Film de Paul Verhoeven
Année de sortie : 2016
Pays : France, Allemagne
Scénario : David Birke, d’après le roman Oh… de Philippe Djian (l’adaptation du scénario en français a été confiée à Harold Manning)
Photographie : Stéphane Fontaine
Montage : Job ter Burg
Musique : Anne Dudley
Avec : Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Virginie Efira, Anne Consigny, Charles Berling, Jonas Bloquet, Vimala Pons, Lucas Prisor, Alice Isaaz
Elle combine la réalisation élégante et dynamique de Paul Verhoeven, l’écriture mordante de Philippe Djian et le talent de sa principale interprète, Isabelle Huppert. Le résultat est une œuvre audacieuse, déstabilisante et pleine d’ironie.
Synopsis du film
Michelle (Isabelle Huppert) dirige une entreprise spécialisée dans la création de jeux vidéo, assistée de sa collègue et amie Anna (Anne Consigny). Un soir, un inconnu masqué pénètre chez elle et la viole. Quelques instants après le départ du criminel, Michelle reçoit la visite de son fils Vincent (Jonas Bloquet), à qui elle ne dit rien de l’agression qu’elle vient de subir.
Le lendemain Michelle se rend au travail, comme d’habitude, et ne fait aucune démarche auprès de la police. Rapidement, elle reçoit des SMS laissant penser que le criminel rôde toujours dans les parages.
Équipée d’une bombe lacrymogène, Michelle commence à chercher un suspect potentiel parmi son entourage…
Critique de Elle
Je me suis éraflé la joue
: c’est sur cette simple phrase que débute le roman Oh… (2012) de Philippe Djian, dont le nouveau long métrage de Paul Verhoeven, en sélection officielle au Festival de Cannes 2016, est l’adaptation. C’est une explication similaire que Michelle (Isabelle Huppert) donne à son fils Vincent (Jonas Bloquet) dans le film, quand il l’interroge à propos d’une marque sur son visage. Le roman, comme le film, part de là : une femme venant de subir un viol décide de le cacher à la majeure partie de son entourage, et de ne pas alerter la police.
À partir de ce choix initial, Elle met en scène une galerie de personnages truculents aux comportements tour à tour singuliers, énigmatiques, vulgaires, pathologiques, violents ou grotesques (parfois tout cela à la fois). Le tout sur un ton usant volontiers d’une ironie fréquente chez le réalisateur de Starship Troopers (1997).
Où comment la généralisation amènerait à une interprétation erronée du film
Ainsi que son titre le souligne, Elle est d’abord un personnage – une femme, en l’occurrence. Une femme forte, indépendante, au lourd passif, qui a une vie sexuelle libre, qui dirige une entreprise de jeux vidéo (un univers essentiellement masculin), qui entretient son fils et qui materne plus ou moins son ex-mari. Une femme qui ne représente pas les autres femmes, et c’est essentiel de le souligner à une époque où certains ont trop souvent tendance à chercher dans des personnages un caractère représentatif – un tel exercice donnerait en l’occurrence du film de Paul Verhoeven une lecture erronée et source de polémique.
Car lorsque l’on perçoit à travers un personnage l’incarnation d’un groupe de personnes ou d’un genre, on s’attend en général à une vision plus ou moins normalisée des choses ; le personnage porte sur ses épaules une sorte de responsabilité, que l’auteur est censé assumer. Or Elle prend justement le contrepied de toute normalisation, et comme Philippe Djian le dit lui-même : Michelle n’est pas LA femme, c’est une femme particulière, avec son passé
(source : Philippe Djian: Dans la vie, on n’est jamais loin de basculer
). De la même manière, Elle n’est pas un film qui traite du viol en général – ce crime est ici un moyen, un élément déclencheur, mais pas une thématique à part entière.
Élément déclencheur qui entraîne une série de choix, d’actions et de réactions, par lesquels se définit peu à peu le personnage de Michelle (tout en conservant une large part de mystère). Toute approche psychologique approfondie est ainsi volontairement écartée, et ce parti pris s’applique d’ailleurs à l’ensemble du film : au spectateur de composer avec cette mosaïque troublante, cette suite d’accords dissonants qui provoquent tantôt le malaise, tantôt le rire (le film est souvent très drôle), tantôt la perplexité.
Cette bizarrerie est d’autant plus déroutante qu’elle ne nous est pas présentée comme telle : les actes les plus troublants et singuliers du film nous sont montrés avec une sorte de naturel, d’évidence. Nul personnage n’en souligne l’étrangeté ou l’anormalité, en tous cas jamais de façon insistante ; cela aurait créé un point de repère que le public se serait naturellement approprié. Or le brouillage des repères était précisément l’un des objectifs de Paul Verhoeven, et probablement de Philippe Djian avant lui.
