Film de Pierre Jolivet
Pays : France
Année de sortie : 1989
Scénario : Pierre Jolivet et Olivier Schatzky
Photographie : Bertrand Chatry
Montage : Jean-François Naudon
Musique : Serge Perathoner
Avec : Patrick Bruel, François Cluzet, Kristin Scott Thomas, Alan Bates, Sabine Haudepin
Philippe : C’est vertigineux, deux ans.
Malcolm Forrest : Hans les a faits avec la mort au-dessus de sa tête. Et vous, vous avez toute l’Europe avec vous.
Philippe : Et vous, vous êtes payé combien pour dire des conneries pareilles ?
Porté par une idée forte – que ferait-on si sacrifier deux ans de sa vie permettait de sauver celle d’un autre ? -, Force majeure bénéficie d’un traitement crédible et d’une interprétation suffisamment solide pour convaincre. Le premier succès public de la carrière de cinéaste de Pierre Jolivet.
Synopsis de Force majeure
Deux amis, Philippe (Patrick Bruel) et Daniel (François Cluzet), font un voyage en Asie. Ils y rencontrent par hasard Hans (Thom Hoffman), un hollandais, avec qui ils sympathisent. Les trois compères font la fête ensemble et achètent du haschich.
Philippe et Daniel rentrent en France le même jour, tandis que Hans décide de rester pour un temps indéfini. Par crainte des contrôles qui pourraient survenir pendant le voyage du retour, ils décident de laisser à Hans la totalité du cannabis restant.
Dix-huit mois plus tard, Malcom Forrest (Alan Bates), qui travaille en tant qu’avocat pour Amnesty International, entre en contact avec Philippe à Paris, où le jeune homme est sur le point de terminer des études de mathématiques. Malcom lui annonce que Hans a été arrêté peu de temps après leur départ d’Asie, et que la quantité de drogue saisie par la police (350 grammes) fait qu’il est considéré comme un trafiquant. Hans a été condamné à mort, et sera exécuté dans 7 jours.
À moins que Philippe et Daniel (contacté le même jour à Lille) acceptent de se livrer aux autorités locales – auquel cas tous trois seront considérés comme consommateurs, chacun ayant eu moins de 200 grammes en sa possession. Hans évitera ainsi la peine capitale – mais Philippe et Daniel devront passer deux années en prison…
Critique du film
Il y a des films dont le sujet de base présente un tel enjeu dramatique que l’intérêt du spectateur est instantanément capté. Évidemment, cette implication première ne résisterait pas à une écriture bâclée et un jeu approximatif – mais disons que le film bénéficie d’un point de départ avantageux. Point de départ dont, en l’occurrence, Force majeure tient les promesses de bout en bout.
Le film sort sur les écrans en 1989 et à cette époque, Pierre Jolivet avait déjà réalisé deux longs métrages dont le premier – Strictement personnel, avec Pierre Arditi – avait été nommé aux Césars dans la catégorie Première œuvre. En tant que scénariste, il s’était distingué en co-signant le scénario des deux premiers films de Luc Besson, Le Dernier combat (1983) et Subway (1985). Mais revenons à ce qui nous intéresse ici : Force majeure, troisième réalisation et premier succès public de son auteur.
La réussite du film est de décrire de façon réaliste les différentes réactions par lesquelles vont passer les deux protagonistes, interprétés respectivement par Patrick Bruel (Toutes peines confondues) et François Cluzet. C’est d’ailleurs le principal intérêt de l’histoire – comment réagit-on quand on a la possibilité de sauver la vie de quelqu’un au prix d’un lourd sacrifice, quels facteurs psychologiques, sociaux, humains, matériels entrent en compte ? -, et de fait il était essentiel que le scénario soigne particulièrement bien l’écriture des personnages.
