Film de Paul Schrader
Année de sortie : 1997
Pays : États-Unis
Scénario : Paul Schrader d’après le roman Affliction, de Russell Banks
Photographie : Paul Sarossy
Montage : Jay Rabinowitz
Musique : Michael Brook
Avec : Nick Nolte, Sissy Spacek, James Coburn, Willem Dafoe, Holmes Osborne, Jim True-Frost, Brigid Tierney
Wade Whitehouse: You know I get the feeling like a whipped dog some days. Some night I’m gonna bite back, I swear!
Affliction, de Paul Schrader, est une adaptation très réussie du roman éponyme de Russel Banks, servie par une composition poignante de Nick Nolte.
Synopsis d’Affliction
Wade Whitehouse (Nick Nolte) est policier dans une petite ville du New Hampshire, hanté par le souvenir des mauvais traitements que son père Glen (James Coburn) lui a infligés pendant son enfance. Divorcé de sa femme Lillian (Mary Beth Hurt), Wade voit parfois sa fille Jill (Brigid Tierney), mais leur relation est tendue.
Un jour, Jack (Jim True-Frost), un ami de Wade, part chasser avec un leader syndical local ; or celui-ci trouve la mort dans des circonstances obscures, apparemment accidentelles. Wade, soupçonnant un assassinat, commence à enquêter…
Critique du film
Pour son douzième long métrage en tant que réalisateur, Paul Schrader a choisi de porter à l’écran un roman de Russell Banks, un écrivain américain contemporain dont les œuvres, qui s’inscrivent dans un genre que l’on peut qualifier de « réalisme social », décrivent souvent le quotidien de personnages tourmentés, issus de milieux difficiles – comme celui, d’ailleurs, dans lequel grandit Banks.
Paul Schrader est, rappelons-le, un excellent scénariste et c’est d’ailleurs en tant que tel qu’il fut crédité – en 1976 – aux génériques d’Obsession de Brian de Palma et surtout de Taxi Driver, de Martin Scorsese. A l’époque, Schrader était encore relativement méconnu, même s’il avait déjà co-écrit le scénario de Yakuza, de Sydney Pollack.
Le succès critique et public de Taxi Driver lui apporta une reconnaissance immédiate et il débuta sa carrière de réalisateur deux ans plus tard avec Blue Collar (1978), aussitôt suivi de Hardcore (1979), un polar plutôt réussi racontant l’histoire d’un père (George C. Scott) à la recherche de sa fille, égarée dans l’univers du porno underground (ce qui n’est pas sans rappeler l’histoire de l’adolescente incarnée par Jodie Foster dans Taxi Driver). Sans jamais cesser de tourner ses propres films, Schrader continua d’écrire pour d’autres cinéastes, retrouvant notamment Martin Scorsese pour Raging Bull, La Dernière tentation du Christ et A Tombeau ouvert ; on notera aussi une collaboration intéressante avec Peter Weir sur Mosquito Coast, avec Harrison Ford et River Phoenix.
En adaptant donc Affliction, le septième roman de Russel Banks, Paul Schrader devait être conscient que l’enjeu principal était de retranscrire au cinéma l’épaisseur et la crédibilité de ses personnages. Des personnages taillés dans le roc d’une réalité âpre, sans fard et en partie vécue par l’auteur, puisque c’est en pensant à son père (qui avait un penchant pour la bouteille et se montrait souvent brutal) que Banks a écrit le livre.
Schrader s’est indéniablement montré à la hauteur du sujet. Les images du film capturent la personnalité et l’histoire des personnages avec une justesse qui suscite, chez le spectateur, une empathie immédiate. La réalisation, sans fioritures, se met avant tout au service du jeu des comédiens et de l’émotion, ce qui contribue à abolir toute distance et à rendre l’expérience plus poignante et immersive. A l’instar de Russel Banks, Paul Schrader guette davantage les failles et les blessures de ses personnages que les effets de style, d’où une mise en scène aussi directe et sincère que le titre du film.
Le thème principal d’Affliction est l’héritage de l’enfance, du père – en l’occurrence d’un père violent et alcoolique (lui-même victime de son propre père, c’est du moins suggéré) -, et la manière dont chacun des Whitehouse tente de gérer cet héritage pesant ; l’un choisit un éloignement salvateur (Rolfe, incarné par Willem Dafoe), l’autre une bigotterie absurde (la sœur de Rolfe et de Wade), tandis que Wade (Nick Nolte) tente de composer entre un divorce qui le sépare de sa fille unique, une relation amoureuse malmenée par sa propre instabilité, un alcoolisme quotidien, un métier plus ennuyeux qu’autre chose et surtout, une violence qui le hante et qui, on le devine, conditionne son rapport avec les autres et a donc dû jouer un rôle prépondérant dans l’échec de son mariage.
