Film de David Lynch
Année de sortie : 1986
Pays : États-Unis
Scénario : David Lynch
Photographie : Frederick Elmes
Montage : Duwayne Dunham
Musique originale : Angelo Badalamenti
Avec : Kyle MacLachlan, Isabella Rossellini, Laura Dern, Dennis Hopper
In dreams I walk with you
In dreams I talk to you
In dreams you’re mine all the time
We’re together in dreams
Avec Blue Velvet, David Lynch réalise une œuvre charnière dans sa filmographie, sur la découverte du mal et la perte de l’innocence.
Synopsis de Blue Velvet
Jeffrey Beaumont (Kyle MacLachlan), jeune étudiant, revient à Lumberton, sa ville natale, en raison du malaise cardiaque de son père. En rentrant de sa visite à l’hôpital, il découvre une oreille coupée qu’il apporte aussitôt à la police.
A partir d’éléments que Sandy (Laura Dern), fille du policier chargé de l’affaire, a recueillis en écoutant des conversations, Jeffrey décide de mener sa propre enquête. Rapidement, il se retrouve sur la piste d’une chanteuse, Dorothy Vallens (Isabella Rossellini), qui pour d’obscures raisons semble assujettie aux fantasmes d’un pervers violent, Franck Booth (Dennis Hopper). Désormais, le monde ne sera plus comme avant pour Jeffrey Beaumont…
Critique
La scène d’ouverture de Blue Velvet
La première scène, bercée par la chanson Blue Velvet (chanson initialement interprétée par Tony Bennett en 1951 – il s’agit ici de la version de Bobby Vinton, sortie en 1963) est d’une importance capitale car elle révèle d’emblée, symboliquement, le principal sujet du film.
Sur les notes aériennes du morceau, empreint de l’atmosphère des années 60 (une époque très chère à Lynch), défilent les images colorées et sereines de la petite bourgade américaine typique.
Puis, soudain, la caméra nous montre un vieil homme qui, alors qu’il arrosait paisiblement son jardin, est pris d’un malaise et s’écroule ; dès lors, la bande sonore et les images dénotent soudainement avec l’ambiance chaude et nostalgique véhiculée par le début : un chien ouvre sa gueule pour saisir l’eau s’échappant du tuyau d’arrosage, et le son sourd de ses aboiements contraste avec le prélude mélodieux du film – puis la caméra effectue un zoom vertigineux vers la terre, plongeant dans un nid grouillant d’insectes, image ponctuée du bruit parasite généré par leur activité secrète, cachée, obscure.
En quelques plans, David Lynch nous raconte l’essentiel de l’histoire de Blue Velvet : au sein d’une petite ville américaine paisible, ordonnée, lumineuse et colorée, le mal – bien que dissimulé – existe.
Une œuvre sur la perte de l’innocence
Blue Velvet est en effet un film sur la découverte du mal, par un jeune homme qui en ignorait l’existence – ou du moins ne lui soupçonnait pas une telle proximité avec son quotidien. Les scènes nous montrant Jeffrey et Sandy ensemble sont d’ailleurs volontairement ponctuées de dialogues mièvres, soulignant la candeur des personnages. Ils prêtent à sourire, mais Lynch ne se moque pas d’eux – leur idéal, leurs rêves ne sont pas absurdes, ils ne représentent qu’un aspect de la réalité, l’autre leur étant pour ainsi dire inconnu.
Blue Velvet décrit donc un rite, un rite initiatique, celui du passage à l’âge adulte. Déclenché par la découverte de l’oreille coupée – connexion entre les deux dimensions du monde (un objet ou une chose précise a souvent cette fonction dans les films de Lynch ; citons par exemple la boite bleue dans Mulholland Drive, ou la bague dans Fire Walk with Me) –, ce rite débute concrètement au cours de la scène où Jeffrey s’immisce dans la chambre de Dorothy, en son absence, pour y rechercher des indices. Le retour prématuré de celle-ci le contraint à se cacher dans le placard, d’où il voit la chanteuse se dévêtir. Elle remarque sa présence, le force à se déshabiller sous la menace d’un couteau, puis l’arrivée d’un homme, Franck (Dennis Hopper), incite Dorothy à cacher Jeffrey dans le placard. Le jeune homme va alors assister à une scène qui constitue la première étape de son initiation.
Jeffrey est témoin d’un rapport brutal (Franck frappe Dorothy à plusieurs reprises) et pervers (Mummy, mummy, baby wants to fuck
, hurle t-il), au sein duquel le rôle joué par Dorothy demeure ambigu ; contrainte de se livrer à ce jeu sexuel (le film nous explique assez rapidement pourquoi), elle en souffre profondément tout en se complaisant, par instants, dans sa violence sauvage. Surtout, son attitude avec Jeffrey montre qu’elle essaie de reproduire avec l’un ce qu’elle subit avec l’autre – comme si c’était pour elle une manière de « normaliser » la violence en l’associant à tout rapport sexuel. Ce transfert est aussi le signe de la culpabilité que sa situation, et celle de sa famille, lui font ressentir : Dorothy se sent coupable et donc réclame d’être frappée, punie.
Spectateur passif – comme nous –, Jeffrey découvre donc l’existence du mal et de la perversité en le personnage de Franck, psychopathe totalement dégénéré. Mais après le départ de celui-ci, Dorothy le fait à nouveau sortir du placard – dès lors il n’est plus spectateur, il devient acteur. C’est le début de la seconde étape de son initiation. Entamant une relation tortueuse avec Dorothy (la brune, opposée à la blonde Sandy), il comprend que le mal existe non seulement chez elle, mais également en lui-même (I have your disease in me now
, murmure Dorothy à Jeffrey après qu’il ait consenti à la frapper, à sa demande). Ou plus exactement, il réalise que chacun peut éprouver des pulsions violentes, dérangeantes – que celles-ci font partie intégrante de l’humanité.
