Film de Takashi Miike
Titre original : オーディション, Ôdishon
Année de sortie : 1999
Pays : Japon
Scénario : Daisuke Tengan, d’après le roman de Ryu Murakami
Photographie : Hideo Yamamoto
Montage : Yasushi Shimamura
Avec : Ryo Ishibashi, Eihi Shiina, Tetsu Sawaki, Jun Kunimura.
Shigeharu : Je veux simplement ne pas faire d’erreur à mon âge. Je veux avoir du temps pour parvenir à la connaître très bien. Voir de nombreuses femmes, ainsi je pourrai trouver celle qui est parfaite.
[Son ami et collègue Yoshikawa rigole.]
Shigeharu : Quoi ? Je demande trop ? Probablement…
Yoshikawa : Non, et bien, il y a un moyen de faire ça. Une audition.
Audition est une œuvre insidieuse, un traquenard cinématographique dont on admire la précision autant qu’on en subit les conséquences.
Synopsis d’Audition
Le producteur Shigeharu vit seul avec son fils après la mort de sa femme, survenue sept ans auparavant. Il souhaite refaire sa vie mais ne sait pas comment s’y prendre pour tomber sur la bonne personne. Un ami réalisateur, Yoshikawa, lui suggère de lancer une audition pour le rôle féminin d’un futur film. Ainsi, Shigeharu aura l’opportunité de voir de nombreuses femmes et, peut-être, de trouver celle qui lui convient…
Critique
Une transition réussie entre deux genres
Takashi Miike est un réalisateur à la fois respecté et controversé, notamment en raison de la violence souvent extrême présente dans certains de ses longs métrages. Il a d’ailleurs signé l’un des épisodes les plus violents de l’excellente série anthologique Masters of Horror, intitulé La Maison des Sévices (épisode qui ne fut pas diffusé par Showtime à l’époque, précisément en raison d’un contenu jugé trop radical).
Avec Audition, il bénéficie d’une matière première de grande qualité : un scénario très intelligemment construit de Daisuke Tengan, basé sur un roman de l’écrivain japonais Ryu Murakami (Audition, publié en 1997). L’intrigue se met lentement en place, suivant la mécanique précise d’un piège qui se referme sournoisement sur le protagoniste (et sur le spectateur). La manière insidieuse via laquelle le film opère un progressif (mais radical) changement de ton et d’atmosphère est un modèle du genre : on passe en effet d’un thriller mâtiné d’humour et même de romantisme à un cinéma d’horreur viscéral et dérangeant – genre dont Audition est devenu depuis une précieuse référence.
Nous n’en dirons guère plus sur le dénouement du film, car cela reviendrait à gâcher en partie l’expérience des spectateurs qui ne l’ont pas encore vu. En revanche, nous allons nous pencher sur trois séquences qui trahissent la présence d’un nuage de mauvais augure, planant au-dessus des moments en apparence légers dont la première partie du film est constituée.
Trois scènes clés très maîtrisées
Il y a plusieurs scènes clés dans Audition, c’est-à-dire des scènes qui suggèrent au spectateur que des choses graves ou du moins inattendues vont se produire, et cela en dépit du ton souvent léger adopté au début du film. Takashi Miike, à travers une réalisation intelligente et inspirée, parvient à donner un maximum d’impact et d’efficacité à ces séquences.
La première est celle où Shigeharu (Ryo Ishibashi), sympathique et romantique veuf en quête de l’âme sœur, confie à son ami et collègue son désir de se remarier. Mais, souhaitant ne pas faire d’erreur, il voudrait avoir la possibilité de choisir parmi de nombreuses femmes. C’est alors que Yoshikawa (l’ami en question) a l’idée d’une audition pour un film, et la scène, assez longue et bercée par un air de piano bar, se clôt brusquement sur ce mot. Le spectateur pressent ici que l’audition en question est à l’origine de tout ce qui se produira ensuite (d’autant plus qu’il s’agit du titre du film).