Wade est au cœur de l’histoire et le film parvient à nous faire ressentir les conflits qui l’opposent à lui-même et à son entourage, ainsi que les démons auxquels il ne parvient pas à échapper. Nul besoin de longs discours pour cela : on devine, par le jeu des comédiens et quelques répliques allusives, ce qui n’est pas dit explicitement, et Affliction parvient ainsi à traiter d’un sujet grave – aussi intime qu’universel – sans jamais verser dans le pathos et la lourdeur.
Le film nous fait entrer dans la vie du protagoniste à un moment où on le devine fatigué, lassé de ne pas parvenir à mettre de l’ordre dans son existence. Wade dépense beaucoup d’énergie – notamment dans une enquête sur un hypothétique crime qui serait survenu au cours d’une partie de chasse, ou encore dans une laborieuse procédure juridique destinée à revoir les clauses relatives à son divorce – mais c’est une énergie vaine, aveugle, brouillonne ; la fumée de cigarettes, l’alcool, les mauvais souvenirs et sa propre colère sont autant d’éléments qui brouillent son champ de vision, qui parasitent tout ce qu’il entreprend, aussi louables que soient ses intentions initiales.
Nick Nolte est absolument remarquable dans le rôle. Il faut voir Affliction pour mesurer un immense talent d’acteur qu’il n’a eu que trop rarement l’occasion d’exprimer. Ce genre de performances, jamais démonstrative, requiert autant de savoir-faire que d’humilité et d’empathie, et il est évident que Nolte, qui est une vraie « gueule » du cinéma américain, conjugue toutes ces qualités. En deux mots, un regard et un mouvement, il nous fait ressentir toutes les casseroles que traînent son personnage – cette « affliction » à laquelle se réfère directement le titre du film.
A ses côtés, James Coburn (Pat Garrett et Billy the Kid) est effrayant en père violent et égoïste qui, à la différence de ses enfants, n’a jamais cherché à lutter contre sa part d’ombre et semble inconscient du mal qu’il a provoqué chez les autres. C’est un plaisir de retrouver cette légende du cinéma qui à plus de 75 ans acceptait ici un rôle difficile, exigeant – l’un de ses derniers, puisque l’acteur disparut en 2002.
Willem Dafoe est d’une sobriété exemplaire dans le rôle d’un frère lucide et distant tandis que Sissi Spacek, qui joue la compagne de Wade, nous rappelle ici l’excellente comédienne qu’elle est (on se souvient notamment de ses prestations remarquables dans deux films cultes des années 70, à savoir La Balade sauvage et Carrie). Figurent également au générique l’acteur Jim True-Frost, qui a essentiellement joué dans des séries TV (il interprète notamment le rôle de Pryzbylewski dans The Wire, l’excellente série policière dont l’action se déroule à Baltimore), et Holmes Osborne, qui incarne le père de Donnie Darko dans le film éponyme de Richard Kelly.
Injustement méconnu (en dépit d'un accueil critique favorable), Affliction est une œuvre sensible et aboutie sur la transmission du mal et de la souffrance, qui met en scène des personnages forts et un Nick Nolte émouvant. Ce film s'inscrit dans la tradition d'un cinéma américain réaliste et profondément humain, à l'image de la littérature dans laquelle Paul Schrader a puisé ici son inspiration.
4 commentaires
A l’heure ou on nous gonfle un peu sur James Gondolfini que l’on compare a Brando (Les Inrocks…) il serai peut être temps de se rendre compte de l’immense talent de Nick Nolte. Dans ce superbe film et dans bien d’autres. Quand a Paul Schrader, sa filmographie se suffit a elle même .
Totalement d’accord avec toi. Nick Nolte est largement sous-estimé. Après, les films dans lesquels il joue ne l’ont pas toujours servi je trouve ; Affliction est excellent, j’aime bien Les Nerfs à vif également, mais à première vue je ne trouve pas que sa filmo soit à la mesure de son talent. Après je n’ai pas vu tous ses films, loin de là !
Les Guerriers de l’enfer, Under Fire, La ligne Rouge, Clean…
On pense à « Comme un chien enragé », pour la proximité de l’argument (rappelons que l’écrivit le fils de Kazan). Schrader ne pardonna pas à De Palma l’abandon du troisième acte dans « Obsession ». Cinéaste inégal mais intéressant, auteur d’un livre sur trois grands réalisateurs « spiritualistes » ; vu récemment sur Arte « The Walker » avec l’étonnant Woody Harrelson – qu’en pensez-vous ?