Une absence de message habilement transgressive
Que penser de Elle (question qui s’applique donc aussi bien au film qu’à son personnage principal) ? Ce n’est évidemment pas, est-il besoin de le dire (sans doute, car il est probable que Elle soit attaqué à ce sujet), un film qui excuse ou minimise le viol – les scènes d’agression, brutales et dérangeantes, sont d’ailleurs filmées sans la moindre complaisance (on a parlé de thriller érotique
pour qualifier le film, ce que Verhoven a démenti : il n’y a en effet pas ou peu d’érotisme ici, et ce qualificatif serait même plutôt choquant en l’occurrence).
Peut-on dire que c’est un film féministe ? Oui et non. Oui en raison de la personnalité de la protagoniste et de la manière dont elle transforme une situation subie en une situation choisie. Sans compter qu’elle paraît surnager au-dessus d’une multitude de personnages masculins aux profils peu flatteurs pour le sexe fort
: les hommes sont, selon les cas, stupides, pervers, obsédés, faibles ou incapables de voir les choses en face. L’ex-époux campé par Charles Berling est sympathique et attachant, mais aussi complètement paumé. Et quand il cherche à se poser en protecteur, le film ridiculise aussitôt cette louable intention – manière évidente d’inverser les codes et d’asseoir l’indépendance de l’héroïne.
Mais dans le même temps, il est un peu caricatural de chercher ici un propos féministe à proprement parler. D’abord, comme indiqué plus haut, Michelle ne représente pas LA femme ; ensuite il est à mon avis inapproprié de guetter un message particulier dans Elle, qu’il soit moral, sociologique ou autre. C’est une démarche d’ailleurs toujours audacieuse que de créer sans forcément proposer de message, surtout dans des arts narratifs tels que la littérature ou le cinéma. Car beaucoup en cherchent systématiquement un – et alors soit son absence déroute, soit on lui substitue (à cette absence) des messages imaginaires, totalement subjectifs mais arbitrairement attribués à l’auteur.
Peut-être est-ce pour cette raison que Paul Verhoeven considère Elle comme son film le plus subversif. En effet, si plusieurs des précédents longs métrages du cinéaste néerlandais présentent une dimension critique (c’est le cas par exemple de Robocop, Total Recall et surtout Starship Troopers), leur propos est relativement clair, si du moins on en cherche un (ces films peuvent aussi être vus comme de purs divertissements). Tandis que dans Elle, Paul Verhoeven filme des comportements qui soulèvent des questions, qui elles-mêmes soulèvent des hypothèses ; rien n’est affirmé, rien n’est clair, tandis que tout cela résonne dans des zones particulièrement troubles de l’être humain. En cela il s’agit effectivement d’un film transgressif, surtout à une époque où le cinéma prend (trop ?) souvent la voie de la démagogie.
Welles, Verhoeven et le mouvement
Au niveau formel, Elle reflète le sens aigu du cadre, du rythme, de l’espace et du mouvement de son auteur. Le film bouge beaucoup (mais d’une manière élégante, jamais hystérique) : la caméra nous entraîne dans une sorte de valse déréglée dont on ignore totalement quelles en seront les prochaines mesures. Il faut dire que Verhoeven a cité La Soif du mal (1958) parmi les références cinématographiques qu’il avait en tête au moment du tournage de Elle ; or le film fiévreux de Welles est en perpétuel mouvement, à l’image du célèbre plan séquence sur lequel il débute.
Pour parvenir à un tel résultat, le cinéaste a pu s’appuyer en partie sur le talent du chef opérateur Stéphane Fontaine (qui a travaillé avec Arnaud Desplechin, Jacques Audiard, Nicole Garcia, Mia Hansen-Løve, Barry Levinson…) et du monteur allemand Job ter Burg (Borgman, La Peau de Bax, Blackbook).
Une musique et un casting brillants
La partition écrite par la britannique Anne Dudley pour le film évoque l’atmosphère raffinée et mystérieuse qui émane de celle composée par Jerry Goldsmith pour Basic Instinct (1992), du même Verhoeven – autant dire que c’est une réussite. Et puisque l’on parle de partition, celles des comédiens sont d’une égale justesse : Isabelle Huppert (Merci pour le chocolat ; Loulou ; La Porte du paradis) montre une nouvelle fois l’étendue de sa maîtrise (j’ai un grand respect pour elle
, dira un Verhoeven admiratif), tandis que ses différents partenaires à l’écran (Laurent Lafitte, Virginie Efira – vue récemment dans l’excellent Caprice -, Anne Consigny, Charles Berling, Vimala Pons, Christian Berkel) tirent chacun leur épingle de ce jeu pervers, sans oublier le duo souvent comique et désopilant incarné par Alice Isaaz et Jonas Bloquet.