La seconde scène – même s’il s’agit en réalité de plusieurs scènes mais portant sur un unique événement – est celle du casting. Dans un premier temps, quelques secondes de film brassent des heures de casting, à travers un montage volontairement rapide de plans et sur une musique jazzy. Puis, soudain, silence : une jeune femme entre dans la salle et l’on passe à un long plan séquence où la caméra nous montre d’abord l’inconnue, de dos, face aux deux hommes, avant de zoomer très lentement sur le visage de Shigeharu, littéralement fasciné par sa vis-à-vis. Le plan séquence traduit ici la transition entre plusieurs instants légers (d’où la rapidité du montage et la très courte durée de chaque plan) et anodins, et l’instant unique, grave, solennel en un sens, qui marque une rupture et donc se doit d’être filmé en temps réel (principe du plan séquence) en opposition au découpage rapide utilisé préalablement.
Enfin, la troisième scène clé est le premier rendez-vous en privé entre le producteur et la jeune inconnue, rendez-vous qui tient place dans un restaurant. Ici, la caméra est d’abord placée juste en face de l’homme, donc à la place de la femme (voir image ci-dessus). Le spectateur, en partageant le point de vue de la femme, est donc nécessairement amené à s’interroger sur celui-ci ; Takashi Miike nous fait donc comprendre qu’il y a quelque chose d’inhabituel, de particulier dans le regard de la femme qui contraste avec la banalité de la situation (un homme et une femme font connaissance autour d’un dîner).
Une référence aux auditions féminines abusives ?
Même si le personnage de Shigeharu n’a rien d’un prédateur et qu’il est d’ailleurs plutôt bienveillant, le casting qu’il organise dans Audition, parce que son but véritable est de rencontrer une femme et non d’engager une actrice, peut être vu comme un clin d’œil critique aux castings abusifs (gestes et/ou remarques déplacés) dont sont régulièrement victimes les comédiennes dans la réalité.
En poussant cette lecture à l’extrême, le dénouement du film peut se voir comme une réaction extrême à ce phénomène d’abus (mais certainement pas comme un acte légitime dans ce cas précis).
Audition est indéniablement une grande réussite du genre horrifique. Un de ces films dont on ignore où il va nous emmener, ce qui représente un atout de taille quand on songe au nombre incalculable de longs métrages empruntant des sentiers ultra balisés. Et surtout, c'est un modèle de construction cinématographique, dont chaque séquence est pensée en fonction du contexte et du sens global du récit. Résolument inconfortable, mais techniquement et artistiquement irréprochable.
11 commentaires
J’ai beaucoup aimé ce film, et justement, comme tu l’explique, le fait qu’il nous balotte d’un style à l’autre, d’une émotion à l’autre, presque d’un film à un autre…!
Comment as-tu compris les scènes vers la fin, où on revoit des scènes déjà vues du film, mais légèrement différentes, où l’homme se comporte de manière un peu distante, un peu gougeat, vis à vis de la jeune femme ?
Ca remet en question la lecture du film… J’avais l’impression que ça rejoignait la manière très sexiste de rencontrer une femme par une audition, que ça nous dépeint l’Homme mysogine et manipulateur du Japon, et du coup la jeune femme passe presque pour une victime, qui ne fait que « se défendre »…
Une relecture fémisiste du film… ^^
Je pense que c’est entre les deux : effectivement, le principe de l’audition est un peu sexiste, et il y a probablement dans ce film une certaine critique du comportement des hommes. Maintenant, c’est plus nuancé que cela car le héros est loin d’être un misogyne et quand bien même l’idée de l’audition est un peu limite, il choisit vraiment la femme en fonction de sa personnalité et pas uniquement de son apparence, ce qui n’est donc pas une attitude sexiste. Quand au personnage de la femme, elle semble effectivement avoir souffert des hommes mais ça n’explique pas tout… Je pense donc que finalement, comme bp de bons films, il y a un propos féministe mais qui est nuancé car l’homme est très loin de mal se comporter dans le film, et la « vengeance » de la femme est super démesurée, tu en conviendras…
Si cette thématique t’intéresse, il y a un film plutôt original qui aborde frontalement la question de la domination de l’homme dans le couple, qui est féministe en un sens mais qui laisse un malaise profond, c’est « Alexandra’s project ». C’est étrange, très pesant et très violent psychologiquement, mais c’est plutot original et maîtrisé ; tu en as ici une critique sur dvdrama : http://www.dvdrama.com/rw_fiche-7805-.php
Tout à fait, Audition est un film à tirroir, avec plusieurs lectures possibles en même temps…! C’est une des choses bien de ce film.
