Voici une séquence issue du film Cruising (lire la critique) de William Friedkin, un polar psychologique sorti en 1980 décrivant l’infiltration vertigineuse et troublante d’un jeune inspecteur de police (Al Pacino) au sein du milieu gay-cuir de New York.
Une scène clé du film
Dans cette scène, le policier Steve Burns (Al Pacino) et sa petite amie Nancy Gates (Karen Allen) discutent de la nouvelle mission de Steve (infiltrer le milieu gay S&M pour enquêter sur des meurtres). Il s’agit d’une séquence clé du film, contrairement aux apparences.
Au début, Nancy essaie d’en savoir plus sur la mission de Steve, mais celui-ci, ne pouvant pas en parler, lui suggère de changer de sujet. Nancy lui annonce alors que le père de Steve a téléphoné (« Your father called today »).
Il y a immédiatement un changement notable au niveau de l’atmosphère de la scène, changement perceptible au niveau de la bande son (un motif sonore inquiétant se mêle à la musique que l’on entendait jusque-là) et par le biais du gros plan que Friedkin fait sur le visage de Burns dès que Nancy évoque son père. Le regard de Burns reflète une expression étrange, assez insondable. Ce côté insondable est justement confirmé par une phrase qu’il prononce lorsque Nancy, faisant de nouveau référence à sa mission, lui dit qu’elle n’avait pas réalisé qu’il était « si ambitieux ». Ce à quoi Burns rétorque donc, énigmatique : « There’s a lot about me you don’t know » (il y a beaucoup de choses à mon sujet que tu ignores). Et bien entendu, le personnage reste muet au such as?
(comme quoi ?) que lui adresse aussitôt la jeune femme.
L’attitude de Steve Burns dans cette scène nous apprend deux choses fondamentales pour la compréhension du film dans son ensemble. D’abord, il y a une part d’ombre, d’inconnu en lui ; ensuite, son rapport avec son père est manifestement problématique. Ces deux aspects vont très fortement conditionner la crise identitaire que va traverser le personnage au cours de son enquête.
Cette courte scène – par le biais de dialogues précis, d’un travail intelligent sur la bande son et du jeu ambigu d’Al Pacino – soulève donc finement les questions sur l’identité et le rapport au père/à la masculinité qui sont au cœur du film. Elle est d’autant plus importante que c’est l’unique fois où le père du protagoniste est évoqué.
La musique que l’on entend en fond est un quintette en do majeur du compositeur italien Luigi Boccherini, intitulé La Musica notturna delle strade di Madrid, Op. 30, No.6 (3rd. mvt).
6 commentaires
ce « format de contenu » pour reprendre tes termes, est très intéressant. Bonne et originale idée. Qui plus est avec l’insertion de la vidéo de la scène commentée dans l’article: c’est percutant.
Merci !
Bonjour,
très belle analyse d’un film superbe !
Auriez-vous par hasard le titre de la musique du générique de fin ?
J’ai cherché ce titre mais ne parviens pas à le trouver.
Merci beaucoup pour votre aide.
Bonjour,
Merci pour le compliment.
Il s’agit du quintette en do majeur de Luigi Boccherini, intitulé « La musica notturna delle strade di Madrid, Op. 30, No.6 (3rd. mvt).
Ici sur YouTube : http://www.youtube.com/watch?v=xRDeFsUuYho
Merci beaucoup !
Autre exemple fameux : la scène du bar dans « French Connection » où la bande son vibre de dissonances tandis que « Popeye » aperçoit un ennemi. Voici qui atténue ou redéfinit le fameux « réalisme » de Friedkin. Sans aller jusqu’à réaliser des films-cerveaux à la façon de Kubrick (« Shining ») ou Cronenberg (« Vidéodrome »), l’auteur de « L’Exorciste » film des univers mentaux hantés par le Mal et profondément fantastiques par l’ambivalence de leurs signes, presque toujours négatifs, même s’il s’autorisa quelques comédies noires (« Killer Joe » la dernière).