Bande-annonce
Le récit de Elle dynamite les conventions avec une énergie aussi sombre que grisante. Humour, malaise, réalisme et étrangeté se côtoient au sein d'une mécanique aussi déréglée (dans le fond) que remarquablement précise (dans la forme). Confronté à ces émotions contradictoires, parfois à quelques instants d'intervalle, le spectateur se voit proposer une expérience dont l'ironie grinçante, la liberté de ton et la singularité dénotent avec la démagogie ambiante. C'est, peut-être, ce qui explique l'absence de Elle du palmarès cannois.
4 commentaires
Belle et solide critique. Bien aimé la référence à la « démagogie ambiante »….
A propos de la « dimension critique » des films de Verhoeven vous auriez pu (dû?) citer aussi le très féroce Showgirls, aussi féroce que Starship Troopers. Showgirls est décidément maudit ! Cela dit j’approuve totalement votre compte rendu de Elle.
Bonjour et merci ! Je ne me souviens pas bien de « Showgirls ». J’avoue ne pas être un fin spécialiste du cinéma de Verhoeven ! Je n’ai d’ailleurs pas beaucoup aimé son dernier (Benedetta).
J’aimerais vous donner envie de revoir le film.
Showgirls 1995
Film de Paul Verhoeven
Avec Elizabeth Berkley, Gina Gershon, Kyle McLachlan, Glen Plummer
Une fille, Nomi, rêve de devenir star, essuie divers échecs mais parvient finalement à son but : c’est le pitch de pratiquement toutes les comédies musicales et c’est celui de Showgirls. On trouve aussi dans le film la féerie qui consiste à faire danser quelqu’un qui n’a jamais appris le métier, dans des chorégraphies qu’elle exécute à la perfection à l’instant même où on le lui demande. C’est flagrant dans les quelques scènes de répétitions où elle est immédiatement synchro avec les danseuses professionnelles.
Notons tout de suite que le mariage, objectif majeur des hommes et surtout des femmes dans toute comédie musicale, n’est pas l’alpha et l’oméga de Nomi, loin de là, ce qui explique sans doute en partie l’échec retentissant du film (les Razzie Awards l’ont élu pire film de l’année 1996). Nomi ne recherche que la reconnaissance et le fric qui va avec. Autrement dit, Verhoeven, à travers un genre cinématographique qui a l’obligation statutaire d’être idyllique, parle de l’American way of life sans la moindre précaution, brutalement, sans filtre.
À chaque étape de l’ascension de Nomi prend place un ballet plus ou moins élaboré où elle danse, d’abord en figurante puis en star. Ces ballets, notamment le principal, sont des sommets de vulgarité. Verhoeven les filme comme les réalisateurs de comédies musicales filmaient ceux, magnifiques, de Michael Kidd, d’Hermes Pan ou de Gene Kelly. Cette manière de montrer sans état d’âme des chorégraphies prétentieuses, vulgaires et minables est assez dérangeante, un rien agressive, inconfortable. Les musicals vous ont fait rêver ? Eh bien voici ce que vous auriez dû voir.
Verhoeven fait de Nomi le prototype de la starlette qui en veut puis de la star qui obtient ce qu’elle voulait. C’est Cyd Charisse, Judy Garland, Ginger Rogers, Eleanor Powell, tous les personnages de ces stars auxquels on s’identifiait avec délice et qui vous donnaient envie de danser. Mais dans Showgirls le délice n’est pas au rendez-vous, ça coince sérieusement, Nomi n’a pas exactement le profil — le sien étant plutôt un mix entre Cendrillon et Terminator.
Dans les scénarios de la comédie musicale hollywoodienne, les artistes avaient souvent à se coltiner les producteurs ou autres hommes d’affaires qui ne comprenaient rien à l’art, qui voulaient seulement faire du fric ou se faire des nanas ; ils n’étaient pas regardant sur les valeurs morales. Ici c’est carrément l’horreur, mais sans que Verhoeven n’en rajoute. Le patron du grand hôtel de Las Vegas où se produit Nomi est un vulgaire arriviste ; son directeur artistique semble plus classieux mais c’est une ordure ; le premier patron de Nomi est propriétaire d’une boîte qui est un bordel à peine masqué et où, en usant de tout le vocabulaire ad hoc, il fait fonction de souteneur plutôt que d’employeur. Tous ces gens et tous ces lieux sont filmés avec impartialité, une sorte de détachement.
