Film de Rachel Lang
Pays : France, Belgique
Année de sortie : 2016
Scénario : Rachel Lang
Photographie : Fiona Braillon et Romain Carcanade
Montage : Sophie Vercruysse
Avec : Salomé Richard, Swann Arlaud, Claude Gensac, Zabou Breitman, Olivier Chantreau, Lazare Gousseau
Baden Baden est un premier long métrage plein de fraîcheur, porté par une protagoniste attachante et servi par une écriture précise, moderne et élégante.
Synopsis du film
Après une expérience pas très concluante sur le tournage d’un film en Belgique, où elle devait prendre en charge les déplacements des comédiens, Ana (Salomé Richard), une jeune femme de vingt et quelques années, retourne à Strasbourg, sa ville d’origine. Elle y retrouve sa grand-mère (Claude Gensac) mais aussi un ami, Simon (Swann Arlaud), avec qui elle couche occasionnellement.
Lorsque sa grand-mère est hospitalisée pour une opération, Ana décide de rénover la salle de bain dont la vieille dame se plaint régulièrement. Complètement inexpérimentée en matière de travaux, elle se fait aider par un vendeur rencontré dans un magasin, Grégoire (Lazare Gousseau), guère plus doué qu’elle. Parallèlement, Ana croise Boris (Olivier Chantreau), un artiste égoïste et séducteur qui visiblement lui en a fait voir des vertes et des pas mûres quelques années plus tôt.
Entre la rénovation de la salle de bain et un quotidien encore plein d’incertitudes, Ana tente d’évoluer à sa manière et de faire les bons choix.
Critique de Baden Baden
Un long métrage – ou un roman -, c’est essentiellement une histoire, des personnages et un contexte, et ces trois éléments doivent s’équilibrer dans un même espace. Il y a évidemment d’autres aspects, purement cinématographiques, qui sont d’une grande importance (la bande son, le montage, la photographie, le cadrage, etc.), mais ils sont d’une certaine façon – le plus souvent en tous cas – au service de ces trois piliers et de leur équilibre. Ce n’est pas des plus faciles car, contrairement à un roman qui peut consacrer des paragraphes ou des pages entières au passé des protagonistes, le cinéma n’a pas forcément la possibilité de revenir, même brièvement, sur celui-ci : les flashbacks et/ou la voix off, par exemple, sont des procédés narratifs qui ne conviennent pas à tous les films, loin s’en faut. Il faut donc suggérer, sous-entendre, tout en comptant sur l’imagination et la sensibilité du spectateur.
Pour son tout premier long métrage, Baden Baden, Rachel Lang est parvenue à faire vivre des personnages consistants dans un cadre précis (la ville de Strasbourg, de nos jours) et à raconter une histoire – celle qui se passe sous nos yeux pendant le film mais aussi celle qui n’est pas explicitement dite (qui forme, avec le cadre géographique et temporel, le contexte), mais que des répliques allusives, ou encore une photographie capturée par la caméra, évoquent furtivement. Ces deux composantes (qui sont le passé et le présent) sont bien sûr indissociables : c’est tout ce qui s’est produit avant qui détermine en grande partie les différents aspects de la vie et du comportement de la jeune héroïne incarnée par Salomé Richard. Cela peut paraître anecdotique, mais en réalité beaucoup de réalisateurs ne parviennent pas à faire ressentir cette continuité, cet arrière plan absolument essentiel, sauf quand il a une importance évidente (par exemple, la fameuse expérience traumatisante dont beaucoup de scénaristes usent et abusent pour donner de la profondeur à un personnage, notamment dans les polars). Mais en exceptant ce cas bien précis, tout personnage a néanmoins un passé, une histoire antérieure au début du film, si banals et ordinaires fussent-ils, et c’est quelque chose que l’on ressent très bien dans Baden Baden, sans qu’elle ne soit jamais surlignée.
C’est d’autant plus important ici que Rachel Lang nous raconte quelque chose d’assez simple, ordinaire – c’est dans les détails et les nuances que le film puise sa force, sa couleur, sa tonalité. En résumé, Baden Baden est un chapitre de la vie d’une jeune femme un peu paumée, qui ne sait pas encore très bien ce qu’elle va faire ni comment sa vie doit s’organiser, et qui se trouve quelque part entre son passé d’adolescente – ou en tous cas de toute jeune femme – (un turbulent amour de jeunesse, incarnée par l’acteur Olivier Chantreau, hante encore les rues strasbourgeoises) et sa vie d’adulte. La construction de la douche pour sa grand-mère est d’ailleurs le symbole assez évident de cette existence non dénuée de charme mais encore en chantier.
Gravitent autour d’elle, en dehors de l’amant ténébreux déjà évoqué, un sex friend bienveillant campé par Swann Arlaud (Ni le ciel ni la terre ; The End) ; une grand-mère sympathique et têtue au préoccupant état de santé (Claude Gensac) ; un vendeur en magasin (Lazare Gousseau) tout aussi paumé que l’héroïne et assez burlesque (Tati-esque
, pour reprendre les propres mots de Salomé Richard à son sujet) ; un ouvrier du bâtiment (Driss Ramdi) réservé qui cherche à entrer dans la Légion étrangère (ce qui fait d’ailleurs un pont avec le futur long métrage de Rachel Lang, qui parlera justement de ce corps de l’armée) ; une mère protectrice qui ne mâche pas ses mots (Zabou Breitman) ; une copine de passage (Jorijn Vriesendorp) ; etc. La caractérisation de ces différents personnages est très réussie : tous apportent quelque chose à l’ensemble, d’abord parce qu’ils ont chacun un aspect intéressant et parfois drôle (le film est plutôt léger et comporte plusieurs scènes comiques), ensuite et surtout parce qu’ils nous éclairent sur le parcours de l’héroïne, qui se définit en partie à travers ses rencontres et ses relations aux autres (comme tout à chacun).
Héroïne dont l’aspect physique fait songer à la réalisatrice : la coiffure de Salomé Richard dans le film est en effet très proche de celle de Rachel Lang dans la vie, et il n’est pas absurde d’en déduire que cette dernière se retrouve peut-être dans certains aspects d’Ana – ce personnage féminin moderne, à la fois plein de doutes et parfois étonnamment confiant, toujours spontané, sincère et direct dans son rapport aux autres. La fraîcheur qui émane de Baden Baden doit beaucoup à la personnalité de sa protagoniste et à l’excellente composition de Salomé Richard.
Vers la fin du film, Ana se tient assise devant une construction assez fascinante sur le plan architectural, située dans un endroit isolé – nouvelle métaphore de cette quête intime à la fois drôle, énergique et émouvante que la réalisatrice et ses comédiens sont parvenus à exprimer avec beaucoup de justesse et aussi, c’est important, un enthousiasme palpable.
Bande-annonce
Liens utiles autour du film
- Interview minutée de Rachel Lang et Salomé Richard
- Interview de Rachel Lang dans le cadre de l’émission étudiante FOCUS
Par sa justesse d'écriture, d'interprétation et sa capacité à capturer une part de vie et tout ce qui s'y rattache (des relations ; un passé ; une ville...), Baden Baden s'affirme comme un premier film aussi léger et agréable que touchant et immersif. De toute évidence, il faudra suivre le parcours de Rachel Lang et de Salomé Richard, mais aussi celui de jeunes comédiens qui depuis quelques années confirment leur talent film après film, à l'image de Swann Arlaud (Ni le ciel ni la terre ; The End) et d'Olivier Chantreau.
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