Merci pour le lien sur Alexandra’s Project. Je n’en avais pas du tout entendu parler, et j’aime bien l’idée.
Ca a aussi l’air un peu anxyiogène, comme film, mais si j’ai aimé Audition, je peux sans problème regarder celui-là 😉
[…] Ça me fait penser : cette semaine, j’ai regardé un film japonais super traumatisant. Pendant au moins une heure, c’est un film tout à fait normal, avec un […]
On sent que la relation entre Shigeharu et la jeune femme fait l’objet d’une désapprobation par son entourage et indirectement la société:
– son ami le réalisateur s’y oppose de plus en plus au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire allant jusqu’à considérer son ami comme un vieil homme épris d’une femme trop jeune pour lui
– son fils, bien que ne désapprouvant par ouvertement, s’amuse du fait que la jeune femme a le même âge que lui
– le poids du passé et le fait qu’il soit veuf joue ici de nouveau contre cette relation en quelque sorte. Shigeharu détourne le portrait de sa défunte épouse lorsqu’il consulte le CV de la jeune femme, sa femme lui apparait en rêve et désapprouve cette union (pas elle, sans donner plus de raison)
Cette relation est vouée à l’échec, et elle le sera; du moins vouée à être douloureuse et compliquée, elle le sera aussi.
C’est une lecture parmi beaucoup d’autres que l’on peut faire de ce film à tiroirs.
Très intéressante remarque ! Merci
Le fait que l’on puisse évoquer le « féminisme » pour justifier la barbarie d’une sadique est peut-être encore plus vomitif que le film lui-même (dont le réalisateur est extrêmement surestimé). C’est un peu comme si l’on disait à un enfant de 10 ans torturé par sa mère (car il existe autant de mères que de pères tortionnaires) » T’inquiète pas mon garçon…Ta mère t’enferme dans un placard et te roue de coups ? C’est juste une manière de déconstruire le patriarcat ! » J’exagère à peine voire pas du tout : on vit vraiment dans une société de tarés et les commentaires élogieux de certain(e)s sur le film en disent autant que ses dernières scènes sur la barbarie contemporaine.
Il faudrait contextualiser votre commentaire. Il se peut que le film dénonce indirectement les castings féminins douteux (comme celui organisé dans le film), hélas nombreux dans la réalité, ça ne veut pas dire que le réalisateur justifie ce qui se passe à la fin. Si vous avez lu une critique dans ce sens, merci d’indiquer la source, car là on ne comprend pas votre réaction du coup.
Bonjour. Un exemple. Site films.cultes.free « On se prend même à avoir un peu de pitié pour la femme. Finalement qui est le plus monstrueux ? Les rêves d’Aoyama révèlent un homme lâche, pervers et persuadé de pouvoir tout maîtriser. Il a monté un faux casting pour trouver l’âme sœur, il a utilisé la perfidie pour arriver à ses fins. Et Asami va se charger de le lui rappeler »… (extrait). Ce genre de victim bashing et d’inversion des valeurs est assez fréquent, sur certains sites ou forums. Et bien au-delà de ce film et de cette thématique : la culpabilisation des victimes et la victimisation des bourreaux…Devenus presque la norme. BAV
Merci pour vos précisions. Alors, autant je ne trouve pas inintéressant de voir la fameuse « audition » comme un clin d’œil critique à certaines vraies auditions abusives dans le métier, autant la lecture qui consisterait à diaboliser le protagoniste, plutôt sympathique dans mon souvenir, et à justifier l’acte de la fille me semble très caricaturale. C’est bien d’injecter de l’ambiguïté morale, mais il ne faut pas tomber dans l’excès inverse. C’est en effet un peu à la mode. Après, pour être transparent avec vous, il faudrait que je le revois pour mieux juger ! En tout cas, rien n’indique que le cinéaste partage totalement les analyses que vous citez. Donc, elles ne doivent pas, je pense, totalement conditionner la vision du film, qui me semble assez libre d’interprétation.
Merci pour votre réponse. Je n’incrimine pas tant le réalisateur (bien que ce soit l’un des plus tordus du cinéma mondial) que les propos tenus sur certains sites ou dans certains articles de presse. Ce phénomène d’inversion des valeurs consistant à victimiser les bourreaux et réciproquement est un phénomène général. Cordialement.
Joseph K