Film de Brice Cauvin
Pays : France
Année de sortie : 2006
Scénario : Jérôme Beaujour, Brice Cauvin et Pierre Schöller
Photographie : Marc Tevanian
Montage : Agathe Cauvin
Musique : Philippe Miller
Avec : Laurent Lucas, Hélène Fillières, Anouk Aimée, Julie Gayet, Husky Kihal, Anthony Roth Costanzo, Charlotte Clamens, Sabine Haudepin
Philippe : Pourquoi tu leur as dit qu’on était allés à Venise ?
Marion : Bah faudrait savoir ce que tu veux ! On peut pas dire à ta mère qu’on est allés à Venise et à Sophie et François qu’on y était pas.
De particulier à particulier emprunte des chemins sinueux, hors des sentiers battus, tout en formant un ensemble remarquablement cohérent. Une belle histoire d’amour, hantée aussi bien par les peurs intimes de ses protagonistes que par les troubles de notre époque.
Synopsis de De particulier à particulier
Philippe (Laurent Lucas) et Marion (Hélène Fillières) vivent ensemble et ont deux enfants. Un jour, alors qu’ils s’apprêtent à partir pour Venise en amoureux, un inconnu laisse un sac à côté d’eux. Philippe pense d’abord à le signaler au personnel de la gare, mais leur train est sur le point de partir et le couple monte finalement à son bord en possession du mystérieux sac.
De retour à Paris, ils laissent entendre à la mère de Philippe (Anouk Aimée) ainsi qu’à leurs amis Sophie (Julie Gayet) et François (Husky Kihal) qu’ils sont partis à Venise, alors qu’ils y ont en réalité renoncé. Philippe devient de plus en plus anxieux, se demandant si le propriétaire du sac n’est pas un terroriste. Marion semble plus sereine, jusqu’au jour où elle découvre, parmi des photos qu’elle vient de faire développer, des images de Venise, cette ville où ils ne sont jamais allés…
Peu à peu, Philippe et Marion vont entrer dans une période faite de doutes, de questionnements et de peurs…
Critique du film
Il n’est pas rare qu’un film qui d’emblée propose une tonalité originale trahisse une posture superficielle, où l’auteur utilise le décalage comme un moyen un peu vain d’impressionner ou de dérouter le spectateur – davantage occupé qu’il est à se regarder faire qu’à raconter quelque chose. Bien que très singulier, De particulier à particulier échappe totalement à ce travers irritant : dès les premiers instants du film et jusqu’à sa conclusion, on se glisse sans difficulté au sein d’un récit étrange car il est aussi rythmé, drôle, intriguant, émouvant et intelligent. C’est probablement pour cette raison que Le Nouvel Observateur a écrit à propos de De particulier à particulier : Ce film renouvelle le langage cinématographique sans cesser d’être aimable, ce qui est exceptionnel
; tandis que Le Monde, de son côté, qualifiait le premier long métrage de Brice Cauvin de divertissement ambitieux
– ce qui reflète à peu près la même idée.
À travers un enchaînement de situations et de comportements souvent étonnants, voire énigmatiques, De particulier à particulier instaure rapidement un climat qui provoque un sentiment d’étrangeté. Sentiment qui, parce qu’il s’immisce au sein d’un cadre ancré dans le quotidien, peut parfois faire songer à l’atmosphère que l’on retrouve, par exemple, chez certaines nouvelles de Julio Cortázar – ou plus généralement à ce genre désigné parfois par le biais de l’expression fantastique réel
. Ici, le dérèglement s’opère par petites touches, comme des perspectives évoluant sensiblement vers un déséquilibre de plus en plus prononcé.
Bien entendu – et c’est entre autres pour cette raison que le film est aussi brillant -, tout cela a un sens, sans quoi la mécanique, même bien réglée, finirait par tourner à vide et ne laisserait qu’un pâle souvenir. De particulier à particulier nous raconte une histoire, nous parle de quelque chose – de plusieurs choses d’ailleurs. C’est à la fois un film politique, d’espionnage, une histoire d’amour…
, dira Brice Cauvin lui-même. Ces différents aspects forment un ensemble non linéaire, mais cohérent. Ce qui n’est pas une mince affaire : le principal risque, quand on multiplie les pistes, est de ne pas parvenir à les faire se rejoindre en un seul point. Or ici tous les développements, toutes les facettes de l’histoire se complètent et convergent vers une conclusion limpide.
Écrit et tourné quelques temps après les attentats du 11 septembre 2001, De particulier à particulier évoque explicitement l’angoisse liée au terrorisme, qu’éprouve plus particulièrement le personnage interprété par Laurent Lucas. Mais ce qui est intéressant, c’est que le récit s’attache à explorer, dans ce contexte social et historique imprégné de paranoïa, les peurs intimes qui existent au sein du couple. Philippe et Marion vont en effet, chacun à leur manière, s’interroger, se perdre, se confronter à leurs propres doutes. Chacun va se chercher, puis chercher l’autre. Au final, c’est précisément l’élément qui déclenche ce processus, l’élément qui est à l’origine de la peur – ce fameux sac abandonné par un inconnu -, qui apportera une réponse à celle-ci. Et pour cause : ainsi que beaucoup l’auront observé dans leur propre vécu, affronter ses appréhensions est souvent plus constructif que de les ranger dans un tiroir, ou de les balayer sous un lit.
Laurent Lucas et Hélène Fillières contribuent largement, de par l’aura qu’ils dégagent et la justesse de leur composition, à nous attacher à ce couple en pleine incertitude, ébranlé par des engagements soudain vertigineux – l’achat d’un appartement, la naissance d’un troisième enfant, etc. Avec ce monde parfois un peu effrayant autour d’eux, et ce troublant jeux de miroir entre leurs craintes personnelles et les peurs collectives. On suit avec plaisir et intérêt leur parcours chaotique et initiatique, si proche de nos propres questionnements.
Vu sous le prisme des événements de ces dernières années, le film prend une dimension supplémentaire. Ce Paris dans lequel Philippe appréhende un attentat terroriste en a connu de tragiques à l’automne 2015 ; quant à la Syrie, où se déroule les dernières séquences du film, elle est aujourd’hui très loin du sentiment de paix et de plénitude que De particulier à particulier lui associe dans une conclusion à l’arrière goût de paradis perdu, et dans le même temps pleine d’espoir – conclusion dont l’excellente musique originale de Philippe Miller souligne la beauté simple et profonde.
Par sa manière sensible, ludique et ingénieuse de nous plonger au cœur des peurs et des questionnements de ses personnages, de les faire résonner dans une époque et de les représenter par des procédés d'écriture et de mise en scène imagés et originaux, De particulier à particulier s'affirme comme un film rare, intelligent et émouvant.
Aucun commentaire