Film de Louis Malle
Année de sortie : 1980
Pays : Canada, France
Scénario : John Guare
Photographie : Richard Ciupka
Montage : Suzanne Baron
Avec : Burt Lancaster, Susan Sarandon, Kate Reid, Robert Joy, Michel Piccoli, Hollis McLaren.
Lou (parlant de Atlantic City) : Yes, it used to be beautiful – what with the rackets, whoring, guns.
Seconde réalisation de la période américaine de Louis Malle après La Petite, Atlantic City est un beau film désabusé, servi par des comédiens prestigieux.
Synopsis d’Atlantic City
Dave et sa compagne Chrissie débarquent à Atlantic City, sans un sou en poche. Ils demandent l’hospitalité à Sally, qui est à la fois l’épouse de Dave et la sœur de Chrissie – d’où des retrouvailles plutôt houleuses.
Rapidement, Dave cherche à conclure une affaire avec un trafiquant local. Il croise par hasard la route de Lou, voisin de Sally, un vieil homme qui ne jure que par les folles années d’Atlantic City et de sa mythique promenade. Les deux hommes s’associent pour revendre de la drogue…
Critique du film
Louis Malle, pour sa seconde réalisation outre Atlantique, a choisi un scénario écrit par John Guare, auteur de théâtre américain sur lequel le réalisateur ne tarit pas d’éloges. Il a d’ailleurs tenu à son sujet des propos qui s’appliquent remarquablement bien à Atlantic City :
Guare pratique un humour qui est synonyme de lucidité, explosant les genres et les clichés, nous emmenant au cœur de la souffrance humaine : la conscience de la corruption dans nos propres corps, la mort qui l’encercle. Nous essayons de lutter contre cela en créant diverses mythologies, et c’est son aptitude à révéler nos mensonges grandioses qui rend le travail de Guare si magique
(source : John Guare, sur Wikipedia EN).
Cette approche mêlant humour et lucidité, ce regard désabusé sur la manière dont l’être humain se réfugie dans les mensonges et différents mythes pour mieux supporter sa souffrance se retrouvent totalement dans le scénario d’Atlantic City, s’incarnant plus particulièrement dans le personnage de Lou (Burt Lancaster). Sa « mythologie » à lui est l’époque de la prohibition, des gangsters, et toute l’imagerie virile qu’il y associe ; ses mensonges sont ces meurtres qu’il n’a jamais commis, cette position sociale qu’il n’a jamais eue. Mais ce schéma s’applique à d’autres personnages : Sally (Susan Sarandon) se raccroche à un univers des casinos qui lui est étranger, et rêve d’une France qu’elle ne connait pas davantage ; sa sœur Chrissie (Hollis McLaren), restée figée dans un idéal hippie anachronique, croit en la réincarnation et prête ainsi à son minable compagnon des vies antérieures prestigieuses ; Grace (Kate Reid), la protégée capricieuse de Lou – et veuve d’un gangster abattu sur la fameuse « boardwalk » d’Atlantic City – ne quitte pas son lit. Enfin la manière dont, selon Louis Malle, John Guare détourne les clichés et les codes du genre s’observe dans Atlantic City, où il nous fait quitter la route balisée du film noir pour mieux exprimer un point de vue réaliste sur la condition humaine, l’existence et les rapports entre individus ; préférant au tragique un sens aigu de la dérision, au mélodrame un mélange d’amertume, de pessimisme et de légèreté.
Le plan qui clôt le générique de début, montrant l’effondrement d’un vieil immeuble, donne le ton du film : Louis Malle nous parle d’une ville en chantier, autrefois mythique, et qui tente de se refaire un nom (Atlantic City, you’re back on the map. Again.
, affirme fièrement un panneau planté dans la ville) en construisant des casinos à tous les coins de rue. Les personnages du film, à l’image de la ville dans laquelle ils évoluent, n’arrivent pas à se réaliser. Ce parallèle entre le cadre de l’histoire et les personnages est l’une des bonnes idées d’un scénario qui témoigne d’une justesse de ton et d’une finesse d’observation indéniables, et est servi par une mise en scène qui en cerne parfaitement les enjeux et le propos.
Les deux personnages les plus importants, Lou et Sally, se rejoignent et s’opposent en même temps. Lou est un nostalgique, qui vit dans le fantasme d’un passé où il n’a lui-même pas réussi grand-chose. Il court après une absurde image de virilité, qu’incarnaient à ses yeux les célèbres gangsters d’Atlantic City (Lucky Luciano, Al Capone, Nucky Johnson, etc.). Il est à la fois enfantin, crédule, pathétique et touchant, comme dans ce très beau plan où Louis Malle scrute sa frustration et son impuissance tandis qu’il ne parvient pas à protéger Sally, agressée par des bandits.
Burt Lancaster est admirable dans le rôle : son statut de figure mythique du cinéma hollywoodien, et toute cette vie et cette histoire qui imprègnent son visage et son regard, lui donnent une crédibilité naturelle pour composer un personnage qui, par certains aspects, rappelle un peu le « nageur » désespéré qu’il incarne dans Le Plongeon, film injustement méconnu ressorti récemment sur les écrans. Face à lui, la belle Susan Sarandon incarne le présent : elle ne se raccroche pas à un passé quelconque, ou à l’histoire d’une ville qu’elle ne connait pas vraiment. Mais elle n’est pas tellement plus à l’aise que Lou dans ce présent ; et si elles ont des origines distinctes, leurs errances réciproques rapprochent ces deux personnages perdus mais pas foncièrement mauvais – donc touchants. Tous les personnages secondaires sont traités avec une égale justesse, composant ensemble une mosaïque de l’existence humaine pessimiste et désabusée, mais non dénuée de dérision et d’une certaine tendresse.
