu’on donna à un criminel notoire qui sévit sur l’île Anglo-Normande dans les années 60 -, ensuite parce qu’il traduit assez bien la thématique du premier long métrage de Michael Pearce.
Premier long qui n’est pas, précisons-le d’emblée, consacré à la sordide affaire criminelle évoquée ci-dessus (même si Pearce, natif de Jersey, en a entendu parler et qu’elle a nourri son imagination au moment d’écrire le scénario de Jersey Affair), mais bien une pure fiction. Par ailleurs, en choisissant le titre Beast, beaucoup moins spécifique que beast of Jersey, l’auteur souligne l’une des caractéristiques majeures de son film : son ambiguïté.
En effet, le seul mot « bête », sans être associé à un autre, renvoie ici à l’idée d’un mal, d’une violence omniprésente dans le film (et que Pearce suggère par le biais de nappes sonores pesantes, ou encore dans sa manière de filmer la nature) mais qu’il est difficile d’associer à une personne et à des motivations précises. Le réalisateur et scénariste brouille volontairement les pistes, notamment en proposant deux personnages principaux complexes, difficiles à cerner : un artisan un peu rude, ancien délinquant, tour à tour romantique, sensible et brutal ; et une jeune femme en apparence bien sous tous rapports, mais torturée psychologiquement et capable également de violence, et dont l’éducation très stricte (qui reflète en partie les mœurs de Jersey, semble-t-il assez conservatrices) exacerbe sa colère intérieure.
Les enjeux et la nature de la relation qui se tisse entre eux, qui reflète en partie les thématiques classiquement liées à cette typologie de situation (les liens entre la peur et le désir ; l’attraction de la transgression ; la découverte de soi à travers l’autre ; etc.) constituent la principale matière du film, matière que Michael Pearce se garde bien de rendre claire et limpide.
Certes, il n’est pas rare pour l’auteur d’un polar de pousser le spectateur vers différentes hypothèses pour entretenir le suspense ; mais la particularité de Jersey Affair est d’aller jusqu’au bout de cette démarche en ne proposant pas de conclusion explicite d’une part, et d’autre part en suggérant des pistes tantôt contradictoires, tantôt compatibles, que le public est invité à méditer après la projection (ce qui est toujours stimulant, quand on songe au nombre de films qui quittent notre esprit au moment même où nous quittons la salle).
Jersey Affair se distingue également par son sens du détail : Pearce glisse çà et là des éléments significatifs, tantôt concrets, tantôt symboliques, qu’il a le bon goût de ne jamais surligner. Il dépeint également avec soin la vie et les mœurs de Jersey – qu’il connaît donc bien -, et le film allie de fait une caractérisation riche des personnages et une définition précise du cadre social et culturel dans lequel ils évoluent.
En somme, voilà un premier long métrage assez réussi, dont les paysages ne sont pas sans donner l’envie de prendre le ferry à Saint-Malo, ou encore à Granville…
Jersey Affair est un polar subtil, à l'atmosphère travaillée et au propos ambigu - donc stimulant intellectuellement. Il est servi par des comédiens talentueux, dont Johnny Flynn (également musicien), Jessie Buckley (une actrice et chanteuse irlandaise) et Geraldine James, actuellement à l'affiche de Daphne, de Peter Mackie Burns.
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