Fil conducteur du film, semblable à un cordon Bickford (allumé), Nomi est une fille surprenante, alternativement séduisante et détestable. On sent assez vite qu’elle n’est pas très claire, que ça disjoncte quelque part sans que nous puissions comprendre pourquoi. Tantôt sa morale quelque peu indéchiffrable fait surface de manière surprenante, tantôt elle disparaît de manière tout aussi inattendue. Jamais longtemps découragée, Nomi repart vite à l’attaque, à l’assaut. Nous comprendrons vers la fin que l’énergie qu’elle déploie à Las Vegas est proportionnelle à ce qu’elle a connu jusque-là et qui aurait dû l’assommer : son père assassin de sa mère s’est suicidé, elle a tapiné, elle a fait des casses, a consommé et vendu de la drogue, etc. Dans la comédie musicale hollywoodienne elle aurait été plutôt vendeuse dans une supérette, serveuse dans un bar. Mais les « emplois » de Nomi dans Showgirls en sont l’équivalent. Verhoeven bouscule ainsi violemment le musical mais il ne sort pas tout de suite de ses codes. Car ce dérapage n’intervient que vers les trois quarts du film et, de plus, le réalisateur ne consacre que quelques minutes au passé de Nomi, minutes qui n’auront d’autre conséquence que de permettre à la nouvelle star de faire un pied de nez à Las Vegas, sans l’affecter elle-même, ni en surface ni en profondeur. Autrement dit, l’héroïne, celle qui a intégré à maintes reprises les codes de la comédie musicale, est escamotée sous nos yeux presque au dernier moment, au profit de ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : un voyou. Les musicals vous ont fait rêver ? Eh bien voici ce que vous auriez dû voir.
Verhoeven, s’il s’était conformé aux codes du musical, aurait justifié le comportement de Nomi par son désir d’occuper la première place dans un univers difficilement accessible mais unanimement considéré comme merveilleux (donc théoriquement bien). Dans la comédie musicale basique, ni le réalisateur ni le spectateur ne s’interroge sur le monde qui est l’objet de l’ambition de l’héroïne. Ce monde est magnifique, il est celui de la joie de vivre, du plaisir de danser et de chanter sous les sunlights ; quoi de plus normal, voire admirable que de désirer l’atteindre en jouant des coudes (ou des poings) et s’y installer en lorgnant la première place. Il faudra trois quarts d’heure avant que nous sachions d’où vient Nomi (et, je le répète, nous ne l’apprendrons qu’en une courte scène vite expédiée), nous ignorons quoi peut légitimer son ambition. Ce que Verhoeven filme est moins une fille débordante d’énergie et d’ambition, un peu conne tout de même, que le milieu qu’elle vise, c’est-à-dire Las Vegas. Et face à ce milieu, Nomi, toujours furieusement active, est de moins en moins conne, non pas parce qu’elle apprend (qu’apprend-elle qu’elle ne sache déjà ?) mais parce que le sparkling Vegas est une espèce de sommet de bêtise, de vulgarité, de mensonges, de glamour clinquant et pourri, d’hypocrisie, de cruauté. La comparaison est largement en faveur de Nomi, sans qu’il soit besoin de démonstration. Verhoeven, par sa mise en scène, place l’héroïne sur le même plan que les autres personnages. Et même lorsque Nomi, de manière particulièrement minable, brise la carrière de la star Crystal dont elle entend prendre la place (elle la pousse dans des escaliers très raides, Crystal se brise la jambe), on ne peut juger sévèrement son acte sans devoir reconnaître que tout son environnement est pareillement minable, si ce n’est davantage. Les musicals vous ont fait rêver ? Eh bien voici ce que vous auriez dû voir. [Cette injonction au dessillement explique en partie l’échec commercial et critique du film et le sort fait à l’interprète de Nomi, Elizabeth Berkley, que plus personne à Hollywood n’a voulu engager après Showgirls.]