Ce qui est effectivement intéressant dans Atlantic City, c’est cet équilibre branlant entre un regard lucide et désabusé – non seulement le présent et l’avenir ne sont pas reluisants, mais le passé ne saurait, au fond, constituer un véritable repère, la ville ayant été du temps de sa « gloire » un nid de gangsters et de politiques véreux en tous genres (comme en atteste involontairement la phrase prononcée par Lou : Yes, it used to be beautiful, what with rackets, whoring, guns
) – et l’humour et l’empathie qui caractérisent également l’approche du film. La photographie du canadien Richard Ciupka traduit assez bien cette approche ; tantôt grise et ancrée dans la réalité d’une ville délabrée, elle prend parfois des teintes plus chaudes et romantiques, incarnant alors les rêves et les refuges de personnages seuls et égarés que le réalisateur et le scénariste ne condamnent pas – Dave, les deux gangsters et dans une moindre mesure Joseph, incarné par Michel Piccoli (Le Mépris), sont en effet les seuls personnages vraiment antipathiques (à des degrés divers) du film. Les séquences où Lou observe Sally retirer son corsage et se laver avec du citron, au son du célèbre opéra « Norma » de Bellini, s’inscrivent directement dans une certaine mythologie cinématographique et viennent donc appuyer le propos du scénariste sur les rêves, les mythes et leur fonction dans l’existence.
Lou: Why do you use lemons?
Sally: The fish smell is embarrassing.
Lou: Oh… I thought maybe they was some other reasons that I didn’t understand.
A l’image de cette scène où Lou apprend que le citron dont Sally se sert pour se laver n’a pour seule fonction que de masquer l’odeur de poisson qui lui colle à la peau (elle travaille dans la restauration), le film de Louis Malle dévoile les illusions du passé comme celles du présent. Mais il autorise néanmoins les personnages à continuer de rêver et d’espérer, quand bien même leur quotidien n’est guère plus stable ou ordonné que les ruines d’Atlantic City (auxquels succéderont d’artificiels casinos) sur lesquelles s’inscrivent les lettres du générique de fin – signe que rien ne s’est vraiment construit pendant toute la durée du film, et que l’histoire ne fait que répéter des schémas tous plus dérisoires les uns que les autres. Quoiqu’il adviendra de la ville et des personnages, rien ne changera fondamentalement, et d’autres illusions succéderont aux anciennes. C’est d’ailleurs le mensonge et un argent qui ne lui appartient pas qui donnera à Lou un semblant de prestige aux yeux de Sally.
Si une évidente dérision résonne dans les éclats de rire qui ponctuent certaines scènes d’Atlantic City, le film évite avec beaucoup d’élégance le piège du mélodrame moralisateur dans lequel sa trame initiale aurait pu le plonger, adoptant un ton à la fois désabusé et singulièrement léger par moment. Un peu comme celui que prendrait un loser ou un amoureux éconduit au moment de commander un dernier verre, ou de jouer un ultime coup de dés. Au fond, qui l’en blâmerait ?
Atlantic City met intelligemment en perspective les destins de ses personnages et l'histoire de la ville qui lui donne son nom. Un beau film désabusé et servi par de prestigieux comédiens, dont un Burt Lancaster particulièrement émouvant.
5 commentaires
Jamais vu aucun film de Louis Malle. Avec en plus Sarandon, Lancaster et Piccoli , je crois qu’il faut que je me mouille.
J’en ai vu très peu aussi. J’ai un vague souvenir de « Ascenseur pour l’échafaud », avec la musique culte de Miles Davis. Je me souviens aussi avoir bien aimé « Le souffle au cœur ». Malle a aussi tourné l’un des segments de « Histoires extraordinaires« , aux côtés de Fellini et Vadim, le film à sketches adapté des nouvelles de Poe avec un super casting (Delon, Fonda, Bardot, Terence Stamp, etc.). Il parait que son film « Le Feu follet », avec Maurice Ronet (et la musique de Satie) est un chef d’œuvre. J’ai vraiment accroché à « Atlantic City », à mon avis tu devrais aimer, surtout si tu apprécies Sarandon et Lancaster, qui ont des rôles vraiment intéressants et bien écrits. Piccoli a un rôle plus mineur, mais c’est toujours un plaisir de le voir.
Mille excuses, je suis un naze. J’ai vu ascenseur pour l’echafaud et le feu follet . Ce sont d’excellents films. Et Ronnet est boulversant. J’ai pu me procurer Atlantic City et te donnerais mon avis, si tu le desire.
Bon film et belle lumiere sur Susan Sarandon mais un peu daté année 80. Le jeu des acteurs et leurs espoirs ne restent pas vain . Un bon moment et pas mal d’humour.
À mettre en parallèle avec le « Snake Eyes » version De Palma. Malle demeure un cinéaste bourgeois qui choqua les bourgeois, avant de les faire pleurer avec un récit autobiographique.