Intelligemment, Pierre Jolivet et Olivier Schatzky (co-scénariste du film) ont imaginé deux hommes très différents, ce qui leur permet ainsi de mettre en scène des comportements distincts, sans quoi Force majeure aurait fatalement été plus pauvre. D’un côté, Bruel incarne un jeune étudiant désireux de réussir dans la vie, au caractère plutôt calme et tempéré ; de l’autre, Cluzet campe un chômeur un peu flambeur et impulsif, père d’une petite fille. Tous deux vont avoir une réaction initiale opposée : Philippe (Bruel) commence par refuser fermement de partir, tandis que Daniel accepte spontanément. Mais cette réaction, plongée dans un tourbillon d’émotions et de questionnements divers, va faire place à des revirements successifs. Et pour cause : comment, face à une décision aussi grave (les deux choix possibles sont chacun lourds de conséquences), un être humain ordinaire peut-il afficher une attitude stable, sereine, libérée du moindre doute ? Cela, Pierre Jolivet l’a très bien compris et Force majeure nous montre ici deux hommes dont on comprend les choix et les émotions, tout simplement parce qu’ils sont crédibles tant par rapport à la caractérisation des personnages que vis-à-vis de la situation extrême et extraordinaire à laquelle ils font face, chacun à leur manière.
La réalisation, très sobre, se met entièrement au service de l’histoire et de la composition des comédiens – celle, tout en sobriété et en retenue, d’un Patrick Bruel particulièrement juste et sensible, et celle, plus habitée et excessive, de François Cluzet. Dans un registre de jeu vers lequel sa carrière l’a souvent orienté, Cluzet est aussi convaincant que son partenaire et parvient à donner corps au personnage paumé et bouillonnant qu’il incarne.
Outre Bruel et Cluzet, le casting de Force majeure comprend d’autres comédiens talentueux, dont l’élégante Kristin Scott Thomas, le britannique Alan Bates (qui a tourné avec une pléiade de grands cinéastes, dont Carol Reed, Joseph Losey, Ken Russell, John Frankenheimer, James Ivory, Michael Winner, Lindsay Anderson, etc.) et Sabine Haudepin, que l’on a vue notamment dans des films de François Truffaut, Maurice Pialat, André Téchiné et Bertrand Blier. La composition d’Alan Bates est bonne mais souffre d’un personnage dont certaines réactions sont un peu caricaturales (le coup de poing dans le miroir et les aveux sur son passé de toxicomane ne sonnent pas très juste, mais c’est davantage un problème d’écriture que d’interprétation).
En dépit de la qualité son traitement et de la force de son histoire, Force majeure reste un film dont on parle relativement peu, à l’image de son discret réalisateur, qui confiait récemment au Figaro : Je n’ai jamais été un cinéaste à la mode
. Le film a tout de même traversé l’Atlantique, puisque les américains en ont fait un remake intitulé Loin du paradis (1998), réalisé par Joseph Ruben (Les Nuits avec mon ennemi) et interprété par Vince Vaughn, Anne Heche et Joaquin Phoenix. De son côté, Jolivet a tourné depuis pas moins de 12 films, dans lesquels on a souvent retrouvé cette fibre humaine, morale et sociale déjà présente dans Force majeure ; on perçoit par exemple cette fibre à travers le sort d’un demandeur d’emploi pris dans les rouages d’une affaire louche dans Fred (1997), thriller maîtrisé servi par un excellent Vincent Lindon, ou encore dans la lutte noble que mènent des salariés rebelles (Marie Gillain, Jean-Paul Rouve et Roschdy Zem) dans l’amusant La Très très grande entreprise (2008). Son dernier film confirme d’ailleurs le goût de Pierre Jolivet (à ne pas confondre avec son frère Marc) pour les personnages malmenés par le système mais pleins de bonne volonté, puisque dans Jamais de la vie (2015), Olivier Gourmet interprète un agent de sécurité alcoolique qui décide de lutter contre quelque chose de malhonnête se tramant sur son lieu de travail.
Il n’est peut-être pas à la mode, comme il le prétend donc lui-même, mais Pierre Jolivet nous livre régulièrement des histoires profondément humaines, vécues par des personnages authentiques et attachants, et dans lesquels on ressent, en filigrane, la présence d’un auteur intègre et concerné. Pour cette raison et pour ses qualités propres bien sûr, on recommandera donc ce Force majeure qui soit dit en passant est aussi le titre international du film Turist (Snow Therapy), de Ruben Östlund (2014).
Grâce à l'intelligence du traitement et à la crédibilité des personnages, Force majeure parvient à nous faire ressentir les difficultés et questionnements de deux êtres humains confrontés à un terrible dilemme. Un film percutant, servi par un beau duo d'acteurs.
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