Un dérapage très contrôlé de Verhoeven par rapport à la comédie musicale est le personnage de James, un minus très sympathique qui, sans avoir vraiment vu Nomi dans ses exploits chorégraphiques, juge qu’elle ne sait pas danser. Il se propose de lui apprendre, sans qu’on puisse nettement (un peu quand même) soupçonner qu’il veut utiliser ce moyen pour la draguer et la baiser. James informe Nomi qu’il a composé une chorégraphie pour elle. Elle demeure sur ses gardes (ce qui ne l’empêche pas d’allumer le chorégraphe virtuel dans une scène pas piquée des vers où, si je me souviens bien, il éjacule dans son pantalon) mais le spectateur est touché parce qu’il peut voir en James un alter ego de Nomi, et même un alter ego beaucoup plus gentil qu’elle, plus sympathique ; comme Nomi, il part de rien mais veut devenir quelqu’un à Las Vegas. Dans les comédies musicales, les personnages qui partent de rien sont pratiquement toujours sympathiques ; et c’est indéniablement grâce à ce capital de pauvreté et de sympathie qu’ils parviennent à remporter une victoire. Ce sont des Américains, non ? James est pauvre, sympathique, il devrait donc réussir. Verhoeven, s’il semble ainsi obéir aux codes, va faire une sérieuse embardée. Le temps a passé, Nomi est devenue LA star de Las Vegas. Elle voit par hasard une affiche annonçant le spectacle de James dans une boîte minable. Elle s’y rend. Sur la scène le spectacle a commencé devant un public qui manifeste si bruyamment son mécontentement que la représentation doit s’arrêter. Dans la salle bondée James rejoint Nomi. Il accepte son échec avec désinvolture et avoue qu’il est un obsédé du cul, qu’il ne peut pas s’en passer et qu’il va d’ailleurs épouser une de ses danseuses. La chorégraphie promise à Nomi était donc bien un moyen de la baiser. Mais elle ne lui en veut pas. Verhoeven, dans le déroulé des séquences où figure James, semble avoir voulu endormir le spectateur pour pouvoir ensuite lui assener ce coup en traître où même le si sympathique, le si démuni James s’avère être, comme tout le monde, un menteur, un manipulateur. Et Nomi accepte qu’il le soit. Les musicals vous ont fait rêver ? Eh bien voici ce que vous auriez dû voir.
Dans Showgirls, pratiquement tout amène ou ramène au sexe. Las Vegas est un lupanar. Les filles sont des espèces de machines à danser, à baiser, à jouir, à faire jouir. Verhoeven y va très fort, en ne montrant pourtant que peu de scènes de baise proprement dites. Elles sont avantageusement remplacé par des strings stringissimes en veux-tu en voilà, des attouchements sexuels en quantité inhabituelle, des filles nues avec sexe visible, des dialogues salaces (euphémisme), des baisers lesbiens, etc, sans oublier l’éjaculation dans le pantalon dont j’ai parlé plus haut. Il y a cependant une scène de baise mémorable dans la piscine du directeur artistique (Kyle McLachlan) : on y voit une Nomi besognée par le directeur artistique. Elle est renversée en arrière, déchaînée (euphémisme), jouissant en brassant l’eau comme un nageur de dos crawlé ou, si ça existe, de brasse papillon sur le dos. In-des-crip-ti-ble. Et inutile de préciser que ça sniffe pas mal ici et là, ce que n’ont jamais fait (à l’écran en tout cas) Cyd Charisse ou Judy Garland. Bref, l’agressivité du film est d’avoir fait de Nomi l’alter ego apparent de ces vedettes du musical en même temps que leur exact contraire.
La dernière image du film ne laisse aucun doute sur les intentions sacrilèges de Verhoeven. Nomi fait du stop. Elle porte une chemise qui découvre largement ses seins. Cette chemise ouverte est explicite : Nomi, bien qu’ayant été virée de l’hôtel qui l’avait faite star, n’a à l’évidence aucune intention de se racheter (de quoi, d’ailleurs ?). On la voit monter dans une voiture. Plan large : la voiture s’éloigne. La caméra, restée sur place, s’élève lentement pour filmer une affiche où figure l’image de la star ou de l’ex-star Nomi ; puis, s’élevant encore, elle découvre un peu plus loin le panneau routier indiquant « Los Angeles, 280 ». Non seulement Nomi n’a pas fait son mea culpa (à quel propos, d’ailleurs ?) mais il semble bien qu’elle ait l’intention de persister dans son être et même d’améliorer sa technique de combat là où un tel combat se mène, là où se trouve le champ de la bataille décisive : à Hollywood.
Showgirls est un film méchant, une comédie musicale méchante, très méchante, infiniment plus méchante que Basic Instinct, aussi méchante que Starship Troopers, et ce n’est pas peu dire.