La quatrième saison de Black Mirror a été diffusée fin décembre 2017. Elle se distingue par une diversité intéressante de styles, tout en dégageant des thèmes récurrents.
Note : cet article ne comporte pas de spoilers.
Un « miroir » de plus en plus regardé
Lancée en 2011, la série britannique Black Mirror – qui se présente comme une anthologie dont chaque segment est indépendant et reflète à sa manière les dangers liés à la société moderne et au progrès technologique – est devenue un phénomène, en particulier depuis sa reprise par Netflix en 2015. Au début, bien que la toute première saison soit très réussie (le premier épisode, The National Anthem, reste l’un des meilleurs de la série) et que Charlie Brooker (le créateur de Black Mirror) s’était déjà distingué avec l’excellente mini-série horrifique Dead Set (2008), la réputation de Black Mirror (en France du moins) était relativement confidentielle – bien davantage en tous cas que les deux dernières saisons, qui ont été largement commentées dans la presse, les blogs et les réseaux sociaux.
Ce succès n’est pas vraiment étonnant : comme son titre significatif l’indique, le concept de Black Mirror n’est en effet ni plus ni moins que de nous renvoyer une image, souvent anxiogène voire cauchemardesque, de notre société, en imaginant des scénarios dystopiques basés sur des phénomènes sociaux ou des champs de recherche scientifiques contemporains. La série aborde donc des sujets qui parlent sinon à tout le monde, du moins à beaucoup de gens, et développe – dans ses meilleurs épisodes – des problématiques morales et philosophiques intéressantes (plusieurs segments de Black Mirror sont d’ailleurs cités par des philosophes, intellectuels et scientifiques).
La saison 4
La saison 4 de Black Mirror nous donne à voir les six derniers des douze épisodes commandés par Netflix en 2015 (les deux premières saisons n’en comportaient que trois). Le résultat est à la fois hétérogène et cohérent. Hétérogène car on y trouve des styles fort différents (une parodie de space opera ; un drame intimiste familial ; un thriller ; un survival apocalyptique ; une comédie romantique 2.0) ; homogène car trois des six segments explorent, chacun à leur manière, le thème du clonage virtuel.
Le dernier épisode (filmé par Colm McCarthy), comme c’était déjà le cas dans la saison précédente (magistralement conclue par Hated in the Nation), est l’un des plus impressionnants puisqu’il forme à lui tout seul une sorte d’anthologie dans l’anthologie, imbriquant pas moins de trois récits successifs (une structure que Brooker avait déjà développée dans White Christmas, un épisode spécial inclus entre les saisons 2 et 4) tout en restant parfaitement cohérent. On notera que l’une des histoires contenues dans Black Museum est inspirée d’une nouvelle (The Pain Addict) écrite par le magicien Penn Jillette (cette section de l’épisode évoque d’ailleurs quelque peu l’univers de David Cronenberg).
Le segment de Toby Haynes, qui comporte des références à la série Star Trek et à un épisode de La Quatrième Dimension intitulé It’s a Good Life, égratigne le monde cynique de l’entreprise et livre une réflexion autour du « clone virtuel », tout en mettant en scène un cas typique d’individu frustré, pervers et dominateur (sur lequel le film nous fait habilement changer de point de vue en cours de route). USS Callister a fait couler beaucoup d’encre, malgré quelques incohérences scénaristiques excusables. Le ton y est parfois franchement comique, et c’est l’un des aspects qui a dérouté certains fans de la série, d’ordinaire plutôt grave.
L’actrice et réalisatrice Jodie Foster filme de son côté un récit familial intelligent et cohérent, qui traite des risques liés à la surprotection et au contrôle excessif des enfants (Rosemarie DeWitt incarne ici un « parfait » exemple de « parent hélicoptère », pour reprendre un terme utilisé au Canada et aux USA).
Le segment de l’australien John Hillcoat (auteur du western La Proposition, entre autres), tourné en Islande, est d’une valeur indéniable sur le plan esthétique, mais le scénario souffre de quelques invraisemblances et surtout d’une logique qui colle peu au principe de la série, dans la mesure où la technologie futuriste décrite dans le film n’est pas véritablement la cause du problème ici (même s’il n’est pas difficile d’imaginer les risques qu’elle présenterait). Crocodile est donc une semi-réussite, malgré une interprétation convaincante, une atmosphère soignée et un personnage d’enquêtrice (joué par Kiran Sonia Sawar) attachant.