D’ailleurs, la fascination que Jeffrey éprouve pour le mystère entourant l’oreille coupée ne fait pas que trahir un quotidien ennuyeux (il n’a plus d’amis à Lumberton, et son père est à l’hôpital) : elle trouve également sa source dans une curiosité, des désirs ayant une dimension perverse (I can’t figure out if you’re a detective or a pervert
, lui dit d’ailleurs Sandy, ce à quoi il répond : Well, that’s for me to know and you to find out
).
Sonnant le glas d’une vision manichéenne (enfantine) du bien et du mal, la découverte de Jeffrey est vertigineuse, mais également constructive. Car connaître et surtout éprouver le mal, c’est avoir à faire un choix, un choix adulte. Jeffrey devient donc un homme et Blue Velvet est l’histoire de sa douloureuse et dérangeante initiation. D’ailleurs, le plan furtif où on le voit arroser la pelouse du jardin de sa maison fait écho à l’ouverture du film, durant laquelle son père se livre à la même activité : pendant le temps qui sépare ces deux séquences, Jeffrey a grandi (sur le plan moral), et ce geste, en mettant en parallèle le père et l’enfant, le souligne de façon imagée.
Blue Velvet, un film clé dans la carrière de Lynch
Marquant le retour de Lynch à un cinéma plus personnel et surtout, où il bénéficie d’une grande liberté créatrice (Elephant Man n’a pas été écrit par Lynch et pendant le tournage de Dune le réalisateur n’a pas pu obtenir ce qu’il souhaitait, pour des raisons notamment budgétaires), Blue Velvet est un film phare dans sa carrière car il contient les thématiques, les personnages types, les trouvailles visuelles qui vont dès lors se retrouver dans presque tous ses films.
La brune et la blonde, avec leur symbolique respective ; les héros rêveurs confrontés à un monde cruel (comme Sailor et Lula) ; les vieilles dames bienveillantes (les tantes de Jeffrey) ; les dégénérés pervers et dangereux (Franck et sa bande) ; les gros plans sur une flamme ou des ampoules ; les rideaux rouges ; la dimension onirique ; les changements très contrastés d’atmosphère ; la musique des années 60 (les chansons Blue Velvet de Bobby Vinton, et In Dreams de Roy Orbison) ; les éléments qui permettent l’accès à un autre univers ou à l’autre dimension d’un même univers (l’oreille coupée dans Blue Velvet, la boîte dans Mulholland Drive) ; l’utilisation des couleurs (le bleu et le rouge étant les couleurs dominantes dans Blue Velvet) ; le travail bien particulier sur la bande son… C’est ici tout un langage sonore et visuel, très codé et chargé de symboles, que Lynch met en place, même s’il était déjà perceptible dans ses films antérieurs.
Blue Velvet marque aussi la première collaboration entre David Lynch et son compositeur fétiche Angelo Badalamenti, qui signera la BO mythique de la série Twin Peaks et de tous ses films suivants. C’est également la première participation à un film de Lynch de Laura Dern (Kyle MacLachlan avait déjà joué dans Dune), qui dans Sailor et Lula et surtout Inland Empire donnera toute la mesure de son immense talent.
Blue Velvet est un film culte des années 80, qui a donné à Dennis Hopper (Easy Rider, Apocalypse Now, Rusty James) l’un de ses plus grands rôles et à Isabella Rossellini, d’une beauté vénéneuse, un personnage émouvant et complexe.
Blue Velvet par Bobby Vinton
Voici Blue Velvet par Bobby Vinton, l’une des nombreuses reprises de cette chanson écrite par Bernie Wayne et Lee Morris, et chantée initialement par Tony Bennett. Suite à la sortie du film de Lynch, la version de Vinton (datée de 1963) est devenue la plus célèbre. Beaucoup plus récemment (en 2012), la chanteuse Lana Del Rey a donné sa propre version de Blue Velvet.
Grand film sur la découverte du mal, comme L'Ombre d'un doute avant lui, Blue Velvet fascine encore aujourd'hui par son atmosphère incomparable et onirique, où résonnent la formidable bande originale composée par Angelo Badalamenti, la chanson qui donne son titre au film et bien sûr In Dreams, de Roy Orbison.
5 commentaires
Merci, ça m’a donné envie de le revoir !
:oD
Oah l’ot eh, pour faire le malin à parler espagnol, y’a du monde, mais pour venir bosser le lundi de nouelle, là ça fait moins le malin… lâcheur !
C’était le commentaire super orienté cinéma du jour.
Je ne sais pas si j’aurais conseillé Eraserhead, surtout à cause de la scène où il s’excite sur son poulet, et celle où il commence à découper son agneau dans le berceau; il y a des limites qu’un réalisateur ne doit pas dépasser; là, c’est carrément scandaleux.
Laura Dern une grande actrice ? Je l’avais trouvée très mauvaise dans Jurassic_Park et Un monde parfait. Faudra que je regarde Inland Empire alors
Je ne me souviens pas bien de ces films qui ne m’ont pas marqué, mais j’aime beaucoup Laura Dern dans « Sailor et Lula » et dans « Inland Empire », où elle est particulièrement impressionnante dans un rôle difficile. Après je suis d’accord que c’est surtout devant la caméra de Lynch qu’elle se révèle, je ne pense pas qu’elle ait eu des rôles très marquants avec d’autres réalisateurs.