Film de James William Guercio
Année de sortie : 1973
Pays : États-Unis
Scénario : Robert Boris
Photographie : Conrad Hall
Montage : Jim Benson, Gerald R. Greenberg, John F. Link
Musique : James William Guercio
Avec : Robert Blake, Billy Green Bush, Mitchell Ryan.
Unique film de James William Guercio, Electra Glide in Blue est très révélateur d’une Amérique des années 70 dénuée de repères et en pleine désillusion. Parfois considéré comme culte surtout parce qu’il fut mal reçu à l’époque et est resté largement méconnu depuis, le film, de par l’originalité de son scénario et ses qualités esthétiques, s’il n’est pas forcément le chef d’œuvre décrit par certains, est une indéniable réussite du cinéma américain des seventies.
Synopsis
John Wintergreen (Robert Blake) est membre d’une patrouille de police de l’Arizona, mais sa véritable ambition est d’intégrer la criminelle. Aussi, quand il découvre, avec son collègue surnommé « Zipper » (Billy Bush), le cadavre d’un homme, il refuse – malgré les apparences – de croire à un suicide.
Du même avis que lui, l’inspecteur Harvey Pool (Mitchell Ryan) lui propose de l’assister dans son enquête.
Critique
Producteur de musique, musicien et compositeur, James William Guercio était surtout connu pour avoir produit le groupe de rock Chicago quand le président de la United Artist lui donna les moyens de tourner un film en lui accordant une liberté totale, dans les limites du budget alloué. C’est ainsi que Electra Glide in Blue vit le jour.
Guercio renonça à la quasi totalité de son cachet pour engager Conrad Hall, illustre chef opérateur qui signa la photographie d’excellents films tels que De Sang-Froid, Butch Cassidy et le Kid, Fat City et plus récemment American Beauty. Le metteur en scène lui demanda d’élaborer une photographie proche de celle des films de John Ford, un choix cohérent pour plusieurs raisons. D’abord, l’action de Electra Glide in Blue se déroule en Arizona, avec des paysages typiques des westerns ; ensuite et surtout, le réalisateur, en filmant une Amérique vide de repères et de valeurs, a voulu évoquer (et questionner) son passé, son histoire et ses fondations – or les westerns, et entre autres ceux de John Ford, traitent d’une période charnière de l’histoire des États-Unis. Ce parti pris esthétique s’explique également du fait que dans certaines séquences, on distingue un parallèle entre le personnage principal de Electra Glide in Blue et le héros typique des westerns classiques.
Conrad Hall souhaitait, lui, s’éloigner de ce type de photographie et proposer quelque chose de différent. Un compromis entre les deux hommes consista donc à utiliser parallèlement deux approches visuelles distinctes : les extérieurs furent photographiés selon les souhaits du metteur en scène, tandis que Conrad Hall avait toute liberté pour éclairer les séquences tournées en intérieurs.
Tour à tour comique, amer et mélancolique, ce polar crépusculaire et très atypique a pour sujet principal, comme de nombreux films de cette époque (voir Night Moves), l’Amérique des années 70, c’est à dire une Amérique en mal de repères. Guercio décrit ainsi une société divisée entre un conformisme sectaire (représenté, dans le film, par les policiers) et un mouvement hippie alors en pleine désillusion, aucune de ces deux parties ne semblant porteuse d’un espoir quelconque. Le personnage principal, John Wintergreen, est condamné, de par son idéalisme, à une solitude totale ; bloqué entre deux univers aussi fermés l’un que l’autre, il ne trouve dans aucun d’eux les valeurs auxquelles il aspire.
Si le point de vue de Electra Glide in Blue sur les hippies est donc critique, il serait injuste de taxer le film de réactionnaire, puisque la police décrite par le réalisateur représente un ordre établi injuste, parfois corrompu, et gangréné par les préjugés et le racisme. En fait, le metteur en scène montre simplement que dans les années 70, les hippies ne semblaient plus représenter un idéal de vie durable, et que parmi eux – comme parmi toutes les couches sociales – se trouvaient aussi des êtres violents, très loin des valeurs défendues par le mouvement à ses débuts ; mais jamais le réalisateur ne stigmatise l’ensemble des hippies dans le film.