Hang the DJ (de Tim Van Patten) renoue avec la veine tendre et romantique propre à l’épisode San Junipero (saison 3), dont il est une sorte de variante plus légère. Georgina Campbell et Joe Cole (vu notamment dans Green Room, le survival de Jeremy Saulnier) y composent un duo amoureux particulièrement sympathique.
Le segment n°5 permet de retrouver (avec plaisir) le trop rare David Slade, qui en 2005 avait signé le glaçant Hard Candy (l’un des premiers rôles d’Ellen Page) puis, en 2007, le divertissant 30 jours de nuit (adapté de la BD éponyme). Il signe ici l’un des épisodes les plus marquants de la saison 4 : Metalhead est un pur survival apocalyptique, qui fait référence à Terminator bien sûr, mais aussi à la nouvelle de Richard Matheson intitulé Duel (que Spielberg porta à l’écran au début des années 70). Épuré (le background de l’histoire est volontairement laissé dans l’ombre), doté d’un cachet esthétique indéniable (très beau noir et blanc), le film met en scène une bataille homme (femme, d’ailleurs) / machine redoutablement efficace. L’ennemi renvoie habilement à deux réalités historiques : les fameux chiens de guerre utilisés, à plusieurs époques, au cours de diverses batailles ; et les robots tueurs que constituent les drones contemporains. Une synthèse pertinente, mais ô combien effrayante, des technologies militaires les plus redoutables… Côté bande originale, on notera la présence d’un petit classique de la pop british : la chanson Golden Brown (1981), des Stranglers, avec sa mélodie élégante et son subtil arrangement baroque.
Pour conclure, la saison 4 de Black Mirror, si bien sûr elle comporte quelques petits défauts, demeure donc une réussite et on peut saluer la capacité de Brooker (pratiquement seul à l’écriture, sauf sur le premier épisode qu’il a co-écrit avec William Bridges) à rester dans l’esprit de la série tout en diversifiant les thèmes, les tonalités et les approches. Plusieurs épisodes sont reliés entre eux par la présence d’un objet commun ; au-delà du clin d’œil, ces références suggèrent une continuité intéressante, comme si les segments étaient les différentes étapes d’un même futur. Côté formel, difficile de faire le moindre reproche ici tandis que la série nous donne à voir d’excellentes prestations d’acteurs, dont celles de Kiran Sonia Sawar, Cristin Milioti, Jesse Plemons, Rosemarie DeWitt, Andrea Riseborough, Georgina Campbell, Joe Cole, Maxine Peake et Letitia Wright (pour ne citer qu’eux).
Pour l’heure, nulle saison 5 n’a été officiellement annoncée, et les épisodes commandés initialement par Netflix ont tous été tournés. Questionnés à ce sujet, Charlie Brooker et Annabel Jones (productrice exécutive) ont simplement répondu : On aimerait la faire !
; vu le succès des deux dernières saisons, il y a fort à parier que Netflix ne freinera pas ce bel enthousiasme…
Du côté des idées, Black Mirror puise dans un réservoir par définition presque infini, qui devrait préserver Brooker du manque d’inspiration : la presse scientifique, les innovations technologiques et les phénomènes sociaux modernes. D’ailleurs, certains des sujets qui vont être abordés très prochainement, en France, à l’occasion du lancement des États généraux de bioéthique, pourraient tout à fait être exploités dans un prochain épisode de Black Mirror…
2 commentaires
Bonjour Bertrand,
Joli hommage à cette série que j’ai d’ailleurs découverte grâce à toi alors qu’elle n’était encore que confidentielle.
Je suis tout à fait d’accord pour dire que Black museum dépasse les autres épisodes et qu’en son sein le « mini-récit » du Pain addict est clairement l’élément le plus incroyable de cette saison.
Sinon j’ai appris pas mal de petits trucs en te lisant, comme d’habitude, donc merci 🙂
Cinéphilement…
Merci à toi ! J’espère que tout va bien depuis ton déménagement.