Dans cette Amérique en pleine crise identitaire, l’honnêteté et l’intégrité sont les meilleurs moyens de rester en bas de l’échelle. Et si plusieurs plans significatifs (zoom sur la photographie d’un indien dans la chambre du héros, plans fordiens sur le désert de l’Arizona) évoquent clairement l’histoire des États-Unis, ses mythes et ses fantômes, c’est bien parce que le réalisateur décrit une société malade, qui ne parvient pas à se positionner par rapport à son passé et qui ne reconnait plus ses propres valeurs.
L’une des forces du scénario est d’éviter la simplification et la stigmatisation. Si certains personnages sont d’abord présentés sous des traits caricaturaux (y compris Wintergreen), leur complexité et leurs nuances sont développés au fur et à mesure de l’histoire. Par exemple, le point de vue du spectateur sur John Wintergreen évolue au fil du film ; carrément risible au cours de nombreuses séquences, il s’avère être le personnage le plus intègre et le plus empathique, évoluant parmi des êtres tantôt fous, corrompus, désespérés (comme cette barmaid qui rêvait d’une carrière à Hollywood), violents ou méprisables. D’une certaine manière, Wintergreen trouve même, à travers certains plans, l’aura du héros typique des westerns classiques (le charisme en moins), en ce sens qu’il en véhicule les valeurs de droiture et d’honnêteté – ainsi, d’ailleurs, que la profonde solitude (figurée notamment dans ce plan où il marche dans une salle de concert vide). Ce parallèle avec le western est conforme au choix du metteur en scène en ce qui concerne la photographie des scènes d’extérieur, et apparaît assez clairement dans le plan montrant Wintergreen debout près de sa moto, seul dans le désert – au crépuscule, évidemment…
Esthétiquement, Electra Glide in Blue est une réussite. Démontrant un réel talent de réalisateur, James William Guercio, épaulé par Conrad Hall, élabore des plans saisissants et chargés de sens, dans lesquels transpirent toute la mélancolie du propos et l’humanité des personnages.
Guercio, sans doute en raison de l’échec critique et commercial du film, n’est jamais retourné derrière la caméra depuis. Après avoir vu Electra Glide in Blue, on peut le regretter. Décalé, drôle, pessimiste, humain et très caractéristique de l’époque à laquelle il fut tourné, ce film rare mérite assurément d’être découvert.
Electra Glide in Blue est le reflet d'une Amérique désenchantée, dont les idéaux sont mis à mal par la corruption et l'injustice. Renvoyant dos à dos une jeunesse hippie en pleine descente et une autorité conservatrice, le film cherche dans les grands espaces américains à retrouver des mythes bien lointains.
6 commentaires
Ben dis donc, ça dort chez le poulpe !
Et Macadam a deux voies de Monté Hellman ça mérite pas une critique?
Putain! mais y a que moi sur ce Blog! Si il faut taper sur l’octopode pour qu’il se secoue, et Point Limite Zéro alors? Renseignement pris, t’a bon gout le caméléon des mers. Je crois qu’il le vende a la FNAC.
Monte Hellman, je crois que je préfère ses westerns, j’aime bien « l’ouragan de la vengeance ». J’ai pas vu « cockfighter » avec Warren Oates (déjà présent dans « the killing » aux cotés de Nicholson) je crois qu’il est bien aussi… et point limite zéro très bon! bon la cadence est pas top ces temps-ci j’avoue, là j’ai vu « fool for love » de altman avec Sam Shepard et Kim Basinger je crois que je vais faire un article dessus…
Très bon fool for Love! Les bouquins de Shepard sont excellent. Je te conseille Motel Chronicles de 1982 , il y a du Raymond Carver dans ses écrits.
Bravo pour votre article
Voici un lien vers le mien qui parle d’Electra glide in blue mais de quelques autres également
http://www.lecorridorbleu.fr/Blog/2010/07/10/la-vitesse-est-la-liberte-de-lame/
Cordialement
CMB
on oublie le paralelle avec easy rider. La dernière scène pourtant le montre cliarement